La corrida : un « Dies Irae » (jour de colère) apocalyptique…

Publié le 24 Novembre 2022

Il y a quelques années, j’étais convié à une exposition d’art contemporain sur le thème qui résume en une phrase sa finalité autrement humaniste : « La part de l’autre ». Un événement culturel sur la base d’une double composante se situant au carrefour d’une actualité qui n’a pas pris une ride.

Décryptage :

La permanence d’une tradition – celle de la corrida -  je dirais malheureusement toujours vivante et d’une brûlante actualité, apparaissant d’abord  comme la célébration d’un rite plutôt que d’un sport ou d'un art et en replaçant ensuite l’animal et son statut au cœur de la société contemporaine au travers de pratiques telles que l’élevage industriel et les expériences diverses et traumatisantes pour l’animal.

Les deux s’avérant à nos yeux et par les temps actuels, tout aussi détestables et intolérables.

La première se veut symbolique et en appelle à la religion, au mystère, au fantasme, à la sexualité et célèbre la chair.

A la manœuvre picturale :  Picasso, Masson, Brauner, Francis Bacon, Herman Nitsch et Otto Muehl.

Incontestablement du beau monde !

L’autre, mettant en exergue la cruauté étymologiquement source de souffrances, de tortures, de férocité, en somme d’inhumanité des œuvres plus distanciées se nourrissant de l’étude du comportement de l’observation sociale jusqu’à être transposée dans une fiction dépassant le réel.

Des œuvres signées Bruce Nauiman, A. Messager, M.J. Burki, K. Knorr, C. Höller, Fischli-Weiss et D. Hirst proposant l’importance du rôle de l’inconscient par la psychanalyse et de son exploitation plastique via les surréalistes situant l’animal, en l’occurrence le taureau, dans l’art moderne.

 ASSASSINAT

Flash-back historique :

Les jeux faisaient partie de l’identité romaine,

« romanus modus vivendi » ou mode de vie romaine.

Pour Porphyre, philosophe grec du IIIe siècle, le respect qu’il porte à toute forme de vie le détourne de ce sang versé dans un esprit mercantile.

Pour Sénèque, ce n’est guère mieux : c’est de l’assassinat pur et simple.

Il est vrai que la brutalité de la société romaine s’exprimait alors dans le contexte d’un répugnant spectacle où de pauvres esclaves étaient jetés dans l’arène, en clair un affreux abattoir.

Aujourd’hui, Il ne manque au spectacle que le mythique « Ave Caesar morituri te salutant » ( Salut César, ceux qui vont mourir te saluent )

Il n’empêche que les combats de gladiateurs d’hier témoignent clairement des mentalités collectives. Au fond, une fureur dégradante.

Tout un symbole historique ...

 

L’illustration de cette étrange séduction que suscite le spectacle de la mort et cette ivresse du sang répandu sur le sable de l'arène et réveillant les plus bas instincts de la foule.

Triste mais objectif constat !

N’en déplaise à ceux qui prônent les corridas. - et qui vont certainement me vouer aux gémonies - une barbarie dégradante illustrée en d’autres temps par les thraces, rétiaires et autres samnites, ces combattants  de la Rome antique illustrant la formule de Juvénal : 

«  Panem et circenses » (du pain et des jeux) autrement dit la satisfaction du ventre et des yeux.

Rien de tellement nouveau sous le soleil d’aujourd’hui sinon le maintien du seul plaisir des yeux et occasionnellement du ventre.

Quoique l’intendance qui ne perd jamais le Nord s’est réservée le pain !

 FOLIE MEURTRIERE

De quoi satisfaire le singulier appétit de cet autre peuple de romains des temps actuels ayant troqué dans l’arène – même si cette image conventionnelle sous Marc-Aurèle serait aujourd’hui contestée par quelques historiens - les saintes Blandine et autres Alexandre, Attale et Pontique offerts en pâture aux lions contre, aujourd’hui, des taureaux.

