Pau : Contre vents et marées administratives, dans leur échoppe « ali-babaesque »  - au sens noble du terme - et à celui de « M’aimer dans les orties », Véronique et Béatrice replacent l’herbe médicinale au cœur du bien-être. Exemplaire.

Publié le 5 Janvier 2024

« Reconnaître une plante et en évaluer sa qualité nécessite l’usage de toutes les perceptions sensorielles. L’herboriste goûte, sent, touche, caresse, écoute le bruit que fait la plante froissée entre les doigts…

Être herboriste, c’est entrer pleinement en contact avec la plante et établir une relation de respect avec elle.

Chaque herboriste est unique, comme chaque plante est unique : sa composition exacte dépendra de son âge, de son origine écologique, du contexte de production.

Avec son savoir particulier, l’herboriste sait identifier quelle plante est la mieux adaptée à son client, en fonction de l’histoire propre de ce client et de son terrain ».

 

Un sentiment singulièrement ressenti lorsqu’on pousse la porte de ce repère que ses responsables, non sans une pointe d’humour détaché, qualifient de sorcières, au nom évocateur titillant dans nos mémoires le souvenir de ces grand-mères savantes sans le savoir faisant des plantes la substantifique moelle susceptible de venir à bout de ces maux de toutes sortes qui agressent nos fragiles organismes.

Sauf que le sobriquet de « mémé » s’est à dessein muté en verbe transitif du premier groupe sans vouloir se faufiler dans les méandres grammaticaux  de notre inimitable langue en omettant l’article l’accompagnant. D’autant que la suite, en l’occurrence les orties, relèverait plutôt d’une forme de masochisme …

Qu’on me pardonne cet égarement textuel mais le fond de l’histoire relèverait plutôt d’un bien-être généré à terme par des plantes aux multiples vertus.  Et c’est bien le plus important ; le mélange approprié servi, le sourire aux lèvres et la prévenance en permanence en bandoulière, par les deux partenaires Véronique et  Béatrice réunies en association de bienfaitrices (sic), deux filles « bonheur »  aux parcours professionnels aussi compliqués que passionnants que le destin – et surtout pas le hasard car je n’y crois pas – fait se rencontrer et s’apprécier sur les bancs de l’école de naturopathie de Pau.

Le respect de la nature avec une préférence pour les plantes du terroir et biologiques, une manière de charte d’honneur avec pour seules motivations :

« L’éthique, la traçabilité et l’exclusivité ».

 

Un repère original et chaleureux ouvert sur une ruelle du vieux Pau, du nom d’un certain Jean de Tran, charpentier et conseiller municipal, qui a donné son nom à la rue. Jean de Tran fut en outre, et pour la petite histoire locale, le premier cagot – les fameux intouchables du Moyen-Âge, une population qui pendant près d’un millénaire sera localisée aux extrêmes ouest et sud-ouest de la France, et mise en marge de la société. 

Bref, Jean de Tran sera réhabilité en 1625, un vers de  « L'Histoire des races maudites », de Francisque Michel, le désignant quasi officiellement comme le chef des cagots - Tran de Pau, noste gran majorau (en patois du pays béarnais).

 

POUR LES BESOINS DE LA CAUSE ET LE PLAISIR DES HÔTES

 

Mais retour au présent siècle, au cœur de ce mini-univers où les plantes les plus mythiques parfument de leur indéfinissable parfum ce lieu encore protégé de la boulimie immobilière.

Véronique et Moon : la plus comblée n'est pas forcément celle que l'on croit !

Les amateurs diraient : un endroit réinventé pour les besoins de ses occupantes (et ceux de la cause)  mais conservé « dans son jus » sous l’œil unique (des imbéciles lui ont ôté l’autre) et débordant de tendresse de Moon,  la west-highland, mascotte sauvée in extremis des griffes de détestables cons, profiteurs et bourreaux de la gent animale. Un autre – et non des moindres -  apostolat à mettre au crédit de Véronique, l’une des deux maîtresses des lieux.  !   

 

Nouveau focus cette fois sur les étals et autres casiers herbus garnissant les lieux où fleurissent aussi les bons mots dans la mouvance du nom de la boutique. Ici, manifestement, le vert est mis !

De la badiane (ou Anis étoilé) activant la digestion, au basilic tenu pour être un antioxydant de référence, en passant par la cannelle la plus connue et la plus recherchée étant  la cannelle de Ceylan, issue de Cinnamomum verum, un anti-inflammatoire général et un anti-infectieux ; jusqu’au thym, recommandé pour les affections respiratoires, mais aussi le curcuma,  un remarquable antioxydant et le millepertuis, efficace cicatrisant sans oublier la camomille adoucissante pour la peau mais également un calmant pour les nerfs.

