COP28 : Les promesses n’engagent que ceux qui y croient, dont Sultan Al-Jaber qui, selon certains chroniqueurs, « carbure » à l’or noir (et aux énergies renouvelables). Pas très rassurant alors que la température bat des records.

Publié le 7 Décembre 2023

 

« Du Vent de sable » de Joseph Kessel au « Vent Paraclet » de Michel Tournier en passant tout simplement par « Le Vent » de  Doroty Scarborough mais aussi « Autant en emporte le vent » de Margaret Mitchell et le « Vent africain » de William Dickinson ou encore « Vents » de  Saint-John Perse sans oublier « Le Vent » de Jean-Pierre Abraham et « Les Hauts de Hurle-Vent » d’Émilie Brontë, l’histoire passée à la postérité cinématographique, d'un chaos familial. Mais aussi  la plus belle, la plus profondément violente des histoires d'amour… autant d’illustrations de ces phénomènes météorologiques ou de vents catabatiques qui, en l’espace de quelques secondes, font table rase de tout ce qui meuble le relief.

Par extension, on pourrait aussi bien l’appliquer à tout ce qui « meuble » l’espace verbal et singulièrement ces promesses qui, c’est bien connu, n’engagent que ceux qui y croient.

ENRAYER LE RÉCHAUFFEMENT

La COP28 (édition annuelle de la Conférence des parties (COP) sur les changements climatiques, s'est ouverte à Dubaï - Émirats arabes unis- le 30 novembre dernier.

Sa localisation dans le Golfe persique, au coeur du principal complexe gazier et pétrolier mondial, illustre la puissance des producteurs d'énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz) et fait quelque peu douter de la capacité de ce grand barnum à prendre des mesures effectives pour enrayer le réchauffement climatique... d’autant que la température ambiante ne cesse de croître.

Sultan Al-Jaber 

Tant il est vrai que le président désigné n’est autre que Sultan al-Jaber acteur reconnu du secteur énergétique à l’échelle du globe.

Rien que ça !

Bref, le PDG de la compagnie pétrolière nationale d’Abu Dhabi est aussi le fondateur de Masdar, le géant émirati des énergies renouvelables et cela va de soi ou presque : ministre de l’Industrie et des technologies avancées des Émirats arabes unis.

La coupe est pleine.

Même si la couleur verte n’est pas seulement celle de l’Islam elle compense sinon rassure au regard des ambitions à l’image du parcours universitaire de ce titulaire d'un doctorat en commerce et en économie, obtenu à l'université de Coventry (Royaume-Uni). Avant cela, Sultan al-Jaber a étudié le génie chimique et pétrolier ainsi que l'administration des affaires aux Etats-Unis.

Ceux qui travaillent pour lui l'appellent "Docteur Sultan" a œuvré, tout au long de sa carrière, à faire de son pays une superpuissance énergétique à deux têtes.

Tout le problème est là.

On est à des années-lumière de l’idéalisme transcendantal de Kant validant le pouvoir de la raison en mettant en lumière ou évidence les conditions de son usage légitime et donc ses limites.

Plus prosaïquement et selon la BBC  l’équipe du « Docteur Sultan »  aurait même profité de la préparation de ce sommet pour prospecter de nouveaux marchés dans les fossiles. Alors que seule une réduction drastique et rapide de notre dépendance aux hydrocarbures permettra d'enrayer la hausse des émissions de gaz à effet de serre responsables du réchauffement climatique, comme le martèle le dernier rapport du Giec, la casquette de pétrolier de Sultan al-Jaber fait de l'ombre aux enjeux de cette COP cruciale. Mais elle met aussi en lumière la complexité de la transition attendue des pays pétro-gaziers.  

En 2006, le sultan Al-Jaber devient à 33 ans directeur et fondateur de l'Abu Dhabi Future Energy Company (ADFEC). L'entreprise nationale est alors chargée de mettre en marche "l'initiative Masdar". En clair, un plan de développement des énergies renouvelables qui comprend, entre autres, des projets de fermes solaires démesurées, un centre universitaire à la pointe de la recherche et la construction de "la première ville zéro carbone au monde" dans le désert nommée Masdar City.

