LA STRATÉGIE DE LA TABLE XXL OU L’ART DE BROUILLER LES CARTES !

Publié le 13 Avril 2023

Un de mes bons amis et néanmoins lecteur fidèle de mon blog sans pour autant compter parmi les thuriféraires de circonstance ne partage pas totalement ma dernière analyse inspirée d’une lecture de la théologienne Annick de Souzenelle et de l’anthropologue Emmanuel Todd sur l’état actuel du monde de la géopolitique et cela, sur fond de troisième guerre mondiale.

Il n’y avait pas, dans mes propos, de certitude quant à cette issue tragique sinon des craintes justifiées par des comportements dictatoriaux de la part des grands maîtres actuels de l’ordre mondial.

Ceux-là même qui ont inauguré la stratégie de la table XXL -  les russes et les chinois en particulier – où ont été conviés les roitelets du moment. Suivez mon regard.

Louable initiative quant à initier le dialogue.

Malheureusement, c’est aussi sans compter avec la loi du plus fort ou du plus rusé.

Le président chinois vient d’en donner récemment la preuve en montrant ses muscles dans le détroit de TaÏwan.

Les manoeuvres dans le détroit de Taïwan pendant que Xi Pinjing initie Emmanuel Macron à la tradition du thé ...

Même s’il y a encore loin de la coupe aux lèvres dans ce jeu d’influence, l’arrogance et le culot ne sont pas suffisants pour s’immiscer dans cette compétition de cap et d’épée dont on sait qu’elle privilégie autant les péripéties que les rebondissements et le suspense. Le président français en a fait les frais et essuyé, façon de dire, les plâtres, en échange de quelques contrats de compensations histoire de justifier le déplacement.

L’évidence que l’avenir de la planète, dans cet autre jeu du chat et de la souris, se jouant du côté de Pékin où déjà, le mois dernier, le rapprochement entre l’Iran et l’Arabie Saoudite, sous la houlette de Xi Jinping, en a surpris plus d’un, à commencer par le président américain. L’administration de Donald Trump n’avait pas réagi attisant plus encore le ressentiment, et surtout les inquiétudes, du royaume saoudien. L’arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche n’a rien arrangé. Sans oublier dans ce jeu de dupes, l’entrée en lice du premier ministre israélien Benjamin Netanyahou. Là-bas, on ne perd jamais le Nord.

« Manner makes the man » ....

Pour Xi Jinping,  nouveau venu – si l’on peut dire – dans le jeu diplomatique occidental, l’accord scellé par Ali Shamkhani, secrétaire du conseil national de sécurité iranien, numéro 3 du régime, et le dignitaire saoudien Musaid al Aiban, est un signe du recul de l’influence américaine au Moyen-Orient, et surtout une nouvelle voie royale dans ces régions pour le quasi inamovible président chinois qui entre ainsi, et en grand, dans le complexe jeu moyen-oriental dominé par les Etats-Unis depuis février 1945 après le pacte scellé sur le cuirassé Quincy entre le président Roosevelt et Abdelaziz Ibn Saoud qui assurait à Washington un accès privilégié au pétrole du Royaume en échange d’une protection militaire.

Gilles Kepel, politologue français, spécialiste de l'islam et du monde arabe contemporain estimant :

"La Chine misait jusqu’ici au Moyen-Orient sur les Routes de la soie et la puissance de son économie mais jamais elle ne  s’était imposée à ce niveau comme médiateur. C’est un tournant majeur."

Précisant encore :

« L’Arabie saoudite se sert de la Chine pour contrer la menace iranienne et obtenir des garanties de sécurité jugeant insuffisantes celles des Etats-Unis" .

Quand on vous dit que tout va bien.

« DESOCCIDENTALISATION » DU MONDE.

Selon Marc Semo – historien et grand reporter - évaluer ce que seront les conséquences concrètes de ce rapprochement irano-saoudien est difficile tant sont nombreux - et profonds - les contentieux entre ces deux puissances du golfe qui veulent affirmer leur hégémonie régionale et se disputent le leadership du monde musulman ; au moins depuis 1979, année de la victoire de la "révolution islamique" en Iran. L’iman Khomeini appelant les sunnites à se soulever contre les pouvoirs conservateurs à commencer par la dynastie saoudienne. S’il a ses racines dans ce qui fut la première grande fracture dans l’islam après la mort du Prophète, cet affrontement était et reste avant tout politique, géopolitique. Dans un Moyen-Orient où la question palestinienne a perdu sa centralité, une alliance des monarchies sunnites, des États-Unis et d’Israël s’est structuré face à un Iran jugé d’autant plus menaçant qu’il intensifie son programme nucléaire et pourrait bientôt devenir ce que l’on appelle un "pays du seuil ".

En clair et comme le note Valérie Niquet, spécialiste de l’Asie  :

« Mine de rien, le président chinois enfonce des coins dans les alliances occidentales, en Asie et en Europe. »

On peut lui faire confiance.

