FRANCE-MAROC : UNE LUNE DE MIEL QUI SE FAIT DÉSIRER .

Publié le 9 Février 2024

Dans son livre, « L’homme révolté » Albert Camus écrit combien la logique des passions renverse l’ordre traditionnel du raisonnement et place la conclusion avant les prémisses.

Je ne sais pas si au fond je ne lui préfère pas la réflexion du philosophe Alain lorsqu’il estime que les passions sont ainsi faites qu’elles périssent lorsqu’elles n’ont rien à attendre.

Le désamour de plus en plus récurrent entre la France et le Maroc est malheureusement la regrettable illustration de ces crises aussi incompréhensibles qu’au demeurant insolubles qui affectent certains pays amis de très longue date. Le Maroc et la France en sont des exemples.  On pourrait compléter la remarque par l’adjectif regrettable.

Il s’ajoute à ce constat d’ordre général des expériences personnelles – la mienne en l’occurrence – qui sont des passages souvent douloureux ne générant pas pour autant des solutions à plus ou moins long terme. Il faut subir ou partir.

A la frontière de cette manière de séisme sociétal, je m’en tiendrai, par extension,  à la fameuse pensée pascalienne considérant, en tout cas,  qu’en certaines circonstances le cœur et ses capacités d’intuition intellectuelle a ses raisons que la raison et sa faculté discursive via le raisonnement ne connaît point. Mon relationnel diversifié et à tous niveaux de responsabilités depuis de nombreuses années me conforte dans ce sentiment de tristesse

 

« Quand tu regarderas le ciel, la nuit, puisque j’habiterai dans l’une d’elles, puisque je rirai dans l’une d’elles, alors ce sera pour toi comme si riaient toutes les étoiles. Tu auras, toi, des étoiles qui savent rire. » St Exupéry ("Le Petit Prince")

Qu’importe en effet si le cœur a ses raisons de défaillir puisque notre soi-disant raison lui octroie une manière de surcroît de réflexion  pour laquelle il n’a pas été préparé. Suite à quoi, il s’épuise avant de défaillir.

Fin de partie !

INDIFFERENCE LATENTE

Lorsqu’au terme de ce énième voyage aérien vers ce Maroc aimé l’hôtesse de la compagnie aérienne institutionnelle informe les passagers des conditions du vol en sa langue nationale puis en anglais, l’omission du français interpelle. Incident mineur certes et peut-être occasionnel mais qui ajoute à ce climat d’indifférence latente qui s’use au fil d’approches diplomatiques sans effets. lorsqu’elles ne sont pas tout bonnement maladroites. Suite à la remarque des autorités françaises considérant que finalement tout allait parfaitement bien entre les deux pays le retour marocain ne s’est pas fait attendre quant à infirmer le propos.

Quant à la récente nomination du nouveau ministre des Affaires étrangères dont les propos peu amènes concernant précisément le Maroc, lors d’une de ses précédentes responsabilités au sein du conseil européen, n’avaient pas été particulièrement appréciés par les marocains, leur réaction ne s’est d’ailleurs pas faite attendre.  On peut les comprendre.

L’affaire des visas – même si, depuis, un semblant de normalité en la matière entend contribuer à rétablir ce processus administratif - ne fit alors qu’envenimer la situation. Vous avez dit diplomatie ?

ATTRAIT

Pour Emmanuel Martin, maître de conférences en économie et docteur en sociologie  :

« La rupture de l’amitié de longue date entre la France et le Maroc reflète probablement de nouvelles tendances géopolitiques, comme en témoigne la diminution de l’influence de Paris au Mali, au Burkina Faso et au Niger », analyse Emmanuel Martin dans une tribune publiée sur le site gisreportsonline.com. Les relations entre la France et ces trois pays africains se sont détériorées après que des militaires ont pris le pouvoir suite à des coups d’État. « 

Quant au déclin de l’influence de la diplomatie

française :

« Il est un facteur clé à prendre en compte. Tout d’abord, sa perte de vitesse est probablement liée à la diminution de l’indépendance de la politique étrangère suite, en 2009, à la décision de Nicolas Sarkozy de rejoindre le commandement militaire intégré de l’OTAN. »

Et l’économiste de rappeler que depuis les années 1960, lorsque le général De Gaulle retira la France des structures de commandement de l’OTAN, jusqu’à la condamnation ferme de l’invasion de l’Irak par Jacques Chirac, la position diplomatique unique de la France a exercé un certain attrait sur les pays du Sud. C’était hier. Deux noms de chefs d’État qui ont contribué à renforcer la relation France-Maroc. Pour ce dernier le roi Hassan II a toujours et intelligemment su moduler cette relation … je dirais plutôt et par préférence : union. L’invitation officielle de celui-ci par Jacques Chirac aux festivités du 14 juillet – le dernier et fort moment d’émotion pour le monarque d’alors – était un signe. Sinon un attrait pour les deux nations amies.

Un attrait que Paris a malheureusement perdu en adoptant une approche atlantiste.

