Vous avez dit chaleur ? Emmanuel Le Roy Ladurie estime quant à lui qu'il y a une histoire du climat avant et après le réchauffement climatique" …

Publié le 22 Août 2023

 

"L’Histoire du climat depuis l’an mil" et  "L’Histoire humaine et comparée du climat" est une magistrale leçon d’histoire d'Emmanuel Le Roy Ladurie.

En clair, quelle influence les évolutions climatiques ont-elles exercée sur les grands mouvements sociaux, sur le paysage, sur les récoltes et comment appréhender, en tant qu’historien, la question du réchauffement climatique ?
Et, en parallèle, le dérèglement climatique.

Par ce livre fondateur, Emmanuel Le Roy Ladurie a montré qu’il pouvait y avoir une histoire du climat, en réunissant la documentation nécessaire pour étudier les observations météorologiques anciennes, analyser les dates des récoltes, scruter les textes, descriptions et représentations iconographiques des glaciers.

L’historiographie du climat devient ainsi une enquête minutieuse et passionnante où l’on chemine entre forêts, vendanges et mers de glace. Et cela, du Moyen Âge au réchauffement actuel en passant par le « petit âge glaciaire ».

Voilà pour la séquence didactique.

Les réponses sont plus complexes et parfois fantaisistes avec cette optique détestable – comme pour le covid – en rajoutant des couches au nom du politiquement correct.

Ce qui se passe aujourd’hui dans ce domaine est incontestablement dérangeant sinon inquiétant.

Rappelons-nous (qu’importe compter les années qui nous en séparent) le fameux appel de Jacques Chirac «  la maison brûle et nous regardons ailleurs ! ».

Depuis, de Cop en Cop en passant par les engagements politiques de tous ordres et les mises en garde du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) 30 ans d’existence et quelques manquements déontologiques « pour justifier l’action politique » (sic), le climat est manifestement, hormis quelques bonnes actions, devenu la bouteille à l’encre d’un système.

Ce qui ne sous-entend pas la négation d’une situation climatique surprenante à tous égards. Inquiétante. Sans pour autant verser dans un complotisme de circonstance.

La réalité quotidienne est là. Et je n’ai personnellement pas coupé -comme bien d’autres - aux séquences orageuses intempestives, imprévisibles et destructrices à souhait.

Ne parlons pas de « la danse de saint-Guy » ou plus scientifique de « La chorée de Sydenham » actuellement bien interprétée par nos thermomètres et autres baromètres devenus ingérables.

  • Dans son excellente thèse de climatologie historique, Emmanuel Leroy Ladurie étudie en particulier les forêts et jusqu’aux les vendanges, le réchauffement récent. La méthode est originale et surtout irréprochable du point de vue scientifique.

L’auteur s’en est expliqué lors d’une interview donnée à la parution de son ouvrage :

« Les émeutes de subsistance ou « food riots » (émeutes suscitées par la pénurie alimentaire) très étudiées par les historiens français et anglais, sont une forme récurrente de la lutte des classes ou à tout le moins, de l’agitation sociale. À une époque où les rendements du blé n’étaient pas aussi importants qu’aujourd’hui, une mauvaise récolte faisait automatiquement monter le prix du pain et si le phénomène persistait lors des récoltes suivantes, la crise sociale pouvait être majeure. Elle était particulièrement grave en période de guerre, moins en période de paix. Ainsi, pendant les guerres de Louis XIV qui agressèrent le peuple et les classes moyennes en raison de la lourdeur de l’impôt, on assista à une véritable catastrophe famineuse. Sous la Guerre de Cent ans ce fut pire, il y a une combinaison entre famine, guerre et peste, et on voit la population française passer de 20 à 10 voire 9 millions d’habitants. Au XVIIIe siècle, le prix du blé monte lentement, cela excite la production nationale, mais de temps en temps on a une pointe et des émeutes de subsistance. De ce point de vue, s’il serait simpliste de dire que les conditions météorologiques ont joué un rôle dans le déclenchement de la Révolution française, le climat, parmi quantité d’autres facteurs, a cependant pu avoir une certaine influence. »

Dans l’histoire du climat avant et après le réchauffement dû aux activités humaines, vous évoquez le blé et même les vendanges :