On pourrait y ajouter, pour le plaisir de la découverte, la pétale d’oranger et la lavante dite super bleue ( plante rarissime),  mais aussi l’aubier tilleul rouge, la menthe poivrée et le bois de campêche ; mais encore la mauve bleue, le lierre terrestre et l’odorante verveine, la reine des près ou l’églantier de son nom savant, le cynorrhodon ; avec une préférence pour l’ortie bien sûr ( de préférence piquante de la famille des urticacées) et  les graines de lin aux multiples vertus.

Une bible de circonstance où figurent aussi et en vrac … savamment organisé,  la menthe poivrée et l’apaisant tilleul  sans oublier le ginseng rouge (ou racine de longue vie) aux vertus énergisantes, la cardamone verte, proche de la bergamote par le goût  et qu’en Orient on ajoute au café ; l’angélique, importée en Europe par les vikings et surnommée par les médecins de la Renaissance, « la racine du Saint-Esprit » ;  l’absinthe et le fucus vésiculeux .

Une liste non-exhaustive.

Il convient toutefois de ne pas ignorer que les plantes ou parties de plantes médicinales inscrites à la Pharmacopée peuvent être vendues en l’état par des personnes autres que par  les pharmaciens et les herboristes, notamment.

Certaines plantes connues pour leurs propriétés médicinales n’ont cependant pas été toutes « libérées » et sont toujours inscrites à la Pharmacopée. En ce cas, elles relèvent du monopole pharmaceutique … tels le bleuet et le souci des jardins mais aussi  le millepertuis et le plantain lancéolé.

Monopole qui ne facilite pas leur commercialisation.

Nécessité peut en l’occurrence faire loi. No comment !

EXPLICATION ADMINISTRATIVE

C’est dans les années soixante-dix que grandit l’intérêt pour l’environnement suivi - à partir des années quatre-vingt-dix  - d’une remise en cause du médicament « chimique » qui provoqueront un déchainement médiatique avec pour cibles les herboristes.

 

Un combat souvent ubuesque. Et cela, indépendamment d’un usage de la plante lié à un maximum de précautions propres à préserver la santé.

« Élémentaire !», dirait le personnage fictif de l’auteur américain Arthur Conan,  « Mister Watson » !

Mais fort opportunément, les derniers « certifiés », à l’image de Marie-Antoinette Mulot, Suzanne Robert, Paulette Duhamel ou encore Serge Bernard, ont fort heureusement pris soin de publier les fruits de leurs recherches.

Finalement, l’herboristerie profitera de la mode des médecines dites « alternatives » ou « complémentaires » pour se développer autrement. Parallèlement, l’enseignement des plantes médicinales perdurera à travers des initiatives privés, à l’exemple de l’Institut Méditerranéen de Documentation d’Enseignement et de Recherche sur les Plantes Médicinales (créé en 1974), de l’Association pour le Renouveau de l’Herboristerie (créée en 1982), de l’École Lyonnaise des Plantes Médicinales (créée en 1983) ou encore de l’École des Plantes de Paris (créée en 1984).

Quant à la pratique, la préservation et la transmission des savoirs liés à l’herboristerie, ils seront à l’origine des motivations de la création du syndicat professionnel ‘Simples’ réunissant plus d’une centaine de producteurs de plantes médicinales de montagne.

Il n’empêche qu’en 1941, la pratique de l’herboristerie se compliquera et pour un grand nombre d’herboristes non certifiés, le plus simple consistera alors à utiliser des plantes libérées (d’abord 34 espèces à partir de 1979 avec le décret Simone Veil, puis 148 espèces, sous des parties et des formes définies par le décret du 22 août 2008).

Aujourd’hui, seuls les pharmaciens ont le droit de vendre toutes les plantes de la pharmacopée dans un but curatif… et par voie de conséquence, lucratif. 
Une situation d’autant plus injuste, selon les adeptes  et défenseurs de l’herboristerie, que le métier est reconnu en bien  d’autres pays notamment en Angleterre, en Belgique et en Espagne. Mais aussi en Allemagne, en Italie et en Suisse.

Actuellement, l’herboristerie ne se limite plus à la seule vente de plantes en boutique, mais à de nombreux autres métiers.

Quant à la suppression du certificat professionnel, elle a eu pour effet  un éclatement de la profession obligeant l’herboristerie à redéfinir son identité.
Encore récemment, de nouvelles institutions ont vu le jour, cherchant à rassembler les herboristes autour d’un projet commun, à l’image de la Fédération Française des Écoles d’Herboristerie, de la Fédération des paysans-herboristes ou encore de « Synaplante ».