Xi Jinping et Joe Biden : le grand défi.

Cerise sur le gâteau, dans un document de dix pages intitulé "Initiative pour la sécurité mondiale", Pékin propose carrément  "d’éliminer les racines des conflits" soulignant qu’il n’y a pas seulement la guerre en Ukraine, mais nombre d’autres "problèmes relatifs à la paix et aux moyens d’existence des gens » de par le monde.

Ah, bon !

Ainsi, sans sourciller – on croit quand même rêver - Xi Jinping propose un plan de paix en douze points sur l’Ukraine lequel appelle, dès le début du texte, au respect de l’intégrité territoriale des États.

Singulière vue de l’esprit entre le président Poutine revendiquant au nom de la grande Russie le retour de l’Ukraine dans le giron national et le président Xi Jinping moins regardant lorsqu’il s’agit de Taïwan.

L'unique voix sage et désintéressée .

Lors de la célébration de la fête de Pâques sur la place Saint Pierre à Rome, le Pape François a exprimé sa “vive inquiétude” en raison de la recrudescence des violences au Proche-Orient qui menace, selon lui, le “dialogue” entre les peuples de la région :

« Les violences survenues à Jérusalem-Est occupée “menacent le climat souhaité de confiance et de respect réciproque nécessaire pour reprendre le dialogue entre Israéliens et Palestiniens”, a déclaré François.

En effet, la même semaine fut marquée par une recrudescence des violences au Proche-Orient, notamment à Jérusalem-Est occupée. Les forces israéliennes ont pris d’assaut la mosquée Al-Aqsa, arrêtant plus de 350 personnes.

Ce raid israélien s’est produit pendant le mois sacré du Ramadan et à la veille de la fête de la Pâque juive, dans un contexte de troubles croissants entre Israéliens et Palestiniens. L’ONU et l’Union européenne ayant appelé à la retenue après cette escalade.

Parle toujours, tu m’intéresse !

Interpelant de son balcon papal la communauté internationale, le souverain pontife l’a invitée à “mettre fin au conflit en Ukraine et à toutes les guerres qui ensanglantent le monde”.

Sans oublier le Liban, « en recherche de stabilité et d’unité” mais aussi la Tunisie et « ses problèmes sociaux et économiques” en passant par la “grave crise socio-politique et humanitaire” en Haïti et les “victimes du terrorisme international” au Burkina Faso, ainsi qu’au Mali, au Mozambique et au Nigeria.

De quoi faire !

Et demain ?

INDEPENDANCE

Pas question de jouer les « Madame Soleil » .

Dans les années 70, Jacques Vernant - Directeur d'études à l'École pratique des hautes études – publiait une étude intéressante sur la politique extérieure de la France.

Une autre époque et pourtant la tentation est grande d’établir un modeste parallèle entre hier et aujourd’hui dans un domaine où, comme il est écrit au fronton d’une école d’Oxford : « Manner makes the man », en d’autres termes, la première caractéristique de l’homme d’État , comme pour un acteur, c’est son style.

A l'image de De Gaulle mais n'est pas De Gaulle qui veut !

Exemple : pour le général De Gaulle, la forme frappait par ce qu’elle avait de direct, de franc, voire de brutal. Les positions étaient prises, les choses dites, le plus souvent, sans détours oratoires, sans précaution diplomatique. Les allusions, lorsqu’il y avait recours, étaient claires, transparentes pour ceux qui avaient confiance en lui. D’où il résultait un effet de choc et des échos prolongés qui étaient recherchés sans aucun doute. (…) Le général s’était trouvé habilité à parler au nom de la France, à s’identifier avec elle. D’où, sa liberté d’allure et de langage.(..) Pour De Gaulle, la politique étrangère était l’expression même de la nation sur la scène internationale. En tenant compte, bien évidemment, des règles spécifiques du jeu international.

Dans le monde (tel qu’il était alors) deux grandes puissances subsistaient. L’intérêt vital était donc de se  tenir en équilibre. Un équilibre qui se confond avec celui de la paix. Les nations et les États qui les incarnent dans l’arène internationale sont des réalités homogènes. (..) La conduite des affaires de la France exclut qu’elle ne se laisse prendre en remorque par qui ce soit d’extérieur. Le pilote doit avoir les yeux ouverts et les mains libres.

Les philosophes considérant, pour leur part, que l’indépendance est un « attribut » de l’existence. Lorsque cette indépendance est empêchée, l’existence nationale est compromise.

A bon entendeur …

Lorsqu’il décida – en 1966 – du retrait de la France de l’OTAN, De Gaulle considérait qu’il s’agissait tout simplement de rétablir une situation normale de souveraineté. Ni plus, ni moins. En tout cas, un moyen de maintenir une relation tant vers l’Est que vers l’Ouest. De même pour ce qui relève du Marché Commun qui doit s’affermir en accentuant son affranchissement.