« C’est le grand météorologiste français Alfred Angot qui a le premier et très profondément étudié les dates de vendanges en France : si l’année est fraîche d’avril à septembre, l’excès de pluie, la sécheresse et le froid peuvent donner une mauvaise récolte. Je pense, par exemple, à l’hiver catastrophique de 1709, la température de janvier était tombée en moyenne à -4 degrés – cela signifie qu’il pouvait y avoir des pointes à -20, -30 degrés la nuit – la récolte a été détruite au tiers et il y a eu 600 000 morts. On peut donc dire que le climat a eu, dans notre histoire, un réel effet sur l’évolution de la société. »

En référence à la littérature,  ressource précieuse pour l’histoire du climat, l’historien répond :

« C’est Mme de Sévigné, qui écrit à sa fille « Nous nous chauffons et vous aussi » ; nous sommes en juin 1675, elle est en Bretagne, sa fille en Provence, et l’été est pourri ; il n’a apparemment pas engendré de famines, mais il a été particulièrement remarqué par ces dames ; c’est Steinbeck qui, dans Les Raisins de la colère, décrit la chaleur et les sécheresses des années 1930 qui ont ruiné un certain nombre de fermiers américains et qui suit une famille de Okies – des fermiers de l’Oklahoma – victime de racisme au moment où elle arrive en Californie ; c’est Montesquieu qui ne s’est pas intéressé aux mauvaises récoltes – pourtant, c’est l’accident principal de la conjoncture d’autrefois ! – mais à l’influence du climat sur la civilisation avec des remarques que l’on qualifierait aujourd’hui de racistes, je pense au despotisme qui serait plus fréquent dans les pays chauds ; c’est Shakespeare qui, dans « Le Songe d’une nuit d’été » évoque les émeutes de subsistance au plus près de la vie du peuple. »

Mais alors, le facteur climatique peut-il aussi motiver les mouvements de population ?

« Je n’ai pas analysé en profondeur le facteur migratoire, car j’ai surtout observé des phénomènes régionaux, en particulier à la campagne, mais une chose est certaine : en cas de crise de subsistance, au XVIIe siècle et même beaucoup plus tard, les mendiants se pressent autour des villes et on fait l’aumône aux gens de la ville, mais pas aux autres, on peut donc parler de migrations de proximité. Les premières études sur l’histoire du climat datent de 1900 et concernaient précisément les migrations. Dire que les Mongols, par exemple, quittaient l’Asie centrale parce qu’ils avaient trop chaud ou trop froid, c’est trop simpliste. »

Aujourd’hui, on songe à injecter du soufre dans l’atmosphère pour refroidir le climat, on mime ce qui se passe au niveau des éruptions volcaniques, qu’en pensez-vous ?

« Cela se fera peut-être, mais ce n’est pas sérieux. Je suis un historien, pas un scientifique, et je peux me tromper, mais je crois que c’est assez dangereux, il ne faut pas jouer avec du soufre dans l’air. Ce projet mime en effet les effets des éruptions volcaniques. Celles-ci peuvent être dangereuses pour le climat, la plus célèbre est celle du volcan de Tambora en Indonésie en 1815, c’était une très grosse éruption, pire que celle du Krakatoa. Elle a enveloppé la planète d’un fin nuage de poussières qui a diminué le rayonnement solaire. Dans un certain nombre de pays, dont la France, l’insuffisance de la luminosité du soleil a entraîné une réduction de la récolte des céréales de l’ordre de 30 %. Cette crise céréalière a fait entre dix mille et trente mille morts. »

Une distinction est faite entre « changement climatique » et « changement climatique anthropique », autrement dit entre une évolution du climat due à des facteurs naturels et une autre attribuée aux émissions de gaz à effet de serre engendrées par les activités humaines. Quel est votre sentiment ?

« Il est évident qu’il existe un changement climatique avant et après le réchauffement dû au CO2. Avant : juste après la fin de l’empire romain, on constate une période un peu plus tiède de l’ordre de 0,5° en plus, puis survient le petit optimum médiéval, il s’agit d’une période de réchauffement à quoi se substituent à partir de 1250-1280 un léger rafraîchissement avec des poussées glaciaires, puis un petit âge glaciaire à partir de 1300 particulièrement visible à partir de 1560. Au XVIIIe siècle, la France se réchauffe un peu, cela porte sur quelques dixièmes de degré. Même chose au XIXe siècle, mais avec une petite culmination de fraîcheur vers 1848. Depuis 1855 le réchauffement très lent est en marche, il devient évident à partir de 1980, 1990. On notera que les émissions de CO2 ne sont pas forcément absentes de ces périodes anciennes, mais il ne s’agit pas du CO2 produit par le pétrole. Après, le réchauffement constaté sur la période récente est de l’ordre de +0,8 degré. Il est évident que la distribution générale de CO2 est inquiétante, pas pour ma génération, mais pour les suivantes. Mon petit-fils a lu récemment un article sur le sujet, il était épouvanté. En France, il y a un dédoublement de la personnalité : la majorité des gens est consciente qu’il y a un danger, mais ceux-ci ne renonceraient pas pour autant à leur voiture » 

Partagez-vous le sentiment du philosophe Dominique Bourg qui estime que, si le climat nous désarçonne autant, c’est parce que tous les paramètres du climat sont contre-intuitifs, parce que nos sens ne les repèrent pas ? 

