D’Hier à aujourd’hui, l’immigration façon Charles Martel ou retour circonstancié à l’envoyeur, abaya turban et hidjab en prime !

Publié le 14 Décembre 2023

 Le récit de la bataille de Poitiers pourrait se situer entre celle de Toulouse, lorsque le gouverneur arabe al-Samh meurt sous les murs de la cité face à Eudes, prince d'Aquitaine, et celle de la Berre (en 737) au cours de laquelle les Francs battirent à plate couture l’armée arabe venue au secours de Narbonne assiégée. Un épisode de la grande Histoire.

Selon Michel Rouche – historien français, professeur émérite des Université, spécialiste de l’histoire de la Gaule entre l’Empire romain et le Moyen âge – il est intéressant de noter que les auteurs des « Chroniques mozarabes »  - ces documents rédigés à partir de l’an 754 par des moines chrétiens espagnols réfugiés dans les Asturies en raison  de la conquête musulmane de l'Ibérie, devenue al-Andalus quarante ans auparavant et, qui à ce titre, avaient le droit de pratiquer leur religion durant l’occupation arabe – voient poindre à l’issue de cette victoire des Francs, l’espoir d’une libération possible de la domination politique de l’Islam.

Remontons le temps.

HYPOTHÈSE

Abd al-Rahman 1er - surnommé le « conquérant » ou l'Exilé, mais aussi « le Faucon des Quraych », né à Damas en mars 731 et mort à Cordoue le 30 septembre 788 après avoir été fondateur omeyyade de l'émirat de Cordoue, Al-Andalus - entre en conflit avec Charles Martel.

Nous sommes en l’an sept cent trente-deux.

Charles Martel

Poitiers, longtemps considérée comme l’un des mythes fondateurs de la nation française, à l’issue de la fameuse bataille du même nom, aurait alors permis à Charles Martel d’écraser les Arabes évitant ainsi à la France et à la chrétienté le turban et le hidjab. Une hypothèse.

Mais au fond que s’y est-il vraiment passé ?

Et que signifiait, pour les contemporains, cette belliqueuse passe d’armes entre une coalition chrétienne hétéroclite menée par Charles Martel et une armée sarrasine non moins composite constituée de Berbères, de Juifs, de Mozarabes, de captifs chrétiens et autres mercenaires dirigée par l’émir Abd er-Rahman ?

Quelles traces cette bataille laissa-t-elle dans les mémoires ?

C’est à ces questions, et quelques autres – notamment la place de l’histoire dans le jeu de l’intégration – que s’est intéressé le romancier, journaliste et historien, Salah Guemriche. (1)

Salah Guemriche

Notre auteur n’en est d’ailleurs pas à son coup d’essai avec Poitiers.

En 1995, il avait déjà publié un roman historique sur les amours d’une chrétienne et d’un musulman. Un mariage mixte, comme on dirait aujourd’hui. En plein Moyen-Âge. Ce qui ne fut pas, on l’imagine aisément, du goût de ces familles avant tout  soucieuses de pureté et d’endogamie confessionnelle (obligation de se marier entre membres de la même tribu) . Surtout du côté mahométan.

D’autant que du côté de la belle Lampégie, fille d’Eudes, duc de Toulouse, ce mariage avec Munuza, le gouverneur attitré de Narbonne, confortait une alliance, et permettait d’envisager plus sereinement et surtout géopolitiquement parlant,  les "coups de boutoir des légions franques de Childebrand, le frère de Charles Martel".

En somme, d’une pierre deux coups !

DANGER PRESSANT

Important « marché » du  moins pour le duc; ce dernier laissant à la duchesse le soin d’apprécier cet « amour d’Antéchrist ».

Ben voyons !

Mais attention au retour de manivelle, notamment à Cordoue où la mésalliance provoquera le courroux des Arabes farouches gardiens de l’ordre :

 "Le danger était pressant(…) Pressant oui mais moins pour l’Europe que pour l’Islam" écrit Salah Guemriche.