Mauvaise appréciation des circonstances du moment ?

Toujours est-il que pour Emmanuel Martin, il existe plusieurs frictions dans la relation bilatérale.

Notamment ( et comme nous le précisions précédemment)  la décision de Paris de réduire de moitié le nombre de visas délivrés aux Marocains entre octobre 2021 et décembre 2022 même si, depuis,  Christophe Lecourtier, ambassadeur de France, à Rabat a annoncé la levée de cette limitation.

Sans compter avec les poursuites judiciaires engagées contre de hauts fonctionnaires marocains en France, en 2010, et plus tard de la suspension par Rabat de la coopération judiciaire avec Paris en 2014-2015 . Ne parlons pas des accusations d’espionnage par Paris sous couvert du logiciel israélien Pegasus contre le Maroc et enfin le scandale impliquant des allégations de corruption de fonctionnaires du Parlement européen (PE) par le Qatar et le Maroc.

RECHAUFFEMENT ?

« Nos relations ne sont ni bonnes, ni amicales . » constitua l’une des réponses pour le moins assassines  du Maroc à la France lorsque celle-ci tenta de façon pour le moins benoitement d’enterrer la hache de guerre.

La coupe amère était pleine. Manifestement trop pleine mais la méthode n’était-elle alors pas trop radicale ?

Pourtant, de timides tentatives de rapprochement au fil du temps ont été depuis initiées. Ainsi, lors des assemblées générales du FMI et de la Banque mondiale à Marrakech, en octobre dernier, le numéro deux du gouvernement français et par ailleurs ministre des Finances, M.  Bruno le Maire, a croisé le chef du gouvernement marocain, M. Aziz Akhannouch.  Les deux hommes ont tout naturellement évoqué le climat géopolitique actuel entre les deux nations et la volonté manifeste d’apaiser les tensions. Même si l'aide proposée par la France après le séisme de l'an passé n'a pas été honorée. Le Maroc estimant pouvoir se sortir quasiment seul de ce problème. La dignité n'a pas de prix.

En tout cas, et pour revenir à notre propos, le communiqué de presse laissait espérer l’impossible (sic) :

« Entre la France et le Maroc, l’heure semble venue de relancer la relation bilatérale. C’est du moins le souhait des officiels français qui ne ménagent pas leurs efforts ».

Le « signe d’un réchauffement de la relation bilatérale » entre les deux pays pointait dans cette épaisse brume diplomatique estimait notamment un quotidien français. Un sentiment conforté, croyait-on savoir, par une source Élyséenne affirmant sans ambages :

« Le Maroc est un ami de longue date, le restera et restera un pays maghrébin très proche de nous pour longtemps. Il y a des raisons objectives aujourd’hui de faire autrement que par le passé ».

Acceptons-en l’augure.

Le temps de la réconciliation est-il pour autant proche ?

On pourrait répondre par l’affirmative si toutefois la problématique du Sahara occidental ne constituait pas, à fortiori, un obstacle de taille.

 

Incontournable souveraineté.

Le Maroc souhaitant quant à lui que la France reconnût sa souveraineté sur ce territoire – dont le Polisario, protégé de l’Algérie, revendique on le sait, l’indépendance – et cela, dans le droit fil de certains États occidentaux.

A l’exemple notamment des États-Unis d’Amérique en 2020 lorsque le président du moment, Donald Trump, avait reconnu, comme l’avaient déjà fait certains états, la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental en échange de sa signature des accords d’Abraham sur la normalisation israélo-arabe.

Une soixantaine d’autres pays, dont l’Allemagne, l’Espagne et Israël, avaient emprunté cette voie à l’exception de la France.

Y-a-t-il aujourd’hui un espoir ?

UNE DIFFICILE LECON

En tout cas, l’ambassadeur de France au Maroc, Christophe Lecourtier, a récemment annoncé de « nouveaux développements » quant à la position de son pays sur le Sahara, réitérant le soutien « historique » de la France au Maroc dans ce conflit :

« La France soutiendra le plan d’autonomie du Sahara proposé par le Maroc à l’ONU et soutenu par des pays comme les États-Unis, l’Espagne et Israël et travaillera à sa large acceptation au sein de la communauté internationale. »  a-t-il déclaré lors d’un entretien sur une radio nationale marocaine. » ajoutant :

« Cela est cohérent avec ce que nous avons fait par le passé, et c’est la réaffirmation que nous serons toujours un allié constant, fidèle, créatif et dynamique. ».

Dont acte.

Le 30 octobre dernier, cette fois à New York, l’ambassadeur de France à l’ONU, Nicolas de Rivière, a réaffirmé cet engagement de la France  quant à contribuer, de manière significative, au règlement du conflit au Sahara :

« Le moment est venu d’avancer », aurait-il précisé.

Y aura-t-il à nouveau, et malheureusement, loin de la coupe aux lèvres ?