« C’est tout à fait juste. J’écoute les prévisions météorologiques comme tout le monde, les présentateurs font souvent un éloge dithyrambique des épisodes de chaleur, c’est normal, mais la plage et le bikini ce n’est pas tout. »

  • Mais enfin, comment l’histoire du climat est-elle perçue aujourd’hui et quel rapport historiens et scientifiques entretiennent-ils ? 

« Pendant des décennies, il était impossible de dire à un collègue historien que l’on s’intéressait à l’histoire du climat. Mais la situation a évolué, la discipline s’est finalement peu à peu imposée. Par ailleurs, si je suis personnellement convaincu du rôle joué par le CO2 dans le réchauffement, j’estime que l’on n’a pas à exiger de quelqu’un qui s’intéresse à l’histoire du climat qu’il partage cette conviction ; je veux pouvoir éventuellement côtoyer des climato-sceptiques de façon à ce qu’il y ait un débat assez large. Nous devons naturellement être très respectueux des scientifiques qui sont considérés avec raison comme les plus importants. De leur côté, les scientifiques admettent volontiers aujourd’hui que les historiens apportent leur pierre à l’édifice. Et c’est heureux, car les scientifiques ignorent souvent ce qui s’est passé avant le XIXe siècle et ne savent pas le latin, ce qui est tout à fait indispensable quand on étudie le XIIIe siècle... »

1959 : Première vague de chaleur sur l'Europe : 32 ° à Paris. Nouvelle vague deux jours plus tard avec une température de 37°,5. Les parisiens ont bu trois fois plus que d'habitude, consommé 1000 tons par jour de glace à rafraîchir, et transformé les piscines en étuves du moyen-âge.

Pour preuve, voilà ce que rapportait le journal anglais, le « Hampshire Advertiser » from Southampton, le 17 juillet 1852 :
 

En 1132, en Alsace les sources se tarissent et les ruisseaux s'assèchent. Le Rhin pouvait être traversé à pied.
En 1152, la chaleur était si intense que l'on pouvait faire cuire des œufs dans le sable.
En 1160, à la bataille de Bela (en Hongrie), un grand nombre de soldats moururent en raison de la chaleur excessive.
En 1276 et 1277, en France, la récolte d'avoine et de seigle fut totalement détruite par la chaleur.
En 1303 et 1304, la Seine, la Loire, le Rhin et le Danube pouvaient être traversés à pied.
En 1393 et 1394, un grand nombre d'animaux tombèrent morts et les récoltes anéanties en raison de la chaleur.
En 1440, la chaleur fut excessive. 

En 1538, 1539, 1540 et 1541 les rivières européennes étaient littéralement asséchées.
En 1556, il y eut une sécheresse généralisée dans toute l'Europe.
En 1615 et 1616, la canicule s'abat sur la France, l'Italie et les Pays-Bas.
En 1646, il y eut en Europe 56 jours consécutifs de grandes chaleurs.
En 1676, des canicules à nouveau.

Les mêmes événements se produisirent au XVIIIe siècle.
En 1718, il n'y eut aucune pluie entre les mois d'avril et octobre. Les récoltes furent brûlées, les rivières asséchées et les théâtres furent fermés à Paris par ordre du Préfet de police en raison des fortes températures.

 

Sous l'oeil manifestement intéressé d'un gardien de la paix : sur les bords de Seine aux bains Deligny, on institua un système rigoureux de roulement. Chaque baigneur eut droit seulement à trois heures de piscine. Trois mille personnes défilèrent en cinq heures ... et dans le calme !

Le thermomètre enregistra 36 degrés Réaumur (45 degrés C) à Paris. Dans les jardins de la banlieue arrosée, les arbres fruitiers fleurissent deux fois pendant la saison.

En 1723 et 1724, les températures étaient extrêmes.
En 1746, l'été fut particulièrement chaud et sec et les récoltes furent littéralement calcinées. Pendant plusieurs mois il n'y eut aucune pluie. 

