« Illusions perdues » et « Splendeurs et misères des courtisanes » façon Honoré de Balzac, ou l’étrange itinéraire politique de la France.

Publié le 13 Janvier 2024

 « Changement d’herbage réjouit les veaux » affirment les cultivateurs berrichons dont on ne peut nier le légendaire bon sens et qui illustre un autre bon sens assorti celui-là d’une réputation tout aussi légendaire de râleur caractérisant le Français.

Mais par ailleurs, ce trait de caractère, taillé à la serpe, ne contribue t-il pas aussi à une forme de charme ?

Bref, pour ma part – au-delà des allusions de certains, souvent aux limites du méphitique ou plus couramment du nauséabond quant au courage de ceux (suivez mon regard côté actualité politique) qui,  comme tant d’autres et non sans une certaine honnêteté intellectuelle mais pas le moins au nom de la morale,  ont fait ce que l’on appelle leur « coming-out » pour respecter la sémantique contemporaine. Voilà) pour le fait de société intéressant.

Une certaine idée de la France ...

Quant à la récente nomination du nouveau Premier ministre de la France, elle relèverait plus du parfait coup médiatique que d’une réflexion de ses capacités quant à occuper un poste politique aussi sensible et lourd de responsabilités quant au présent et surtout au devenir de ce grand pays dont le général De Gaulle affirmait « qu’elle était une grande nation ». Ce dernier,  ajouteant au fil de ses « Mémoires de guerre » la mystérieuse et mythique réflexion d’un homme hors normes :

« Toute ma vie, affirme-t-il, je me suis fait une certaine idée de la France… » une idée qui d’ailleurs se détachait de celle de son père, monarchiste avéré ( ce qui n’est pas un « gros mot » comme diraient certains, surtout dans la société actuelle, ) et, par ailleurs, professeur de grec, latin et français chez les jésuites. Une bonne idée pour contribuer à re dresser le niveau quelque peu bas de notre école publique.

Le général ayant eu la bonne fortune de constituer autour de lui un  terreau d’intellectuels prestigieux propre à nourrir l’histoire de France ; et d’entretenir autant les mythes que les symboles de ce pays alors respecté et parfois copié ne tarda pas à devenir républicain et son mentor moins nostalgique

Quant à la Révolution française, elle ne sera plus la cible désignée de regrets historiques. Le général trouvera d’ailleurs la matière de ses réflexions autant chez Charles Péguy que dans la philosophie bergsonienne sans oublier les nationalistes Maurice Barrès et Jacques Bainville mais aussi les catholiques René de la Tour du Pin et Albert de Mun.

Vous avez dit hétéroclite ?

Je dirais, par préférence et au-delà du traditionnel, la volonté pour De Gaulle de ne pas se confiner dans l’immuable et l’incontournable. En tout cas, une curiosité intellectuelle qui n’occultait pas pour autant un besoin constant d’affiner sa culture politique qu’il pratiquera toute sa vie.

Vous avez également dit : immuable et incontournable ?

Alexandre le Grand : dans les pas d'Aristote.

Je pencherais plutôt pour ses constantes et dimensionnelles références historiques dont la véritable école du commandement était pour lui la culture générale précisant :

« Au fond des victoires d’Alexandre, on retrouve toujours Aristote. »

De la graine à consommer à volonté, Monsieur le Premier ministre !

L’IMPRUDENCE D’ICARE !

En parcourant le temps d’hier, l’expérience  d’un certain Lucien de Rubempré, personnage-clé des « Illusions perdues » et des « Splendeurs et misères des courtisanes », l’œuvre magistrale et trilogique d’Honoré de Balzac, il était tentant d’établir de prudentes mais intéressantes similudes.

Honoré de Balzac : une oeuvre magistrale et trilogique.

Pour mémoire : Lucien de Rubempré, jeune poète, natif d’Angoulême, « monté à Paris » par amour et par ambition est effectivement et en la circonstance singulièrement inspirant.

Celui-ci, aspiré par le mouvement d’une société qui bascule vers le nouveau monde de l’argent, de la spéculation et du profit rapide, mais aussi de la presse et de la publicité, on pourrait ajouter de la politique (les uns n’allant pas sans les autres),  est un exemple-type dans l’ascenseur social.

Car, ainsi va l’Histoire, au lieu de s’en tenir à ses nobles idéaux, Lucien de Rubempré livrera son âme au diable, au moment où tout se vend et tout s’achète. Il renoncera à sa pureté et s’engouffrera dans le vertige d’une reconnaissance immédiate que pourrait lui procurer le pouvoir.