Pour l’avocat Flavien Meunier :

 « On touche ici au tabou et au limite du monopole pharmaceutique. Car si je prends de la feuille d’artichaut et que je la broie pour la mettre dans une gélule, je vais être autorisé à la vendre alors que si je la vends dans un sachet je vais être poursuivi pour exercice illégal de la pharmacie ! Je ne vois pas pourquoi elle serait plus dangereuse en vrac qu’en gélule, ça me dépasse, même sur le plan juridique je n’arrive pas à la comprendre.»

LA PLANTE PRIORITAIRE

Au-delà de la reconnaissance légale de l’herboristerie, c’est finalement tout un patrimoine de savoir-faire traditionnel qui est en jeu. Tout simplement parce que les herboristes français aspirent depuis plus d’un demi-siècle à leur renaissance officielle, à l’instar de leurs collègues qui exercent en toute légalité en bien d’autres pays :

Au carrefour de la botanique, de l’agriculture, de la pharmacie, de la médecine et de l’anthropologie, l’herboristerie propose des remèdes naturels pour de petits troubles communs (digestion, sommeil, rhume, ménopause, stress, etc.) en guise de premiers soins, de compléments ou de prévention pour une meilleure santé :

 « Comme il faut peser nos mots, on parle de bien-être et de prévention. On ne parle pas d’utiliser les plantes pour soigner les maladies », précise prudemment Michel Pierre, président du syndicat « Synaplante ».

En dépit de la multitude de ces obstacles, l’herboriste résiste et valorise sa connaissance des plantes médicinales auprès de citoyens de plus en plus demandeurs :

« Les plantes sont les premiers soins qui aient jamais existé », rappelle Patrice de Bonneval, président de la Fédération française des écoles d’herboristerie. 

 

En clair, héritée de savoirs ancestraux, l’utilisation des plantes médicinales connaît un renouveau certain dans le paysage de la pharmacopée traditionnelle et depuis la suppression du diplôme d’herboriste en 1941, sous le régime de Vichy, au profit du monopole des pharmaciens d’officine, les herboristes s’activent, contre vent et marée, dans le but légitime de faire reconnaître leur savoir-faire.

Finalement et compte tenu de ce que l’usage empirique des plantes sauvages a progressivement fait place à la phytothérapie – entre botanique, pharmacie, médecine et chimie –, c’est celle-ci qui semble la mieux placée quant à l’usage traditionnels des plantes.

Et sans entrer dans le « totum » de la plante (terme savant indiquant que l’action d’une plante sera due à l’ensemble de ses constituants et non à un seul principe actif isolé et que le tout est finalement plus que la somme des parties. CQFD) , on peut donc et tout naturellement en référer à la phytothérapie ( du grec phyton plante et thérapein, soigner ) autrement dit, le soin par les plantes.

 

Ces plantes salvatrices ...

Quant à l’herboriste, ou “herbaliste”, terme équivalent mais sémantiquement créé à partir du mot anglais herbalist, du latin “herbula” ( signifiant petite herbe), il n’existe donc légalement  plus en France mais il témoigne d’un légitime besoin de renouveau des métiers de l’herboristerie dont l’actualisation de cette pratique ancestrale.

L’herboriste s’employant, en boutique, à produire, préparer et vendre des plantes médicinales, il devient de ce fait solidaire de la phytothérapie dont la science consiste non seulement à connaître les plantes mais aussi à les reconnaitre pour des raisons de sécurité. Quant à l’herboristerie c’est une échoppe, ou une boutique, dans laquelle sont conseillées et vendues les plantes ainsi que les remèdes naturels à base de plantes. 

Un travail de longue haleine quelque peu compliqué par une législation contraignante et souvent inepte ( comme trop de lois) mais qui ne manque pas d’intérêt qui apparait propre à générer de belles vocations : Véronique et Béatrice en sont deux ( et de) louables exemples.

A la lumière du fameux serment d’Hippocrate et de ce qui importe en ce domaine touchant de près ou de loin la beauté et la complexité des soins domaine aussi beau que complexe des soins, il convient de s’en tenir à « la neutralité bienveillante ».

Un concept apparu en 1937 dans la littérature américaine, en sa signification freudienne : à savoir, écouter sans attenter à la liberté de l’autre.

La feuille de route de l’association « M’aimer dans les orties » nourrissant le secret (ou futur) espoir de multiplier (ou démultiplier) cette louable démarche.

Pas forcément facile. Mais comme l’écrivait Charles Baudelaire dans l’un de ses ouvrages (« Mon cœur mis à nu ») :

L’ivresse n’est-elle pas dans le nombre ? …

 

Bernard VADON

Rédigé par Bernard Vadon

Publié dans #J - 2 - B ( Journal )

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