France-Maroc : Une relation ancienne, belle et exemplaire en situation de rupture. Tristesse.

Publié le 25 Avril 2023

 

Si toutefois on se cantonne dans une vision relativement idéaliste du sujet. Je dirais artistique sinon irréelle allant dans la mouvance de ce qu’écrivait Raoul Dufy à savoir que (je cite) : « Les yeux sont faits pour effacer ce qui est laid », s’imposera alors la théorie expliquant combien le lent rythme imposé aux images ne fait qu’accentuer leur spécificité. Gommant dans le même temps, tel un pinceau brossant la toile d’un geste large et élégant, tout ce qui pourrait rendre, aux mouvements de la vie quotidienne, ceux des femmes et des hommes mais aussi des animaux et singulièrement des fougueux chevaux du désert,   leur beauté originelle. 

Une vision quasi idyllique dans la mouvance d’un Pierre Bonnard qui estimait combien l’œuvre d’art est un arrêt du temps. On pourrait préciser plus encore, « Au bon moment. »

CE CIEL OÙ SE CACHE L’ÉTERNEL

Il suffit de s’élever au-dessus de cette terre d’élection – le Maroc - et d’effectuer à bord d’un aéronef une manière de come-back émotionnel

Que dire, en pareille situation, de la couleur qui transcende singulièrement la réalité pour la réinventer avec bonheur.

Manifestement et dans tous les sens de l’expression, la perfection, ou sa savante simulation, est ici au rendez-vous.

Pour le plaisir des yeux, sans conteste, mais également celui du cœur.

Une manière de stéréotype certes agréable. D’ailleurs, combien, à juste raison, ont remarqué cette couleur spécifique à la terre du Maroc. 

Que ce soit dans la magnifique violence des déchirures rocheuses du Haut-Atlas et des somptueux couchers de soleil; ou dans la tendresse des étendues verdoyantes d’un Haouz à l’infini. 

Par exemple. 

Ou encore, dans ces douars fondus dans la grisaille des vallons profonds ou perchés sur des promontoires rocheux comme pour défier ce ciel où se cache l’Éternel que l’on adore ou, selon, que l’on craint.

 Quant aux mégapoles de Casablanca à Rabat, en passant par Marrakech et tant d’autres cités mythiques ce n’est pas, loin s’en faut, l’opulence et l’ordre qui y règnent mais plutôt une sorte de réponse magique à une économie spécifique et quantitative mais aussi qualitative. Question d’appréciation et sans parti pris.

Pourtant, ce Maroc, ou plutôt cette vision de l’Empire chérifien, ne m’interpelait pas vraiment hors le contexte artistique qui m’est cher. Et cela, un peu, je le confesse,  à mon corps et esprit défendant. 

Comme dirait Matisse, une œuvre d’imagination se nourrit aussi d’espace et de profondeur comme celui que je parcours depuis des années et sur lequel j’ai pu commettre quelques modestes écrits.

Ce Maroc que j’aime et que j’ai toujours tant aimé et que l’on a encore besoin de me faire aimer. De nous faire aimer.

C’était au temps de la gouvernance, en qualité de Premier ministre, de mon ami Abderrahman El Youssoufi – une exceptionnelle figure de la vie politique marocaine – mais c’était aussi, en France, celui de la présidence Chirac et le souvenir d’une interview de début de règne – Mohammed VI n’avait alors que 38 ans – accordée par le jeune roi monté sur le trône en 1999 après la disparition de son père,  Hassan II.

Un entretien détaillé conduit par Charles Lambroschini pour le Figaro, au cours de laquelle Mohammed VI déclarait alors notamment :

« Le Président Jacques Chirac et Madame Chirac entretiennent avec ma famille des relations de très grande affection et d’une réelle proximité. J’ajoute que les Français connaissent et aiment le Maroc. Entre nos deux pays, il y a une capillarité culturelle, sociale et humaine qui transcende les difficultés de la conjoncture. » 

C’était hier.

Les temps ne sont malheureusement plus ce qu’ils furent. La France et le Maroc se toisent. Une trop belle et légendaire relation serait-elle en voie de disparition ?  

Tristesse !

Il en résulte, depuis deux trop longues années une sourde querelle entretenue par des gouvernances, sinon une gouvernance, entêtées nourrissant des conflits assassins :

« A quoi bon dire des choses qui ne changeraient rien tout en mettant de l’huile sur le feu. » ose un diplomate français dans un grand quotidien français – Le Figaro sous la plume avertie et le plus objectivement qui soit, de Thierry Oberlé - qui consacre à cette « brouille » - je préfère parler de belle et exemplaire relation - pas moins d’une double page. 

Référence, en parallèle et surtout de circonstance, au récent discours royal aux accents un peu dérangeants. Du moins, selon certains observateurs.

Alors, chacun y va de ses griefs plus ou moins justifiés sur cet échiquier politique où tous les coups – ou presque - sont permis.