Alors, ni une ni deux, en un mot  fissa ( vite) comme on dit là-bas,  l’émir décide d’aller s'expliquer avec ce Berbère enamouré, remettre au passage un peu d’ordre entre le croissant et la croix et en profiter pour calmer les velléités de ces Berbères récalcitrants et frustrés des fruits de leurs efforts. Si l'on peut dire ainsi ces choses.

Bref, s'il est vrai que pour moins que ça, aujourd’hui encore, et bientôt en 2024, on (ré)expédie ces embarrassants rejetons au bled, on déshérite, on chasse, on violente ou on se retire sous sa tente… fermez le ban, il n’y a rien à voir !

Déjà, en 716, Abd el-Aziz, le tout premier émir de Cordoue, paya de sa vie son mariage avec la très chrétienne Egilone, veuve de Rodéric.
A l’origine de la bataille de Poitiers y aurait-il donc une histoire d’amour occultée ?

"Chercher la femme" remarque de son côté sur un air coquin,  le journaliste Mustapha Harzoune.

Ici, la belle se prénomme Lampégie, laquelle aurait terminé ses jours dans un lointain harem oriental. Une légende, plus romantique et propice aux incursions touristiques, qui voudrait aussi que les amoureux reposassent côte à côte dans un mystérieux édifice religieux, appelé mezquita par les Catalans du cru, sorte de mélange d’église et de mosquée, dans la région de Planès en Cerdagne.

On peut rêver.
De fait, l’affaire réglée,  l’émir décide, sur l’insistance de son lieutenant berbérophobe,  Djedi ibn Zeyane, d’aller provoquer les chrétiens et ouvrir "la route de la razzia du siècle".

De bonne guerre, pourrait-on dire.

 

Il faut reconnaître que cette armée  "levée à la hâte", une "armée de raids, une force de frappe ( comme on dirait aujourd’hui)  mais pas forcément de conquête", une armée essentiellement constituée de soldats, de mercenaires et autres cupides personnages  surtout soucieux, pour reprendre le propos de l’auteur,  de s’en mettre plein le burnous à l’occasion de rapines tous azimut.

Ainsi, de Dax à Bordeaux en passant par Mont-de-Marsan et Périgueux, la soldatesque mahométane accumulera un butin et des trésors de guerre conséquents.

Quant à la cité de Tours, elle suscite tout particulièrement les convoitises. Notamment, la basilique qui regorge de trésors étant entendu que pour l’émir, "la Rome des Gaules" représente un symbole. Une autre bonne raison de lever le sabre. Finalement, son expédition sera un modèle parfait d’improvisation d'autant qu'avec le soutien d’Allah, Le Miséricordieux, rien n’est impossible au croyant !

Alors, "yalah !"  … comme disait sœur Emmanuelle et haro sur Tours !
 

GUERRE DE CIVILISATION ?

En face, il n’est pas certain que ces cupides Sarrazins puissent inquièter le Pippinide – dérivé du prénom Pépin - Charles Martel. Mieux, les difficultés d’Eudes, le Toulousain réfractaire, pourraient faciliter ses visées territoriales en Aquitaine. Enfin, plus au nord, sa chère Austrasie demeure toujours menacée, sur ses marges établies, par les Saxes, les Burgondes, les Bavarois et autres Alamans.
Nos protagonistes semblent donc bien loin de jouer à une "guerre de civilisation" avant l’heure et de mener une querelle de clochers et de minarets en terre poitevine avant quelques votations helvètes d’un autre siècle ou encore d’incarner une France - et pourquoi pas encore une Europe - dressée comme un seul homme face aux hordes sarrasines et mahométanes, arabes et musulmanes.

C’était hier. Qu’est ce qui a véritablement changé ?
En tout état de cause, Salah Guemriche cesse alors d’être romancier pour devenir un authentique historien en dévoilant le dessous des cartes et révéler qu’Abd er-Rahman semble au fond plus emporté par son élan et l’avidité de ses troupes que maître d’un projet d’expansion mûrement préparé.