Dans son livre « Aux pays de l'or noir », Philippe Pétriat, historien et spécialiste du Moyen-Orient contemporain raconte comment la hausse des prix des hydrocarbures a fait exploser les revenus des états producteurs du Golfe, à partir du choc pétrolier de 1973 :

« Cette année-là, lorsque Sultan al-Jaber voit le jour, les compagnies nationales sont en train de reprendre la main sur cette ressource, jusqu'alors exploitée par les entreprises occidentales. »

DÉCLIN TERMINAL !

Simon Steill occupe depuis un peu plus d’un an le poste de secrétaire exécutif sur le changement climatique aux Nations Unies. Autrement dit : c’est lui le monsieur Climat de l’ONU. 

Il s’exprimait à l’ouverture de la COP28 à Dubaï. 

Un discours combatif sur la nécessité de sortir des énergies fossiles, faute de quoi, « nous préparons notre propre déclin terminal ». 

Quelques minutes auparavant, le président de cette même COP, Sultan Al Jaber, ouvrait les festivités de ce rendez-vous mondial annuel. Les énergies fossiles, il connait. Et pour cause puisqu’il dirige une des principales compagnies pétrolières des Émirats arabes unis et son pays, une pétromonarchie, trône à la 7e place mondiale des producteurs d’or noir. 

Dans ces conditions, était-il le mieux placé pour présider un rendez-vous dont un des objectifs est, a minima, d’inscrire dans le communiqué final la nécessité de réduire la place des hydrocarbures ?

Quant à faire endosser la sortie du pétrole par un géant du secteur, n’est-ce pas mettre « un renard dans un poulailler » comme le formulait l’ancien vice-président américain Al Gore ? 

Ou bien au contraire, est-ce le meilleur moyen de prendre le risque de mettre les rois du pétrole face à leurs responsabilités ?

Mais en se focalisant sur les monarchies pétrolières, ne perd-on pas de vue notre propre responsabilité ?

Question manifestement fondamentale

Comme l’écrivait récemment le politologue François Gemenne dans une tribune pour le journal Libération :

«  Si l’on voulait exclure de l’organisation des COP les pays qui ont construit leur richesse sur l’extraction des énergies fossiles, il faudrait alors exclure l’ensemble des pays industrialisés, à commencer par les pays européens. Le fait est qu’en matière d’énergies fossiles, pas grand monde ne peut revendiquer une exemplarité. »

En somme, la réponse du berger à la bergère.

En attendant, les investissements mondiaux dans les énergies propres, les renouvelables, ne cessent d’augmenter ; leur part est désormais de 30% dans le mix électrique mondial et 2023 promet d’être une année record pour la demande de pétrole. Quant aux subventions dévolues aux hydrocarbures, dopées par la flambée des prix de l’énergie, elles n’ont jamais été aussi élevées : instaurer un bouclier tarifaire sur le prix du gaz ou de l’essence, c’est aussi une façon de subventionner les énergies fossiles. 

Alors, sommes-nous vraiment prêts à en sortir ?

Manifestement la question qui tue !

FREINER OU S’ADAPTER ?

Comme la précédente COP, en novembre 2022, cette COP 28 se préoccupe moins de freiner le réchauffement climatique que de s'y adapter. Refrain malheureusement connu

Pour preuve, l'intervention de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) soucieuse de prendre en considération les risques sanitaires induits par la hausse des températures. Comme l'an dernier, l’espoir pour les pays les plus pauvres d'une aide financière destinée à pallier les dommages et les pertes qu'ils pourraient subir du fait de ce réchauffement climatique.

Même si le message a été entendu – quoique -  n’y aura-t-il pas trop loin de la coupe aux lèvres ?

Les représentants de l'OMS ont de leur côté rappelé que les particules fines émises par la combustion des énergies fossiles (principalement le dioxyde d'azote) seraient responsables de la mort prématurée de quatre à sept millions de personnes par an dans les métropoles.

Incontestablement affligeant mais cela n'a rien à voir avec l'effet de serre et le réchauffement climatique !

En effet, la pollution urbaine a atteint son maximum à Londres au XIXe siècle, bien avant que les émissions de gaz à effet de serre ne saturent l'atmosphère. Aujourd'hui, cette pollution demeure élevée dans les mégapoles des pays émergents. Elle est par contre très faible et à la baisse dans les cités des pays développés.

