LE JEUNE - LE RAMADAN - EL SIAM EL RAMADAN - Une tradition en rupture avec une modernité dérangeante. Flash-back historique, littéraire et instructif en marge cette année d’un temps spirituel inhabituel.

Publié le 23 Mai 2020

 

Le Mois de Ramadan qui s’achève, pour les musulmans est le mois sacré, celui de la Révélation avec, en particulier, lors de la 27ème nuit, l’anniversaire de la transmission par l’archange Gabriel, au prophète Mahomet, des premiers versets du Coran.

 

En 1848, mon aïeul, le général E. Daumas, Conseiller d’Etat – ex-colonel de Spahis, ex-Directeur des Affaires arabes à Alger qui avait déjà à son actif de nombreux ouvrages dont « Le Grand Désert » ou encore « Les Moeurs et Coutumes de l’Algérie » et surtout « Les Chevaux du Sahara » qui fait toujours autorité dans le monde équestre, accordait, dans « Le Grand Désert » précisément, une place privilégiée au Ramadan – el Siam suivi et respecté par des millions de musulmans.

 

Le général E. Daumas qui fut l'adversaire puis l'ami de l'émir Abd El-Kader : une exceptionnelle connaissance de l'Afrique du Nord consignée dans de nombreux ouvrages dont le mythique  "Chevaux du Sahara" . Entre autres.

 

Eugène Daumas parlait couramment la langue arabe et à l’occasion d’une caravane organisée dans le Sahara, s’employa, par ses observations, à mieux faire connaître à la France du XIXème siècle, les mœurs, les idées, la religion et l’hygiène du peuple arabe résidant en particulier dans le nord de l’Afrique. Et cela avec un sens reconnu et objectif de l’observation.

Au terme de cette manière d’initiation, que la modernité a quelque peu gommé sinon terni et parfois déformé, il se fit aussi le chantre de ces sahariens qu’il admirait et respectait tel ce Targui du Djebel Hoggar, dénommé Cheggueun qu’il intégra, à sa caravane exploratrice, en qualité de khrebir ou « conducteur ». Extraits :  

 

« J’ai beaucoup voyagé. Deux fois j’ai été à Haoussa par la route et dans mon dernier voyage, j’en suis revenu par le Bernou, Bilma, le Fazzan et Tripoli ; de là, j’ai passé dans la Basse Egypte pour aller à la Mecque, à Médine, à Baghdad, et me voici à Alger. » déclara Cheggueun en guise, si l’on peut dire, de référence professionnelle.

 

Cet Arabe saharien pour qui le temps n’est rien d’ajouter :

« Eh bien, de tous ces pays, il n’en est pas un qui vaille le Sahâra. »

 

Un ouvrage qui fait toujours autorité dans les milieux équestres.

 

TROISIEME BASE FONDAMENTALE 

C’est manifestement en ce lieu que le marabout a trouvé l’inspiration et laissé vagabonder son esprit en quelques vers évocateurs de ce qui peut nourrir, intérieurement et au-delà de toutes exégèses partisanes ou populistes, de toutes velléités temporelles également, une énergie qui pourrait avoir Dieu pour nom :

« Je suis l’oiseau aux traces passagères ;

Il ne porte avec lui nulle provision ;

Il n’ensemence pas, il ne récolte pas,

Dieu pourvoit à sa subsistance. »  

 

Je cite à dessein cet extrait du « Grand Désert » révélateur du respect du colonel de spahis qu’il était alors avant d’être général, pour la foi musulmane. 

C’était il y a quelques 170 ans. Le progrès était en marche et les exégèses n’en étaient qu’aux balbutiements d’une problématique religieuse aux prises avec une modernité exigeante à bien des égards. Quant à la liberté de conscience, elle était encore et pour le plus grand nombre, une vue de l’esprit. 

Pas question, en tout cas, de déroger à la règle au risque de graves ennuis (voir par ailleurs). 

 

Un « aménagement » qui tient surtout compte et en priorité de la pénibilité liée à certaines professions, sera t-il engagé un jour ? Au strict plan médical et relatif à l’interdiction de boire durant le jeûne. 

Le général Daumas, dans ses observations, fait à ce sujet délicat (et sur lequel nous nous abstiendrons de porter, en non musulman, un quelconque jugement) a recueilli de ses hôtes sahariens une exception pouvant être retenue en périodes de fortes chaleurs … à charge pour le croyant concerné de rattraper, comme on le lira, cette tolérance exceptionnelle.    

On sait ensuite et cependant à qui pourrait incomber, au nom de la modernité, la réponse au strict plan théologique. Mais voilà …

Une passion manifeste pour le peuple d'Afrique du Nord qui devrait faire l'objet d'un ouvrage  à paraître que nous préparons, illustré par le peintre Régis Delène-Bartholdi (notre dessin).

