Les attaques de navires en mer Rouge ainsi qu’au large de l’Inde, par les Houthis, sont-elles préjudiciables à l’économie mondiale ?  Explication.

Publié le 9 Mars 2024

Au mois de décembre de l’année dernière, un responsable des Gardiens de la Révolution iraniens avait signalé que d’autres voies de navigation deviendront impraticables si la guerre entre Israël et le Hamas se poursuit. En témoignent une série d’attaques de drones et de missiles qui ont été lancées ces dernières semaines en mer Rouge par les rebelles Houthis du Yémen.  (1)

La situation est restée tendue ces derniers jours en mer Rouge. Un navire chimiquier en effet a été touché au large de l’Inde par un drone d’attaque tiré depuis l’Iran. Deux pétroliers et un destroyer américain naviguant en ont également été visés par des drones lancés par les rebelles Houthis au Yémen.

L’attaque du chimiquier visé a causé un incendie à bord, qui a rapidement été éteint, et n’a pas fait de blessé, avait déclaré le ministère américain de la Défense.

Le navire, le MV Chem Pluto, naviguant sous le pavillon du Libéria, appartient à une entreprise japonaise et est opéré par une compagnie néerlandaise.

Selon la firme de sécurité maritime Ambrey, le navire « est affilié à Israël » et navigue entre l’Arabie saoudite et l’Inde.

Le Wall Street Journal affirmant que la compagnie néerlandaise opérant le MV Chem Pluto «est liée au magnat israélien du transport maritime Idan Ofer ».

LE PIRE POUR L’ECONOMIE INTERNATIONALE

Les rebelles yéménites Houthis ont récemment revendiqué une opération contre des navires commerciaux. Précisément dans le détroit de Bab el-Mandeb, une voie navigable stratégique reliant la mer Rouge au golfe d’Aden. Ces trois navires commerciaux ont été légèrement endommagés après des tirs missiles, qui n’ont pas fait de blessés. Un destroyer américain a aussi abattu trois drones alors qu’il faisait route pour leur porter assistance

L’attaque est le dernier coup de force de cette milice engagée depuis 2015 dans la guerre civile au Yémen, dont elle contrôle désormais une grande partie du territoire :

 « Dans la configuration actuelle, ils s’inscrivent dans l’axe de la résistance à Israël, au même titre que le Hezbollah et les milices soutenues par l’Iran en Syrie et en Irak », explique le chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) et rédacteur en chef de la revue Orients Stratégiques, David Rigoulet-Roze


L’attaque s’est produite en mer d’Arabie, à 200 milles nautiques au sud-ouest du port indien de Veraval, dans l’Etat du Gujarat, ont indiqué Ambrey et l’agence de sécurité maritime britannique UKMTO. La marine indienne a dépêché un avion et un navire de guerre pour assister le MV Chem Pluto.

Cette frappe faisait suite à une série d’attaques de drones et de missiles menées  en mer Rouge par les rebelles Houthis du Yémen, soutenus par l’Iran, sur fond de guerre entre Israël et le Hamas palestinien dans la bande de Gaza.

Une situation qui fait craindre le pire pour l’économie mondiale. Et cela, avec pour toile de fond la guerre Israël-Hamas. On n'en sort pas !

La mer Rouge est en effet le théâtre, depuis 2016, d’une série d’échanges musclés et à bas bruit entre les rebelles houthistes et leur parrain iranien d’un côté, et de l’autre l’Arabie saoudite puis Israël et maintenant les États-Unis.

La tension est montée d’un cran depuis le 12 janvier, lorsque les forces américaines et britanniques, utilisant des missiles et des avions de combat, ont frappé une quinzaine de sites tenus au Yémen par les houthistes. Une réaction forte, en réponse aux nombreuses opérations des houthistes visant à perturber le trafic maritime en mer Rouge, en signe de soutien au peuple palestinien :

 « Il s’agit d’une région du monde où on a l’habitude d’employer la violence armée pour faire passer des messages à caractère politique, tout en évitant que les choses dégénèrent. » explique le vice-amiral d’escadre Pascal Ausseur, directeur général de la Fondation méditerranéenne d’études stratégiques (FMES).