En 1748, 1754, 1760,1767, 1778 et 1788 les chaleurs d'été furent excessives et les récoltes mauvaises : l’une des raisons de la révolution de 1789.

En 1811, l'année de la comète, l'été fut très chaud et le vin très bon y compris à Suresnes.
En 1818, les théâtres parisiens restèrent fermés pendant un mois en raison des chaleurs excessives… 35 degrés C.
En 1830, alors que des combats avaient lieu, le thermomètre affichait des températures de 36 degrés C les 27, 28 et 29 juillet.
En 1832, lors de l'insurrection du 6 juin, le thermomètre releva une température de 35 degrés.
En 1835, la Seine était presque à sec.
En 1850, au mois de juin, au cours de la seconde épidémie de choléra de l'année le thermomètre affichait 34 degrés.

Il s'agit bien d'un extrait de journal de 1852 et non pas d’un quelconque site complotiste.

L'interview de l'historien Emmanuel Le Roy Ladurie, parue dans le  quotidien  Libération lors de la canicule de 2003, ( diffusé en août 2018) au sujet de la canicule de 1718 qui aurait fait 700 000 morts au regard de l’œuvre de Leroy-Ladurie, "Histoire du climat depuis l'an mil"(Flammarion 1967), est la référence en la matière.
 

Juillet 1959 : la famille Cooper et leur fille Maria, en ces temps de grande chaleur, avaient choisi de passer des moments autrement sereins à Eden Roc au Cap d'Antibes, dissimulés - célébrité oblige -  dans les célèbres et réputées "cabanes" ... avant de visiter un autre monde, celui du silence ...

Édité en 1967, à une époque où l’on ne parlait pas encore de réchauffement climatique, l'éminent auteur ne peut pas être accusé de vouloir prendre le contre-pied de la tendance actuelle en matière d’une climatologie qui manifestement dérange et dont les préposés au service dédié se confondent chaque soir sur les écrans de télévision en explications sinon en antiphrases subtiles. Lesquelles consistent à employer par euphémisme, un mot, une locution ou une phrase, dans un sens contraire à sa véritable signification. A partir de cette pratique ou de cette démonstration singulière, essayez de vous faire une idée sur le fond du problème ?

En l’occurrence, le récurrent dérèglement ou le réchauffement climatique.

Conclusion :

L’été1842 mérite de compter parmi les saisons d’exception : la chaleur était plus intense dans le nord que dans le Midi.

A Paris, elle se manifesta dès le 5 juin pour se prolonger outre de rares intermittences jusqu’au mois de septembre. Le caractère de cette chaleur, le plus souvent de nature orageuse et sèche, la rendait encore plus sensible.

Ainsi, un grand nombre de marronniers dans les jardins publics avaient perdu leurs feuilles au mois de juillet pour refleurir à la fin du mois d’août.

Allez comprendre quelque chose !

Bernard VADON

 

N.B

La canicule, vague de chaleur intense lors de laquelle les températures ne descendent pas la nuit, intervient historiquement entre la mi-juin et la mi-août. Due à un dôme de chaleur, celle que subit la France en cette fin du mois d’août est donc considérée comme une « canicule tardive » car elle intervient après le 15 août :

« À l’échelle de la France, ce nouvel épisode est le plus chaud de l’été 2023. C’est également l’un des épisodes de chaleur les plus tardifs qu’ait connus la France. La durée et l’intensité de cet épisode sont exceptionnelles à cette période de l’année » selon Météo France.

L’établissement a relevé 6 épisodes précédents de canicule tardive, depuis l’enregistrement des relevés. Sans surprise, ces événements météorologiques se sont de plus en plus rapprochés lors des années 2000, confirmant le risque de l’extension de la période durant laquelle des canicules interviennent.

S’étant manifestée du 17 au 21 août, la canicule de 2012 détient le record actuel de l’épisode le plus tardif, avec plusieurs villes dépassant le seuil de 40 °C, notamment 42,1 °C à Montclus dans le Gard. Les températures avoisinant les 40 °C ne seront plus des exceptions : dans la vallée du Rhône, les maximales atteindront assez souvent 40 à 42 degrés. 

Cet épisode tardif est inédit par sa durée. Alors que la canicule de 2012 s’était maintenue pendant cinq jours, elle pourrait bien s’éterniser pendant neuf jours cette année, une période jamais enregistrée par Météo France.

 

 

 

 

Rédigé par Bernard Vadon

Publié dans #J - 2 - B ( Journal )

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