Aveugle et sourd aux mises en garde, Julien, par soif de revanche sociale, va se perdre et se consumer dans ce manège infernal auquel il s’accroche, ruinant son intégrité autant que son talent. Pour finalement et, à l’exemple malheureux d’Icare, se brûler les ailes au soleil noir d’une société mondaine, pétrie de cruauté et qui dévore nlon sans délectation les jeunes freluquets, en quête de gloire.

Rubempré, dont l’intelligence est si aiguë, dont les traits d’esprits sont pourtant prisés et dévastateurs, n’a pas apprécié pour autant la froideur du piège qui se refermait sur lui, actionné par ses ennemis - la caste d’Ancien Régime et les détestables libéraux sans scrupules - qui l’éjecteront sans pitié et lui feront payer très chert son arrogance.

Grandeur et décadence d’un ambitieux déchu ?

La question se pose t-elle ou s’impose t-elle ?

Loin de nous de faire, en la circonstance, une manière de « copier-coller » en assimilant l’actuel Premier ministre à cette sombre saga et jouer à mauvais dessein les Madame Irma … ou soleil. Selon.

Les gazettes du temps présent renforcées par la modernité artificielle n’ont rien à envier à celles du XIX ème et les valeurs anciennes tout autant que l’avènement de la loi du profit mais aussi du cynisme, n’ont pas pris de rides.

Pire, le pouvoir de la presse et la violence de la critique, le carrousel des polémiques, les succès fabriqués, les triomphes achetés, les réputations aléatoires, les disgrâces soudaines ont allègrement passé le cap des décennies.

Il y a encore du bon temps pour l’abominable, l’épouvantable, l’affreux, le dégoûtant et l’exécrable. La liste n’est pas exhaustive en matière d’horreur.

Bref, cette manière d’Icare va-t-il lui aussi se brûler les ailes au soleil noir d’une société mondaine, éprise de cruauté, qui dévore les jeunes freluquets, en quête de gloire ?

Encore un peu tôt pour le dire.

UN PARI ,

Quant à l’œuvre intitulée, « Grandeur et décadence », l’ouvrage de Liv Strömquist – autrice suédoise – (qui signe  « un manifeste politique limpide et humaniste où elle analyse des ravages du néolibéralisme et exhorte à construire une société différente » )  sonnera t-il le glas d’un ambitieux déchu ?

Un manifeste limpide et humaniste ...

A l’instar – par exemple - du tout frais et moulu Premier ministre dans les pas du héros balzacien, aveugle et sourd aux mises en garde et qui dans ce manège politique infernal auquel lui aussi s’accroche, ruinera à terme son intégrité autant que son talent.

Et cela, en dépit d’une intelligence, certes aiguë, mais qui ne l’empêchera pas de soupçonner le piège qui se referme inexorablement sur lui, actionné par des pairs sans scrupules et décidés fermement à lui faire payer son arrogance.

Alors même que le président de la République a vraisemblablement pris le parti d’un choc politique en nommant Gabriel Attal Premier ministre.

Un pari sur la jeunesse dans le but inavoué de lancer un message positif et mettre un terme aux tentations déclinistes du pays ?

L’homme – entendons le président - est réputé pour son improbabilité. Certains politologues, principalement étrangers, le taxant de dirigeant aussi « contradictoire qu’insaisissable ».  Un vague cursus honorum ( parcours des honneurs sous la Rome antique) pour le moins déstabilisant. Le moins que l’on puisse dire.

Mais retour au fait, quelque peu hallucinant, du moment :

« Certains saluent l’audace. D’autres sont consternés. La nomination de Gabriel Attal au poste de premier ministre est une nouvelle prise de risque importante pour le président de la République. La jeunesse et la popularité du nouveau chef de gouvernement ont pesé lourd dans la balance. Mais la carrière fulgurante de ce trentenaire a son revers : une expérience politique encore très incomplète et une connaissance imparfaite des rouages complexes qui font tourner l’État. Il lui faudra bien s’entourer et compter sur la patience de celui qui vient de le nommer.