 

LA TROISIEME BASE

Retour aux préceptes fondamentaux exposés objectivement par un militaire chrétien respectueux des convictions qui ne sont pas forcément les siennes :

 

« Le jeûne du Ramadan est la troisième base fondamentale de l’Islam, qui en reconnaît cinq : la prière (el salat) l’aumône (el zekkat), le jeûne (el siam) le pèlerinage (el hadj) et la profession de foi (el chehada). 

« On entre dans le mois de Ramadan quand, après le mois de Chaban, (1) deux adoul témoignent avoir vu la nouvelle lune, tous les habitants d’une ville, tous les membres d’une tribu ne l’eussent-ils pas vue ; depuis ce moment jusqu’à la lune suivante, le jeûne est d’obligation pour tous les musulmans ; chaque jour, à partir du moment où l’on peut distinguer un fil blanc d’un fil noir jusqu’au coucher du soleil. 

 

« Pour entrer de fait dans le Ramadan, il faut y entrer d’intention et s’être proposé la veille de jeûner le jour suivant ; autrement, et bien qu’on jeûnât ce jour-là, le jeûne ne serait pas compté.

 

« Pendant le temps du jeûne, on ne peut ni embrasser, ni étreindre, ni se laisser aller aux mauvaises pensées qui peuvent faire perdre à l’homme sa force. – il faut s’abstenir durant tout le jour de relations avec sa femme.

Celui qui jeûne, homme ou femme, ne peut goûter aucun mets, ni ceux qu’il prépare, ni tout autre ;

Il ne peut se servir d’aucun remède pour les dents ; car toute chose, aussi minime qu’elle soit, qui rentrerait dans l’estomac romprait le jeûne :

« Si cependant on s’est mis du koheul (2) aux yeux, et que le lendemain on le sente au gosier, le jeûne n’est pas rompu pour cela (3)

 

EN CAS DE FORTES CHALEURS …

« La fumée du tabac elle-même, non seulement celle que l’on aspirerait en fumant, mais encore celle qu’on respirerait en compagnie de fumeurs, rompt le jeûne ; il n’en est point ainsi de la fumée du bois.

Celui qui de son plein gré, et non par oubli ou par ignorance, a mangé, se trouve dans le cas dit keufara ; et, pour se racheter, il donnera soixante jointées de blé aux pauvres, une à chacun, ou jeûnera deux mois de suite, ou affranchira un esclave.

Toutefois, un homme très avancé en âge peut se dispenser de jeûner, pourvu qu’il donne chaque jour une jointée de blé aux pauvres. 

En cas de maladie grave, on peut remettre le jeûne, et le cas est décidé par un médecin ou par l’autorité d’un homme sincère.

 

« La femme enceinte, en couches, ou qui allaite, peut se dispenser de jeûner ; il en est de même de celui qui est fou ou de celle qui est folle.

Quand un homme a besoin de faire travailler sa femme, il peut encore l’autoriser à manger.

« Si le Ramadan tombe au moment des fortes chaleurs, on peut boire, mais à la condition de donner également du blé aux pauvres et de jeûner plus tard pendant autant de jours qu’on en aura manqué.

Sauf ces cas réservés, celui qui mange pendant le Ramadan peut être bâtonné, emprisonné, frappé d’une amende, suivant la volonté du kadi.

On rompt le jeûne de la journée en mangeant, aussitôt le coucher du soleil, des choses légères, ou des douceurs ; ou des dattes, et en buvant trois gorgées d’eau après avoir fait cette prière :

« Mon Dieu, j’ai jeûné pour vous obéir, et je rompts le jeûne en mangeant de vos biens.

« Pardonnez-moi mes fautes passées et futures ! »

 

« Il est d’usage cependant de faire aussitôt un repas, pour ne point imiter les Juifs, qui s’abstiennent longtemps encore après que l’heure de manger est venue.

Aux trois quarts de la nuit, enfin, on fait le repas du shour; mais au fedjeur (point du jour), il faut reprendre l’abstinence.

Ce n’est pas assez, toutefois, de ne pas satisfaire les appétits du corps, il faut encore s’abstenir de tout mensonge, de toute mauvaise pensée, et ne pas pécher ni par les yeux, ni par les oreilles, ni par la langue, ni par les mains, ni par les pieds.

C’est pendant le Ramadan surtout que chaque matin la langue dit à l’homme :

« Comment passeras-tu la journée ?

Bien, si tu ne me compromets pas, lui répond l’homme. »

Le soir elle lui dit encore :

« Comment as-tu passé la journée ?