Contrairement à ses prédécesseurs, l’actuel président français n’affiche pas la même culture certes avec parfois ses hauts mais aussi ses bas car ainsi vont les relations même, et surtout, dans la sphère diplomatique. 

Ainsi, le général De Gaulle à propos de l’un des points actuellement les plus sensibles déclarait, en 1960 (de source Marocaine) dans une lettre adressée au roi Mohammed V que « le Sahara occidental était entièrement marocain. »

Ne parlons pas des années Chirac et Sarkozy. 

Aujourd’hui, la génération dite « Mamounia », un symbole du temps d’hier, autrement dit "les anciens" dont nous faisons partie, n’ont plus droit au chapitre – en tout cas, avec la même autorité - mais entretiennent une sympathie construite sur les échanges et une confiance avérée durant des décennies. Que les tendances politiques aient été de droite comme de gauche. 

Le roi Hassan II considérait pour sa part que le Maroc n’a pas fini de nous surprendre.

Il n’avait pas tort mais alors, où est le problème ?

UN ACTEUR SUPPLÉMENTAIRE

Pour Khadija Mohsen-Finan, politologue et spécialiste du Maghreb :

« Les accords d’Abraham ont introduit un acteur supplémentaire, Israël. Son aide stratégique peut changer la donne dans la rivalité qui oppose le Maroc à l’Algérie. Par ailleurs, il y a un danger de guerre lié aux tensions internes en Algérie entre la présidence et l’état-major de l’armée et à une possible sous-estimation par le Maroc des forces de son rival. »

Elle n’est guère plus rassurante quant au règlement de la question du Sahara via la diplomatie :

« Mohamed VI me semble imprudent quand il dit que la marocanité du Sahara occidental est le prisme à partir duquel le Maroc doit définir son environnement international et nouer ses alliances. Lier les deux questions pousse à une fuite en avant et à une escalade. Cela empêche des pays qui pourraient être amis ou alliés d’avoir une posture de neutralité apparente. »

C’est le point de vue d’une intellectuelle marocaine laquelle, en conclusion de son analyse, affirme :

« On tente de réécrire le droit international et de contraindre les États à se positionner sur ce travestissement. C’est difficile à accepter par les observateurs, quelque soit leur parti pris sur ce dossier. Les pays ne sont pas obligés d’avoir une position claire. Cela s’appelle faire preuve de la diplomatie. »

NUANCES

Sans entrer dans les arcanes d’un pouvoir monarchique, il va sans dire que l’affaire Pegasus et les restrictions, sinon abusives en tout cas incompréhensibles, des visas délivrés par la France, même si la mesure visait à pousser les pays concernés à délivrer des laissez-passer pour récupérer les migrants illégaux sous le coup d’une procédure d’expulsion (OQTF), le tout couronné par l’inextricable écheveau du Sahara occidental, sont manifestement indigestes.  Et par voie de conséquence, perdure le vif et compréhensible ressentiment marocain à l’égard de la France.

Quant au peu d’empathie que paraissent réciproquement nourrir les deux chefs d’État, indépendamment de relations qualifiées hypocritement de  « ni bonnes, ni mauvaises », il n’est pas fait pour calmer le jeu diplomatique.

De quoi demain sera-t-il fait ?

Il est de fait que la France n’a pas à pavoiser suite à ces regrettables affaires. Quant au Maroc, le patron du Desk ( média en ligne ) Ali Amar, en donne sa version …  peut-être à méditer :

« Fort de sa projection en Afrique et de son phosphate, le Maroc se voit en puissance émergente apte à s’affranchir de la tutelle française. Il est persuadé de pouvoir rebattre les cartes autour de la question sacrée du Sahara occidental. »  

Quant au succès récent du Maroc sur la scène du sport, et singulièrement du ballon rond, il est un pas supplémentaire vers une autre forme d’autonomie comme ses alliances avec Israël et l’Espagne que concrétisent déjà, et à notre barbe, quelques juteux contrats et projets.

Tout est question de nuances. 

Si la subtilité n’est pas toujours de mise d’un côté, de l’autre, en l’occurrence celui du président français, pour qui la colonisation autant que la décolonisation sont autant d’inconnues qui n’arrangent pas toujours nos affaires, sa propension, quasi naturelle, à l’arrogance affectent considérablement ses prises de positions et par voie de conséquence celles de la France :

« La politique, c’est l’art de créer des faits ; de dominer, en se jouant, les événements et les hommes ; l’intérêt est son but ; l’intrigue son moyen : toujours sobre de vérités, ses vastes et riches conceptions sont un prisme qui éblouit. » estimait Pierre- Augustin Caron de Beaumarchais, figure marquante du Siècle des Lumières ; l’un des annonciateurs de la Révolution française et de la liberté d’expression superbement explicitée dans l’une de ses œuvres phares : « Le Mariage de Figaro ».

Dont acte.

Bernard VADON

Rédigé par Bernard Vadon

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