En changeant d’équipe gouvernementale à peine vingt mois après sa réélection, Emmanuel Macron veut effacer le souvenir de l’année qui vient de s’achever. Les adoptions chaotiques de la loi sur les retraites puis de celle sur l’immigration ont laissé la majorité exsangue. Le choix de Gabriel Attal vise à remobiliser rapidement le camp présidentiel alors qu’approche le scrutin européen du 9 juin. Emmanuel Macron veut le gagner et il a campé le décor lors de ses vœux du 31 décembre : la lutte se jouera contre le Rassemblement national. L’âge et l’art de la communication du nouveau premier ministre sont considérés comme des atouts face à la jeune tête de liste du RN, le populaire Jordan Bardella. »

écrit Jean-Christophe Ploquin , éditorialiste et rédacteur en chef au quotidien La Croix.

DIRECTIVE FLOUE

Le président en exercice, pour une fois, a été clair. Enfin, en principe car à présent reste à juger de la suite.

Notamment, en ce qui concerne la mise en pratique d’une feuille de route en forme de directive floue restant encore à préciser :

 « Mettre en œuvre le projet de réarmement et de régénération que j’ai annoncé ».

Pour cela, le nouveau locataire à Matignon devra t-il user de la méthode du fameux 49.3 de la Constitution cher à la précédente occupante des lieux ?

Étant entendu que la longévité du nouveau Premier ministre sera dépendante d’une majorité pour l’heure inexistante. Une première explication historique   :

« Tant que le pouvoir centralisé, obsédé de lui-même, secrètera des contre-pouvoirs, qui ne peuvent  l’équilibrer, mais réussissent à l’entraver ; tant que n’aura pas été allégée la responsabilité qui pèse sur le pouvoir central, bouc émissaire unique – l’art de gouverner consistera à disposer assez adroitement les paratonnerres pour que le personnage principal, le président – ne soit pas trop tôt foudroyé » selon Alain Peyrefitte, Homme d’État, diplomate et ancien ministre du général De Gaulle.

Que ne voilà t-il pas une raisonnable feuille de route ?

Vingt mois seulement après sa réélection, le président Emmanuel Macron a changé de premier ministre.

Si la pratique est fréquente sous la Ve République, le moment choisi pour le faire est estimé comme plus inédit. En effet, Gabriel Attal arrive à Matignon six mois avant les élections européennes, un rendez-vous démocratique dont l’issue sera déterminante pour le second quinquennat Macron et surtout le souvenir qu’il laissera de ce double mandat présidentiel

Pour Mathias Bernard, historien et président de l’université Clermont-Auvergne :

« Le changement de premier ministre est une pratique classique sous la Ve République. À l’exception de Nicolas Sarkozy qui a conservé pendant cinq ans François Fillon à Matignon, tous les présidents ont eu deux ou trois chefs de gouvernement, voire quatre concernant le deuxième septennat de François Mitterrand... »

Fin de la séquence romanesque et retour à la réalité.

Celle, en l’occurrence analysée par les observateurs étrangers

JEUNE ET GAY

Que dit et écrit, en effet, la presse étrangère de certte nomination de ce Premier ministre  - le plus jeune sous la Ve République aux racines orthodoxes (sic) – mais certainement pas de l’Histoire de France au sein de laquelle un certain Napoléon s’imposa autrement : Il n’avait que 30 ans. Un exemple ( brillant of course) parmi tant d’autres jeunes outsiders.

 

Les records en politique et en matière d'âges ne sont pas d'aujourd'hui ! (collection privée).

Bref, aux États-Unis l’honneur du débat :

« La France nomme son plus jeune premier ministre, et le premier ouvertement gay », titre The New York Times

Le quotidien américain rappelant que le nouveau locataire de Matignon est « l’homme politique le plus populaire parmi les Français », obtenant la confiance de 40 % d’entre eux selon de récents sondages.

Le journal new-yorkais présentant un dirigeant « adaptable », « à l’image de son président », une figure « peu appréciée à gauche » mais « plus à même de plaire au centre droit qu’Élisabeth Borne ».

Pas spécialement laudateur.

Ensuite ; pour le Financial Times :

« C’est un « choix surprise, puisqu’il a été récemment nommé ministre de l’éducation et qu’il est moins expérimenté que d’autres candidats, tels que le ministre des finances Bruno Le Maire ou l’ancien ministre de l’agriculture Julien Denormandie. »

Quant à la presse Outre-Manche, elle insisterait plutôt sur la jeunesse du nominé, y voyant un héritier du chef de l’État français.

Ainsi,  The Economist met-il en exergue le « net rajeunissement de la politique française » et note qu’Emmanuel Macron et Gabriel Attal « ont un âge combiné inférieur à celui de Joe Biden ».