Et l’homme lui répond :

« Bien, si tu ne m’as pas compromis. » 

Acquis dans les années 80 - aujourd'hui vignoble classé Côtes de Bordeaux - par la famille Castel c'est ici, au château de Latour-Camblanes, où il y est décédé en 1871,  que le général a rédigé la plupart de ses ouvrages.

 

 

RETOUR AU XXIème siècle … et à ses excès

 

Doit-on s’en réjouir, doit-on s’en plaindre ?

Pour une fois malheur est bon car les règles sanitaires ont quelque peu bousculé la tradition du ftour 

La rupture du jeûne est un moment d’exception. Celui, pour quelques heures, d’un retour au réel et à ce besoin, ô combien naturel, qui fait - enfin qui devrait faire - la différence quant à manger pour vivre et non pas vivre pour manger.  Suivez mon regard côté restaurants. 

Surprenant paradoxe dans cette sorte de prise de conscience de soi-même et de la capacité de chacun à supporter l’abstinence. 

La faute revient manifestement à la modernité qui a donné un sérieux coup de canif dans la tradition. 

Si le moment toujours intense et silencieux marquant la rupture du jeûne précède la pressante gorgée d’eau puis la première cuillère de harira (soupe de circonstance particulièrement consistante et régénératrice, d’origine andalouse) ce qui suit l’est souvent un peu moins !

 

Pire, ce qui devrait être un temps de retrouvailles en famille ou le cas échéant entre amis et de dégustation de ces plats simples et typiques, n’est souvent qu’un prétexte bassement commercial exploité par les descendants des marchands du temple qui se croient obligés de transformer à leur façon les nuits du ramadan non plus selon un calendrier lunaire mais culinaire ; et surtout, comble du sans-gêne, en diffusant à grands renforts de décibels des musiques les plus insupportables qui soient. 

Et cela, au détriment d’autres endroits infiniment plus en phase avec l’esprit qui devrait présider à cette célébration d’un acte hautement spirituel. Les causeries royales de Rabat ou encore l’ambiance singulière de la place de la Koutoubia, à Marrakech, où se presse (exceptée cette année particulière marquée par la pandémie) une population recueillie et attentive aux propos de l’imam de service, sont de merveilleux et touchants exemples de ce respect affiché de la tradition ; une présence loin des pièges à fêtards, au coeur des supposés beaux quartiers tel celui, pourtant résidentiel, de l’Hivernage, à Marrakech, malheureusement dénaturé par des professionnels de la nuit avides et sans scrupules.

La société Accord-Sofitel est parmi d’autres le mauvais élève par excellence ! 

Elle n’est d’ailleurs pas la seule à se moquer, comme de sa dernière chemise, de la notion d’abstinence notamment sonore même (et surtout) nocturne en ce mois sacré. Le reste du temps aussi d’ailleurs. Et au nom d’une vertu touristique d’un rare égoïsme.

Ne parlons pas de la nonchalance compréhensive (un cycle de sommeil totalement perturbé) des différents personnels tant du secteur public que privé qui, l’an dernier, m’a valu de la part d’un sympathique couple français qui découvrait Marrakech, des sentiments peu amènes à l’égard du Maroc. 

Le désintérêt et le peu d’empressement dont ils auraient été victimes dans un palace de l’Hivernage, incitent à croire qu’ils ne reviendront certainement jamais. 

Et ils ne sont pas les seuls. 

Comment ne pas le déplorer ?  

Dans ce tohu-bohu nocturne – dont nous avons été préservés suite à la pandémie - la question se pose de savoir où étaient alors passés ceux dont la mission est de faire appliquer les lois ?

Mais cela, malheureusement, est une autre histoire dans laquelle Dieu n’a rien à voir.

C’est un constat et nous nous garderons de porter un jugement dans une affaire au demeurant sensible. 

 

Bernard VADON     

 

(1) Le huitième mois de l’année lunaire – « ô Allah, Bénis pour nous les mois de Rajab et de Cha’bân et fais-nous vivre le mois de Ramadan ».

 

(2) Koheul - Fard de couleur sombre utilisé pour le maquillage des yeux. Un mélange de galène, de malachite et de soufre.

(3) Nous ne nous expliquons point cette phrase. Elle est tout au long dans l’ouvrage de Sidi Khelil, au chapitre El Siam, et commenté par Sidi Abd el Baky.

Comment de la poudre d’antimoine peut-elle aller des yeux au gosier ? Quoi qu’il en soit, cette réserve caractérise bien les scrupules avec lesquels les musulmans observent El Siam.

Adoul – juge ou notaire.

 

Rédigé par Bernard Vadon

Publié dans #J - 2 - B ( Journal )

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