Et d’ajouter :

« Les frappes américaines et britanniques lancent un signal clair. Par ces bombardements limités, les Américains conseillent aux houthistes de ne pas aller trop loin. »

Pour autant, le vice-amiral ne croit ni à une escalade, ni à une tentative d’empêcher totalement les houthistes de harceler les navires. Ce qui, selon lui, :

«Impliquerait un déploiement massif de soldats au Yémen pour un résultat très hasardeux ».

Tout en précisant :

 « En défendant la liberté de navigation dans la mer Rouge, ils entendent aussi afficher leur présence au Moyen-Orient vis-à-vis de leurs alliés et de leurs adversaires. »

Les 73 frappes, effectuées à l’aube le 12 janvier dernier, par les États-Unis et le Royaume-Uni sur des positions houthistes au Yémen, visaient à empêcher toute escalade en mer Rouge. Washington et Londres ont d’ailleurs reçu le soutien de huit partenaires dont l’Australie, le Canada et Bahreïn – seul État arabe de l’alliance.

Des raids qui ont frappé des sites militaires de la rébellion yéménite à Sanaa, capitale qu’elle contrôle depuis 2014, et dans les gouvernorats de Hodeïda, Taïz, Hajjah et de Saada.

Une manière d’opération punitive en réponse aux attaques menées, depuis le 7 octobre, par ces rebelles proches de l’Iran contre des navires commerciaux qu’ils accusent d’être liés d’Israël, causant de graves perturbations sur le trafic mondial en mer Rouge, un couloir maritime stratégique entre Europe et Asie.

FACTEURS EXPLICATIFS

Depuis la mi-novembre, le Commandement militaire américain au Moyen-Orient (Centcom) a comptabilisé pas moins de 26 attaques. Les houthistes, membres de « l’axe de résistance » établi par Téhéran, les justifient par leur solidarité avec le Hamas palestinien et la bande de Gaza.

Une feuille de route qui se traduisit le 9 janvier par la mise en action de trois destroyers américains, d’un navire britannique HMS Diamond et des avions de combat déployés depuis le porte-avions américain Dwight D. Eisenhower.

La France mais aussi l’Italie et l’Espagne, trois États dotés d’une marine robuste, ont refusé d’intégrer la coalition mise en place par les Américains, sans expliciter clairement leur choix. La crainte d’être associées de trop près avec Israël, ciblé par les houthistes, ou avec la politique américaine, est citée parmi les facteurs explicatifs.

Qualifiés d’entité terroriste par Washington, les houtistes sont accusés d’être à la solde de l’Iran depuis leur émergence dans les années 1990. Leurs 200 000 combattants font partie, comme le Hamas, le Hezbollah et les milices prochiites irakiennes, de « l’axe de résistance » contre Israël. Or le réseau d’alliances a profité de la guerre dans la bande de Gaza pour faire une nouvelle démonstration de force.

De fait, les houthistes bénéficient du renseignement iranien et de son savoir-faire militaire. Ce qui leur a permis d’améliorer considérablement leurs capacités en matière de missiles anti-navires :

« Il y a donc une forme de loyauté à l’égard de Téhéran, grand pourvoyeur de fonds et de matériel. Or, l’intérêt des Iraniens passe par une déstabilisation du Moyen-Orient et l’affaiblissement des États-Unis et d’Israël. » explique Jonathan Piron, spécialiste de l’Iran au centre de recherche Etopia à Bruxelles.

 Et d’ajouter, que si l’Iran tire profit de cette déstabilisation, elle ne souhaite pas que cela débouche sur un conflit généralisé dont il sortirait perdant :

 « La difficulté est de savoir jusqu’où l’escalade est contrôlée, note ce spécialiste. Mais quand un groupe dont ils sont proches ignore les signaux qu’ils envoient, les Iraniens savent très bien répondre en coupant leur aide ou en soutenant un rival. Cela ne semble pas être le cas à l’heure actuelle. »remarque encore Jonathan Piron.

LE COMMERCE MARITIME EN PÉRIL

Pour protéger les navires, les équipages et les cargaisons, la plupart des armateurs évitent la route du canal de Suez et optent pour un contournement de l’Afrique. Doublée d’une forte hausse des primes d’assurance pour les rares navires – dont certains affrétés par le marseillais CMA CGM – qui continuent de passer par la mer Rouge; une stratégie qui impacte les tarifs d’acheminement :

« Depuis début décembre, le prix du transport d’un conteneur de 40 pieds d’Asie vers l’Europe est passé de 850 dollars (782 €) à plus de 2 800 dollars (2 579 €) » note Jean-Pascal Bidoire, délégué général des Agents maritimes et consignataires de France.