Ces derniers écartés minutieusement lors du triage des supposés plus vindicatifs (argument fallacieux et faux car le taureau est motivé par la peur … eh oui !) et qui seront livrés aux toréadors ainsi qu’aux matadors de cet épisode macabre, officiant pour le plaisir d’excités dangereux estimant que ce sang innocent, au terme de combats le plus souvent de la dernière chance, méritait bien d’étancher l’inextinguible soif de folie meurtrière d’un public plus voyeur que courageux à l’abri au-dessus du callejon (une partie de l’aire de jeux).

La corrida a remplacé ces ignobles places publiques où, il y a quelques siècles, le peuple se régalait de voir trancher la tête des condamnés par des bourreaux sans états d’âmes sinon en « contempler » d’autres sur de sordides bûchers avant de les voir partir en fumée.

Renée Falconetti  interprétant magnifiquement Jeanne d’Arc dans le film poignant de Carl Theodor Dreyer en sera pour toujours l’historique et triste exemple.

Oui, comme un grand nombre je suis en colère.

Cette colère résumée en quelques mots dans cette pensée :

« La colère vide l'âme de toutes ses ressources, de sorte qu'au fond paraît la lumière.” 

D’aucuns, je les vois venir, invoquerons ,en la circonstance, le prétexte fallacieux de l’amalgame affirmant, sans rire, à l’exemple de cet adepte des corridas, que « le sang des animaux et singulièrement des taureaux n’a rien à voir avec celui des humains » !

Ah, bon !

INEXPLICABLE FOLIE

En attendant, aujourd’hui, l’appel des défenseurs des corridas, outrés par les campagnes du camp des anti-tauromachie, se voit conforté par l’arrivée de sympathisants pour beaucoup inattendus du fait de leur notoriété.

Personnalités publiques artistes, politiques et autres hystériques ayant pour la plupart pignon dans cette société d’abrutis soudain convertis à ces messes de l’horreur.

Sans oublier quelques aficionados enragés et vieux chevaux de retour spécialistes en « grande gueule ».

Vous me suivez ?

Et tout cela sur le large dos des traditions lui associant le progrès dont Paul Valéry disait que ce sont deux grands ennemis du genre humain.

Pour répondre à cette inexplicable folie, outre la recommandation de se pénétrer d’un fort beau et poignant texte d’Henry de Montherlant écrit en 1963 « Le chaos et la nuit »,  je les invite par ailleurs et  avec une extrême modestie, à plonger avec moi dans mes souvenirs à la découverte d’autres extraordinaires et pacifiques sensations tauromachiques au cœur de ces enclos où paissent tranquillement ces animaux de légende.

A la rencontre d’une saine et véritable émotion.

Quelque part du côté de Saint-Gilles, en Camargue, pays de légendes et de traditions provençales.

RETOUR SUR PASSÉ

Travelling arrière :

L’homme ne mâche pas ses mots et caresse nerveusement sa barbe.

Son regard dissimule avec difficulté, derrière une apparente dureté, une émotion sans limite lorsqu’il évoque ses taureaux rassemblés, là-bas, sur fond de pêchers couverts de pétales rose tendre.

Le mistral exhale ses derniers souffles d’une journée printanière. Prometteuse.

Ici, l’Histoire flirte délicieusement avec une réalité où l’on célèbre traditions et coutumes depuis des générations.

Surtout depuis cet avant dernier début de siècle où le grand père fit l’acquisition de ce domaine alors dévolu à la culture vinicole et sur lequel était édifiée, outre une bergerie, une abbaye du VIIIème siècle.

La façade de l’église d’Estagel a d’ailleurs donné son nom à ce domaine offert sur des hectares à une nature généreuse et d’une grande beauté.

Impressionnante mais excitante sinon exaltante confrontation.

C’était hier mais le souvenir est toujours aussi vif dans mon esprit et se métamorphose en rêve :

Ici, on se bat - car rien n’a tellement changé - avec l’énergie du désespoir contre les lois iniques européennes concoctées par des énarques incompétents et arrogants, des règlements entérinés par des politiques irresponsables lorsqu’il s’agit tout simplement de sauver une race en l’occurrence celle de certains taureaux, sacrifiés, de la manière la plus imbécile et la plus injuste qui soit, sur l’autel d’une  pseudo protection de la race … humaine !