Quant à Charles Martel, censé avoir "écrasé les Arabes à Poitiers", il aurait surtout cherché à étendre les limites de son influence et devenir, grâce à l’adoubement papal, calife à la place du calife, autrement dit, virer ces rois fainéants de Mérovingiens pour asseoir sur le trône une nouvelle dynastie, la sienne, à savoir les Carolingiens.

C’est finalement son fils, Pépin le Bref, qui héritera de la couronne en 751.
La France comme l’Europe n’existe pas et  des exactions attribuées aux armées musulmanes seront commises dans le Berry, en Provence, à Bourges, Nîmes, Arles, Béziers, Agde ou Montpellier par "ces sauvages d’Austrasiens", les troupes franques du "tyran" Martel.

D’ailleurs, "tiers-mondiste" avant l’heure, Anatole France avait fait dire à un des personnages de La Vie en fleurs, anticipant tout de même de quelques siècles l’aura de la civilisation musulmane (et non arabe) :

« C’est au jour de la batailles de Poitiers [que] la science, l’art et la civilisation arabes reculèrent devant la barbarie franque."
 

Vous me suivez ? 

REMAKE

Selon Mustapha Harzoune – journaliste et historien, analyste et critique de la littérature arabophone et arabo francophone  collaborateur à la Cité nationale de l’Histoire de l’immigration - Salah Guemriche invite plutôt à repenser la place de l’histoire chez ses contemporains, à revisiter, pourquoi pas,  l’enseignement de ce moment historique dans les manuels scolaires et surtout à se pencher sur les traces laissées dans les esprits et les mémoires de nos chérubins, de souche mais aussi de "souche nouvelle" comme il se plait à définir celles et ceux qui, arrivés dans les valises des migrations, ont le bonheur de naître sur cette vieille et bonne terre gauloise, franque et un peu sarrasine, notamment du côté de Largentière ou en Aquitaine….

Constatation reconnue entre autre et non sans une certaine forme d’humour.

Au fond, Salah Guemriche – explique Harzoune - se désintéresse des ressorts d’une identité nationale et démontre comment une conception utilitaire de l’histoire a convoqué, au fil des siècles, Poitiers et Charles Martel, "au gré des nécessités politiques ou idéologiques".

En clair, nécessité fait loi !

Qui a dit que l’Histoire était au fond un éternel recommencement ?

En réalité, un remake d’un film revisité dans lequel seul le casting change. Les moyens aussi d'ailleurs mais généralement pas la méthode pourquoi pas celle de Descartes qui, dans son fameux « Discours de la méthode »  ambitionne ( sic) d’élever tout le savoir humain de la simple probabilité au niveau de fiabilité des mathématiques qui, si elles sont vaines par l’abstraction absolue de leur objet, doivent inspirer au philosophe la rigueur de leur méthode.

Dont acte.

Mais revenons à Salah Gemriche qui poursuit en observateur averti en notant avec précaution que ce qui l’intéresse en franc-tireur, curieux et iconoclaste, c’est bien de débusquer, je cite  "la logique (…) d’une intégration nationale".

Prenant en quelque sorte de nouveau à témoin l’historien Marc Bloch, fondateur par ailleurs, avec Lucien Febvre, des Annales d'histoire économique et sociale, en 1929 et auteur de "L'Étrange Défaite", ouvrage de référence sur la bataille de France, il rappelle :

 "L’ignorance du passé ne se borne pas à nuire à la connaissance du présent ; elle compromet, dans le présent, l’action même". »

Sans oublier ce proverbe arabe cité par le grand historien :

 "Les hommes ressemblent plus à leur temps qu’à leurs pères".