Une crise qui affecte considérablement le commerce maritime.

Comme le rappelle d’ailleurs l’ambassade des États-Unis, à Paris :

 «L’économie mondiale dépend de l’accès à la mer Rouge qui voit passer chaque année « environ 15 % du commerce mondial soit la bagatelle de 1 000 milliards de dollars (912 milliards d’euros, NDLR) de marchandises qui  transitent par ce couloir maritime. »

Un couloir que les grands transporteurs évitent désormais. Partiellement ou totalement :

 « Depuis le début de la crise, 260 navires ont été déroutés vers le cap de Bonne-Espérance,  Désormais, 90 % des bateaux évitent le canal de Suez, pour la sécurité de leurs marins et pour tenir compte de la hausse des primes d’assurance, sinon du refus des assureurs d’assumer le risque d’un passage par la mer Rouge. » précise Mike Wackett, courtier maritime et consultant du site spécialisé The Loadstar,

Quant au passage par le Cap de Bonne-Espérance :

« Il se traduit par un surcroît de carburant, d’autant qu’on peut être tenté d’augmenter la vitesse pour rattraper une partie du retard, et le nombre de bateaux si l’on veut maintenir une fréquence hebdomadaire sur les lignes régulières. Mais beaucoup des navires commandés n’ont pas encore été livrés », poursuit l’expert.

UNE MAIGRE INCIDENCE

Le contournement de l’Afrique se traduit donc par « un allongement de dix à vingt jours des délais de livraison ». De quoi déclencher, de la part des industriels et des acteurs de la distribution, un afflux supplémentaire de commandes pour s’épargner une rupture d’approvisionnement. Rupture qu’ont vécue les sociétés Tesla et Volvo, contraints de freiner la production sur certains sites européens. Pour l’éviter, Stellantis ayant fait le choix d’acheminer certaines pièces stratégiques par avion.

Une hausse des tarifs qui impacte les prix à la consommation prévient l’économiste Marc Touati, président du cabinet ACDEFI :

« Ce qui risque de retarder l’indispensable baisse des taux directeurs par la Banque centrale européenne. »

En conclusion, environ 10 % des échanges pétroliers par voie maritime ont transité par la mer Rouge et le canal de Suez en 2023. Mais malgré les attaques des houthistes, le baril de brent affichait sur les trois derniers mois un recul d’un peu plus de 12 % tout en restant bloqué autour des 80 dollars (73 €).

Selon les analystes, les perturbations en mer Rouge pourraient donc avoir un impact de l’ordre de 4 à 5 dollars par baril. Plus précisément :

Une maigre incidence parce que les marchés se préoccupent davantage de la faiblesse de la demande, compte tenu du ralentissement économique mondial, que des risques géopolitiques, alors même que l’offre est abondante.

Pour conserver ses parts de marché, l’Arabie saoudite avait d’ailleurs annoncé une baisse de 1,5 à 2 dollars du prix de son baril de brut à partir du 1er février dernier.

A chacun de prendre ses responsabilités mais ça c’est une autre histoire. Quant au véritable gagnant dans cette affaire, je donne ma langue au chat !

Bernard VADON

 

(1) Les Houthis sont un groupe armé du Yémen issu de la minorité musulmane chiite du pays, les Zaidi.

Le groupe a été formé dans les années 1990 pour lutter contre ce qu'ils considéraient comme la corruption du président de l'époque, Ali Abdullah Saleh.

Il tire son nom du fondateur du mouvement, Hussein al-Houthi. Ils se désignent également sous le nom d'Ansarollah, ou "partisans de Dieu".

Après l'invasion de l'Irak par les États-Unis en 2003, les Houthis ont adopté le slogan suivant : "Dieu est grand. Mort à l'Amérique, mort à Israël. Malédiction des Juifs et victoire de l'Islam".

Ils déclarent faire partie de "l'axe de résistance" dirigé par l'Iran contre Israël, les États-Unis et l'Occident en général, aux côtés du Hamas et du Hezbollah.

Cela explique pourquoi les Houthis attaquent désormais les navires en partance pour Israël dans le Golfe, explique Hisham al-Omeisy,

Rédigé par Bernard Vadon

Publié dans #J - 2 - B ( Journal )

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