Allusion à la perfide Albion qui privilégiera toujours ses relations avec les États-Unis.

Cela ne vous interpelle -t-il pas par les temps qui vont ?

De Gaulle avait raison qui pensait à une union totale de l’Europe contrairement aux anglais qui penchaient plutôt pour une union de l’Europe avec les puissances transatlantiques.

Oui, De Gaulle avait raison - relire à cet effet  les « Mémoires d’espoir ».  

Déjà, et à propos de l’Algérie, il déclarait :

« Aucune autre politique que celle qui vise à substituer l’association à la domination en Afrique du Nord française, ne saurait être, ni valable, ni digne de la France. »

En clair, l’intégration n’était pour lui « qu’une formule audacieuse et vide ».

Un exemple parmi tant d’autres – la présente conjoncture en est une – pour considérer combien l’intelligence politique consistait alors, comme aujourd’hui, à voir les réalités « du siècle » en face et à en tirer des conclusions compte tenu du véritable intérêt national.

En quelque sorte, clairvoyance et courage politique allaient de pair.

Au-delà des béatitudes de certains ignorant notre situation de quasi dernier de la classe entre Chine et États-Unis mais aussi entre Russie et Inde, cherchez l’erreur …  et surtout le souvenir de la France conquérante et gagnante.

Mais cela, c’était hier.

L’AUTRE GUERRE FROIDE

Aujourd’hui, les phrases peu diplomatiques d’Emmanuel Macron – le moins que l’on puisse dire – suscitent tollé et interrogations sinon l’incompréhension de tous bords. Le président français allant jusqu’à privilégier « l’autonomie stratégique de l’Europe » en écartant la tentation d’être « le vassal des États-Unis ». Mise en garde à laquelle l’ancien président Donald Trump a répondu à un média et en termes autrement moins élégants, moquant le comportement d’Emmanuel Macron lors de son voyage en Chine pour « lécher le cul de son interlocuteur Xi Jinping » (sic).

Le président français, refusant de commenter ce délicat reproche, confiait cependant à la presse :

« La pire des choses serait de penser que nous, Européens, devrions être suivistes sur ce sujet et nous adapter au rythme américain et à une surréaction chinoise ».

Quant au quotidien britannique « The Telegraph », il n’y va pas avec le dos de la cuillère en écrivant que la politique étrangère du président français Emmanuel Macron ne semble motivée que par sa glorification personnelle :

« Le président français semble croire qu’il combine le génie stratégique d’un Napoléon, la ruse diplomatique d’un Talleyrand et la stature héroïque d’un général de Gaulle, alors que dans la réalité, il a réduit la France à l’insignifiance géopolitique. Si le président français avait pour objectif de provoquer le chaos dans son pays et à l’étranger, il aurait difficilement pu faire mieux. » affirme le journal.

On peut rêver.

 Pour sa part, dans son dernier livre, « L’Autre Guerre froide ? La confrontation États-Unis/Chine » (CNRS Éditions), l’historien Pierre Grosser se penche sur les relations passées et présentes entre Chine et États-Unis pour « tenter de comprendre ce qui pourrait pousser à la guerre, mais aussi ce qui pourrait empêcher qu’elle ait lieu ».

Mais le président français n’en est pas pour autant à une ambiguïté près.

Ainsi, lors d’un déplacement à Kiev en compagnie d’Olaf Scholz et de Mario Draghi n’avait-il pas affirmé que la France soutenait l’effort de guerre en Ukraine et que le pays n’avait pas intérêt à ce que la Russie ne sorte pas trop affaiblie du conflit.

En clair :

« Ce qu’on est en train de vivre, c’est la mort cérébrale de l’Otan. Vous n’avez aucune coordination de la décision stratégique des États-Unis avec les partenaires de l’Otan et nous assistons à une agression menée par un autre partenaire de l’Otan, la Turquie, dans une zone où nos intérêts sont en jeu, sans coordination » a déclaré le chef de l’État français.

Tout comme au mois de juin de l’année dernière, alors même que le président Poutine se moquait quasi ouvertement des suppliques de son homologue français affirmant sans sourciller :

« Il ne faut pas humilier la Russie pour que le jour où les combats cesseront, nous puissions bâtir un chemin de sortie par les voies diplomatiques ».

Réitérant six mois plus tard :

« Qu’est-ce qu’on est prêt à faire pour donner des garanties pour sa propre sécurité à la Russie le jour où elle reviendra à la table des négociations ? ».

Allez comprendre !

Autrement dit et par les temps présents, suivez mon regard quant à découvrir les acteurs déconcertants de ce film déprimant et en l’occurrence, la singulière stratégie du premier de cordée français dans cette aventure de l’extrême.

 

Bernard VADON

Rédigé par Bernard Vadon

Publié dans #J - 2 - B ( Journal )

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