 Bernard VADON


(1) Né en 1946 à Guelma  en Algérie ; Salah Guemriche, de nationalité algérienne, vit en France depuis 1976. D'abord instituteur, puis universitaire, en sciences de l'information et de la communication, il a publié de nombreuses études sur la question.
Journaliste indépendant, il a également  collaboré à divers journaux et revues. Salah Guemriche raconte dans un ouvrage paru aux Éditions Perrin  la véritable histoire de la bataille de Poitiers, telle  qu'elle fut vécue des deux côtés, musulman et chrétien « Il dissèque ce mythe national construit au fil des siècles pour faire peur. Poitiers ne fut pas le Waterloo des Arabes et, malgré les lourdes représailles exercées par les Francs dans le Midi, beaucoup de musulmans y firent souche. Sans que cela ait jamais gêné personne ». A Antibes-Juan les Pins dont je suis natif un quartier dominant la baie n’a-t-il pas été baptisé le quartier Sarah Martel ? Un souvenir hautement pérenne.

 


Une autre analyse de Salah Guemriche ...
 

« Célébré et béni », Charles n’aura pas besoin de l’intercession de l’Église auprès du Seigneur… Et « Poitiers » ressurgira dans l'histoire par intermittence, au gré des impératifs du moment. D'abord, avec les Croisades. Puis, avec Jeanne d'Arc : la légende dit que, parmi les voix que la Pucelle entendit, celle de sainte Catherine lui enjoignit de se rendre à Fierbois (entre Châtellerault et Poitiers), pour y déterrer l'épée de Charles qui devait lui donner la force de bouter les Anglais. Au XIXe siècle, avec la pédagogie coloniale, Poitiers réinvestit les manuels. Pendant la Seconde Guerre mondiale, dans l’Indre, un réseau de résistants prend le nom de Brigade Charles Martel. En pleine guerre d'Algérie, les écoliers indigènes étaient tenus de déclamer la formule choc : « En l'an 732, Charles Martel écrasa les Arabes à Poitiers ».

Dans les années 1960, un courant d'extrême droite, issu de l’OAS et hostile à l'immigration, prendra le nom de Charles Martel. Pour la petite histoire, signalons qu'en 1989, lorsque la France voulut « porter un coup d'arrêt décisif à l'invasion » (sic) des magnétoscopes japonais, Poitiers fut choisie comme centre de contrôle des importations, pour lequel les services de douanes eurent recours à un code chiffré, à usage interne. Plus près de nous, le FN et son affiche-collector : « Martel 732, Le Pen 2002 ». Et en 2015, ce 7 juin, revoici donc les Identitaires et Riposte laïque qui, face à l’avancée inexorable de l’Antéchrist mahométan, remettent en selle un croque-mitaine portant la croix et le marteau.

Vénérer à ce point le passé conduit, à l'évidence, à l’inventer. 

En résumé :

Peu de batailles dans notre histoire auront nourri autant de fantasmes que celle de Poitiers. Depuis Chateaubriand, les Français ont appris que la victoire de Charles Martel avait sauvé la France du péril musulman.
Mais de quelle France s'agit-il  alors que ses frontières ne sont pas celles que l'on connaît aujourd'hui et quel est ce péril musulman ?

L'Espagne, conquise par les Arabes dès 711, s'étend, à la veille de Poitiers, au-delà des Pyrénées. Ainsi, la Septimanie, notre actuel Languedoc-Roussillon, est-elle de facto une province arabo-berbère gouvernée par Munuza depuis Narbonne ?

Les religions du Livre y cohabitent jusqu'au jour où Munuza épouse une chrétienne, Lampégie d'Aquitaine, fille du duc de Toulouse; mais pour l'émir d'Espagne Abd er-Rahman, Munuza est un infréquentable renégat qu'il faut punir.

Pour le duc des Francs, Charles, cette alliance est sans conteste une menace et une provocation générant la mise en place de conditions en vue d'une confrontation qui demeurait jusqu'alors méconnue.

Toutes ressemblances avec la période actuelle serait évidemment fortuites … je plaisante bien sûr. Quoique …
 

 

 

 

 

 

Rédigé par Bernard Vadon

Publié dans #J - 2 - B ( Journal )

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