En voilà une belle affaire !

SIGNE D’INSTABILITÉ POLITIQUE

Autrement railleur, The Guardian qualifie le nouveau premier ministre de « bébé Macron » doté de qualités similaires à celles du président de la République : 

« Ambition, forte présence médiatique, politique centriste. » 

Le quotidien de centre gauche rappelant au passage le bilan du passage éclair de Gabriel Attal à l’éducation, avec, en particulier, l’interdiction de l’abaya et l’expérimentation de l’uniforme à l’école, soulignant :

 « Il a défendu une ligne dure sur l’autorité et la laïcité ».

En Italie, La Repubblica estime également que l’ancien ministre de l’éducation doit sa popularité à « ses mesures drastiques et médiatiques » indiquées précédemment

Le journal présentant le nouveau chef de gouvernement en trois caractéristiques pour le moins lapidaires et sans délicatesse, aux limites du convenable : 

« 34 ans, gay et anti-Salvini ».

De l’autre côté des Alpes, Gabriel Attal est en effet connu pour avoir estimé que la politique d’immigration de Matteo Salvini était « à vomir » qui n’a pas sa langue dans sa poche quant à lui répondre. 

En somme, un prêté pour un rendu.

Et le quotidien transalpin, bon prince, de préciser :

« En attendant que soit mieux définie son identité politique il est  inclassable, tout comme le macronisme ».

Outre-Rhin, l’agence de presse allemande DPA, reprise par la Frankfurter Allgemeine Zeitung, plus analyste :

 « Ce prodige politique pourra mieux convenir à Macron que Borne  dans la mesure où  son dynamisme et son parcours rappellent aux observateurs le président ».

Laissant au Spiegel  le soin d’écrire à propos de la l nomination de ce proche confident de Macron :

« Elle apparait comme une  tentative de passer à l’offensive politique ».

Tout en précisant :

« Emmanuel Macron cherche à « jouer sa meilleure carte », à savoir, « la popularité d’Attal ».

LE LEURRE DE LA JEUNESSE ?

Ce pourrait être avant preuves à venir le dernier (et fin) mot de l’histoire qui appartient au journal Zeit, l’hebdomadaire libéral de gauche, laissant entendre que les espoirs de certains pourraient être à court terme déçus. Je cite  :

« Le nouveau gouvernement censé « apporter un nouvel élan » sera « tout aussi impuissant » que le précédent. Les premiers ministres sont des pions entre les mains des présidents français et Emmanuel Macron, l’homme aux décisions solitaires ne fait pas exception à cette règle. »

L’agence de presse DPA mettant en garde envers une fuite en avant , alors que le président ne dispose pas de majorité absolue à l’Assemblée et a vu ses troupes se diviser lors de la récente adoption de la loi immigration.

Des observations auxquelles fait écho la presse espagnole et notamment le quotidien El País, qui note une nomination symbolique témoignant :

 « D’une volonté de changement générationnel.  Macron espérant  que le départ d’Élisabeth Borne et l’arrivée de Gabriel Attal donnent un nouveau souffle à son mandat, qui semble patauger à trois ans de l’élection présidentielle ».

Enfin, La Vanguardía,  parle d’un communicant habile, d’un homme politique hyperactif et d’un prototype de la bourgeoisie cosmopolite parisienne aux racines orthodoxes. Il est, en effet, le fils d’un juif non pratiquant et d’une mère russe orthodoxe. Et bien qu’il ne se dise pas étranger à la question de la transcendance, il se considère comme non croyant.

En conclusion, je m’en tiendrai, en  manière de conclusion dépassionnée, à ces mots d’Albert Camus :

« Chaque fois que j’entends un discours politique ou que je lis ceux de nos dirigeants, je suis horrifié de n’avoir, pendant des années, rien entendu qui ait semblé humain. Ce sont toujours les mêmes mots, qui racontent les mêmes mensonges. Et le fait que les hommes acceptent cela, que la colère du peuple n’ait pas détruit ces clowns creux, me paraît la preuve que les hommes n’accordent aucune importance à la manière dont ils sont gouvernés ; qu’ils jouent – oui, jouent -  avec toute une partie de leur vie et leurs soi-disant « intérêts vitaux ».

 

Bernard VADON

 

 

 

Rédigé par Bernard Vadon

Publié dans #J - 2 - B ( Journal )

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