De plus, l'appel à aider les pays les plus pauvres se heurte à un redoutable obstacle, celui des choix.

Exclues l'Inde et l'Asie du Sud-Est qui participent activement aux émissions de gaz à effet de serre avec l'ouverture chaque semaine de nouvelles centrales au charbon. De même l'Amérique latine qui ne ménage pas ses ressources naturelles (Amazonie et terres rares) et bénéficie de réserves foncières importantes qui la mettent pour longtemps à l'abri du réchauffement climatique ; quant à  l'Afrique équatoriale et australe, exceptionnellement dotée par Dame Nature en terres arables et bien arrosées, elle est victime de l'incurie de ses gouvernants bien plus que du dérèglement climatique.

Alors ?

Restent le Bangladesh surpeuplé et menacé de submersion ainsi que l'axe islamique, de Marrakech à Lahore. Un axe qui inclut les pays du Golfe, riches comme Crésus et cerise sur le gâteau, grands émetteurs de gaz à effet de serre, bien placés pour aider leurs pays frères, Bangladesh inclus.

Le cas désespéré est celui de l'axe sahélien, de Dakar à Mogadiscio, mais là, le principal problème n'est pas tant le réchauffement climatique, bien réel, que l'insécurité et l'explosion démographique qui rendent vains tout effort financier. 

CLIMATOSCEPTIQUE

En mars 2023, le groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat (GIEC) a publié son sixième rapport, une compilation de toutes les données scientifiques sur le sujet à partir de laquelle le président du GIEC, Jim Skea donne sa réponse :

« Il faudrait réduire respectivement l’utilisation du charbon, du pétrole et du gaz d’environ 95 %, 60 % et 45 % d’ici à 2050 pour limiter à 1,5°C la hausse des températures depuis l'ère industrielle. »

On n'en prend pas le chemin !

Enfin, la guerre d'Ukraine a favorisé la réouverture de centrales au charbon en Allemagne, en Pologne et même en France (à Cordemais en Loire-Atlantique) et à Saint-Avold (en Moselle). Elle a derechef conduit les Européens à remplacer le gaz naturel russe par du gaz naturel liquéfié américain, beaucoup plus polluant.

Dans le même temps, on assiste un peu partout à une remise en question des politiques de transition énergétique avec l'arrivée au pouvoir de dirigeants farouchement climatosceptiques dont le nouveau président argentin, Javier Miliei. 

Une incitation à rebattre les cartes qui n’épargne pas le président de la COP28, Sultan Al-Jaber, par ailleurs ministre de l'Énergie des Émirats arabes unis lequel a stupéfait l'opinion en déclarant maladroitement (ou pas) le 21 novembre dernier : 

« Aucune étude scientifique, aucun scénario, ne dit que la sortie des énergies fossiles nous permettra d’atteindre 1,5 °C. (…) Montrez-moi la feuille de route d’une sortie des énergies fossiles qui soit compatible avec le développement socio-économique, sans renvoyer le monde à l’âge des cavernes. » 

Autant dire que nous sommes mal partis pour un accord ambitieux et crédible sur la réduction des énergies fossiles d'ici la clôture de cette COP28.

L’HEURE EST GRAVE !

Quant au souverain pontife il ne fait à nouveau pas dans la dentelle pour déclarer quasi « urbi et orbi » :

"Je ne peux malheureusement pas être présent parmi vous comme je l’aurais voulu, mais je suis avec vous parce que l’heure est grave".

Dans son message, lu par le cardinal secrétaire d’État du Saint-Siège Pietro Parolin à Dubaï, le Pape a en effet renouvelé son appel urgent à une "conversion écologique" et à une "culture de la vie".

Il défend par ailleurs la voix des pays pauvres, qui, selon lui,  ne sont pas responsables du dérèglement climatique, et propose un chemin pour accélérer la transition énergétique.

 

Sinon l'homme de l'année ( quoique) celui de la situation !

Le pape aurait dû être – comme nous l’avons écrit ici même dans un précédent article -  l’un des chefs d’État les plus remarqués de la COP28 de Dubaï. François est en effet le premier pape de l’histoire à avoir accepté de participer à un sommet international sur le climat. Mais le pontife argentin a dû malheureusement renoncer à ce projet pour raisons de santé.