STRATEGIE ROYALE

Pendant que nous tirons, contraints et forcés, notre ultime révérence en Afrique, du côté du Mali tout récemment , le Maroc poursuit sa course en tête en tirant intelligemment son épingle du jeu sinon faisant un aimable pied de nez au monde africain, notamment à l’Algérie, avec la construction imminente du gazoduc Nigéria- Maroc Celui-ci va transporter du gaz à travers les pays signataires, à savoir le Nigeria, le Bénin, le Togo, le Ghana, la Côte d’Ivoire, le Libéria, la Sierra Leone, la Guinée, la Guinée-Bissau, la Gambie, le Sénégal, la Mauritanie et le Maroc évidemment en plus du Niger, du Burkina Faso et du Mali.

Un gazoduc dont le coût est estimé à 25 milliards de dollars, soit 248.704.260.330 de dirhams.

Pour le Souverain marocain :

« Il importe de favoriser la construction d’«une économie intégrée» pour mieux accompagner l’essor économique et l’extension urbaine des métropoles du Sahara marocain. »

Et cela :

« Avec la prospection poussée des ressources naturelles offshore», mais aussi en opérant un «investissement continu dans les filières de la pêche maritime, le dessalement de l’eau de mer à des fins agricoles, l’encouragement de l’économie bleue et enfin le soutien aux énergies renouvelables».

Pour ce qui concerne la question énergétique, le pays s’est fixé pour objectif de devenir un leader de la production d’énergie solaire, grâce à plusieurs parcs installés dans le sud du pays. Il est sur la voie du succès.

Le complexe Noor Ouarzazate est l’un des plus grands parcs solaires au monde. Avec une capacité totale de 580 MW réparties sur quatre centrales solaires, il fournit de l’électricité à près de deux millions de Marocains. Il contribue à l’accès à l’électricité via le solaire sur le continent africain.

Inaugurée en 2016, la centrale Noor Ouarzazate s’étend sur 144 hectares. Trois autres parcs sont programmés.

Le roi Mohammed VI souhaite – selon ses propres termes :

« L’adoption d’une stratégie dédiée au tourisme atlantique, dont la vocation serait de mettre en valeur les nombreuses potentialités de la région et, ainsi, de la consacrer comme une véritable destination pour la pratique du tourisme balnéaire et saharien».

La ville de Dakhla sera la pierre angulaire de cette stratégie royale.

Dakhla : la pierre angulaire  ... photo BV.

Et pendant ce temps-là dans les salons feutrés des représentations diplomatiques on se perd en conjectures stériles. Et par extension, sur la politique à tenir dans certaines circonstances -  Et actuellement c’en est une – on serait bien inspiré de s’attarder sur les propos de Paul Valéry, poète et philosophe, qui, après la publication de La Jeune Parque ( un poème en forme de monologue d'une jeune femme s'éveillant au bord de la mer, sous un ciel étoilé) deviendra célèbre en tant qu'intellectuel et homme de lettres. L’écrivain avait sur la fonction politique une opinion autrement tranchante sinon radicale qui ne manque pas d’intérêt et surtout de sagesse même si elle ne flatte pas particulièrement l’égo des professionnels :

« La Politique est le produit le plus ignoble et le plus néfaste de l'existence des sociétés humaines. Elle séduit inévitablement les esprits à des spéculations dont la matière est la liberté, la vie, les biens des individus considérés en masse, et qui supposent toujours leur passivité et leur docilité obtenues soit par la crainte, soit par la faiblesse d'esprit ; et ceci, quels que soient le système ou le régime qui soient en vigueur, les intentions des «  politiciens », leur valeur ou leur vertu. C'est une triste nécessité. Toute politique est une volonté de rendre une population conforme à un modèle créé par l'esprit, et de mener les affaires de cette masse comme une affaire d'un seul - ce qui se fait en nommant ce Seul : Nation, État, peuple - etc. et en lui attribuant une sorte de sensibilité, de susceptibilité, des appétits, des motifs d'orgueil, de peine, de joie etc., des souvenirs, des regrets et des espoirs - qu'on essaye d'inculquer à tous. Si chacun se croit propriétaire d'un territoire - dont la plupart ne possèdent même pas un mètre carré - chacun est ainsi sensibilisé à l'égard des accroissements ou diminutions de ce territoire et prêt à se battre furieusement pour ou contre ces modifications desquelles cependant il n'a généralement rien à espérer. » 

Une bien austère leçon qui invite en parallèle à évoquer Sénèque lequel considérait, en sa qualité de défenseur acharné de la liberté politique et de la justice sociale, la sagesse comme le but ultime de tout homme. Et par extension d’une nation.

Peut-être, également, la réponse à certaines questions légitimes posées par le Maroc à ses amis d’hier. Et réciproquement.

A terme, une forme d’entendement sinon de compromis et de médiation intelligente profitable à chacune des parties, pourrait générer une nouvelle lune de miel qui, manifestement et à ce jour, se fait quelque peu désirer.

On peut cette fois encore en rêver !

 

Bernard VADON

Rédigé par Bernard Vadon

Publié dans #J - 2 - B ( Journal )

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