Non, vous ne rêvez pas.

Aberrant et pourtant !

Et plus aberrant encore lorsque l’on sait que ces animaux – à l’époque  en tout cas – se voyaient tout bonnement infliger le reproche d’avoir contracté une leucose, sorte de grippe animale sans conséquence aucune pour l’homme …  puisqu’on les retrouvait sur l’étal des bouchers !

Sans parler de la règle imbécile des quotas avec à terme l’abattoir.

L’être humain est expert en arrangements.

TAUREAU, JE T’AIME !

Dans le soleil déclinant, la manade déploie ses fastes.

Les gardians hommes- orchestre de cette fantastique cérémonie du rassemblement du troupeau, superbes et fiers sur leurs montures, sifflent à leur façon particulière, les taureaux de tous âges regroupés autour d’un magnifique étalon, fierté de la manade.   

Suprême privilège lorsque nous sommes invités à le suivre dans l’enclos alors qu’une partie du troupeau s’y trouve réunie après un galop effréné précédant la délicate tâche du triage des animaux.

Dans un halo de poussière transpercé par le soleil, les naseaux fumants et les flancs encore secoués par la course, quelques bêtes nous observent. Silencieusement.

Impressionnante mais excitante sinon exaltante confrontation.

Chacun se jaugeant alors que se manifeste mystérieusement la remarquable intelligence du taureau qui a compris combien nos sentiments invitent à la paix.

La vraie paix et non pas celle, immonde et scandaleuse par la mort, après que le taureau agenouillé, le foramen jugulaire préalablement sectionné, soit entré en agonie. Souvent longue et injuste.  Le corps transpercé de ces banderilles meurtrières par où jaillit son sang. Lorsqu'on invoque la culture j'hallucine.

Qu'importe l'interprétation et la vérité de cette image incroyable, elle témoigne simplement d'une autre relation de l'homme à l'animal.

Sensiblerie hurlera la horde le pouce de la main pointé vers la terre sombre et terrible réflexe hérité des jeux du cirque.

De par mon éducation je me sens plus enclin à les plaindre qu’à les stigmatiser et à les condamner.

Retour aux côtés de la manade.

Sensation inattendue mais forte qui permet d’apprécier la portée de la relation homme-animal.

Et quel animal, lorsqu’on connait sa redoutable et coléreuse réputation résultant aussi de la peur.

En ce lieu, de génération en génération, le choix est respecté quant à perpétuer la tradition camarguaise autour d’événements organisés dans le décor du mas.

Musique et danses traditionnelles lors d’agapes gastronomiques ou de spectacles à l’unique gloire du taureau ; figure emblématique s’il en est et qu’à l’instar de Saint-Exupéry, j’ai fortement envie d’obtenir de l’angélique Petit Prince, qu’à son tour comme pour le mouton, il veuille bien te dessiner.

Sur la planète terre, tu es le pourquoi du comment ; celui dont le mystère arrive et demeure. La force, mieux la puissance sont pleinement inscrites dans tes gènes.

Tu es entré dans la légende des hommes que certains d’entre eux ont transformé en défi permanent. Animal héraldique s’il en est , plus que la crainte, tu inspires le respect. 

Mais d’aucuns l’ont-ils bien compris qui ont fait de toi l’objet de leur convoitise mêlant danger de l’affrontement et mise à l’épreuve.

La mort est ainsi parfois au bout du chemin, étrange cocktail où le mal et le bien se taillent la meilleure part d’un orgueil ô combien démesuré comme si le besoin d’exister avait tellement soif de cette terrible et insupportable dualité.

Taureau, mon ami, si tu me crois, sache que je t’aime.

Tout simplement et bien au-delà de ces spectacles dégradants que l’on s’évertue, depuis des siècles, à sauver en les sacralisant.

 

Bernard VADON

 

Rédigé par Bernard Vadon

Publié dans #J - 2 - B ( Journal )

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