Il a donc confié au cardinal Parolin, la mission de lire son discours dans lequel l’auteur de l’encyclique « Laudato si » rappelle que les changements climatiques en cours sont bien la résultante d’une activité humaine devenue insoutenable pour l’écosystème :

 "Le climat devenu fou sonne comme une alarme pour stopper ce délire de toute-puissance".

Invitant l’humanité à reconnaître avec humilité et courage ses limites, il fustige les "divisions" et les "positions rigides, voire inflexibles", qui protègent les intérêts particuliers tout en notant que le réchauffement de la planète s’accompagne d’un refroidissement général du multilatéralisme.

Pan dans le mille !

Et la débauche sinon la démesure du consumérisme, qui s’impose à Dubaï plus qu’ailleurs, en témoignent.

Citant sa dernière exhortation sur le climat intitulée « Laudate Deum », publiée le 4 octobre dernier et sur laquelle nous avions disserté, le Pape conseille le rétablissement de règles globales et efficaces afin d’enrayer la défiance croissante à l’égard de la communauté internationale.

Bon courage quand même !

LA FAUTE DES PAUVRES

Enfin, le Saint-Père déplore vivement dans son message, je cite :

"La propension à faire retomber la responsabilité [du dérèglement climatique] sur les nombreux pauvres et sur le nombre de naissances".

Fidèle à la ligne du Saint-Siège de porter la voix des périphéries et à défendre avant tout la vie, le pape insiste :

"Ce n’est pas la faute des pauvres puisque près de la moitié du monde la plus pauvre n’est responsable que de 10% à peine des émissions polluantes, alors que l’écart entre les quelques riches et les nombreux démunis n’a jamais été aussi abyssal".

Et plutôt que de leur faire porter la responsabilité, le pape propose de supprimer les dettes financières qui reposent sur eux, à la lumière également de la dette écologique qui leur est due.

Un appel qu’il a formulé à de nombreuses reprises depuis son accession au trône de Pierre, en 2013.

Concernant la croissance démographie, souvent pointée du doigt comme une cause du réchauffement climatique, le pontife argentin prône l’inverse  :

« Les naissances ne sont pas un problème, mais une ressource".

Et le pontife s’agace des modèles idéologiques et utilitaristes imposés avec des gants de velours aux familles et aux populations.

Pour le chef de l’Église catholique, il s’agit là encore de "véritables colonisations"».

Selon la vieille et bien connue formule : ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément !

Su le principe on peut faire confiance à François dont le dénuement. Au diable ( c’est le cas de le dire ) « le Vatican combien de divisions ! »

CULTURE DE LA VIE OU DE LA MORT ?

Dans son message, le Pape rappelle aussi que les questions environnementales ne sont pas si éloignées des questions de paix :

"Combien d’énergie l’humanité gaspille-t-elle dans les nombreuses guerres en cours, en Israël et en Palestine, en Ukraine et en beaucoup d’autres régions du monde ?",

Et de renouveler sa proposition de consacrer les ressources financières dédiées à l’armement à un fonds mondial contre la faim ou bien au développement durable :

"Que cette COP soit un tournant" plaide le Pape qui avait déjà et sans ménagement fustigé dans Laudate Deum les "résultats médiocres" des plusieurs sommets du même type :

« Pour ce faire, la conférence de Dubaï doit accélérer la transition écologique en fixant des objectifs efficaces, contraignants et facilement contrôlables, et ce dans quatre domaines : l’efficacité énergétique, les sources renouvelables, l’élimination des combustibles fossiles et l’éducation à des modes de vie moins dépendants de ces derniers" martèle le pontife tout en spécifiant aux responsables politiques que leur mission est de servir :

"Il ne sert à rien de préserver aujourd’hui une autorité dont on se souviendra demain que pour son incapacité à intervenir quand cela était urgent et nécessaire".

Une recommandation universelle qui va bien au-delà des bavardages de la Cop … suivez  à nouveau mon regard vers d’autres entités régaliennes.

Et de poser aux différentes gouvernances la question qui fâche :

"Œuvrez-vous pour une culture de la vie ou bien pour celle de la mort ?".

 

Bernard VADON

 

Rédigé par Bernard Vadon

Publié dans #J - 2 - B ( Journal )

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