L’art du mensonge… en politique et partout ailleurs.

Publié le 5 Juin 2022

Jonathan Swilft

Il y a 7 ans ( Seigneur que le temps passe … mais les habitudes, mauvaises de préférence, ne prennent généralement pas de rides !) la lecture des « Voyages de Gulliver » de Jonathan Swift m’avait alors inspiré une réflexion de circonstance.

Aujourd’hui, l’inclination de la société à continuer de passer le plus clair de son temps et à tous niveaux, à faire prendre, à autrui et via notamment des moyens de communication toujours plus sophistiqués, des vessies pour les lanternes, est en soi détestable. Simplement, le drame, comme l’écrivait Ivan Tourgueniev dans « Le journal d’un homme de trop » - une satire cinglante de la société russe dans laquelle il définit l'archétype de l'homme de trop, personnage emblématique de la littérature russe, notamment chez Dostoïevski dans « L’Éternel Mari » et « Le Joueur » - c’est que le mensonge est tout aussi vivace que la vérité ... peut-être, d'ailleurs,  l’est-il plus encore.

Question fondamentale : faut-il tromper

le peuple ?

TOUT UN PROGRAMME

Machiavel avait déjà son idée sur l’art et la manière de faire de la politique et d’enseigner « au Prince » l’art de la gouvernance.

Et, Jonathan Swift, quant à lui, n’y va par quatre chemins dans un court ouvrage qui vaut plus par le poids des mots que par celui des pages :

« Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire (en l‘occurrence l’écrire) arrivent aisément. » estimait pour sa part Nicolas Boileau.

La remarque est toujours de circonstance.

Pour ce qui le concerne, Jonathan Swift dans  « Les Voyages de Gulliver » est parfaitement dans son rôle de pamphlétaire politique et de satiriste brillant :

« L’indignation ardente ne peut plus déchirer son cœur. Va, voyageur, et imite si tu le peux quelqu’un qui se voua entièrement à la cause de la liberté» avait-il souhaité qu’il soit gravé sur sa tombe.

Tout un programme sinon la marque d’un fort tempérament.

Son pamphlet sur l’art du mensonge en politique est dans le genre un bel exemple d’orfèvrerie politico-philosophique et ce qui est encore plus surprenant, c’est que le propos est toujours ( et, de façon regrettable ) d’actualité.

MENTIR VRAI

En période d’élections – le terrain favori des prétendants aux titres et aux honneurs (volontairement au pluriel), l’ouvrage de Jonathan Swift mettra du baume au cœur de ceux – malheureusement trop rares – auxquels ces dames et ces messieurs s’emploieront en vain à faire du mensonge un art de la rhétorique. Encore une exception qui confirme la règle !

Pas très rassurant !

On pourrait, à l'occasion, faire un package pré-électoral avec le non moins fameux petit bijou écrit par Laurence J. Peter : « Le Principe de Peter » développant la notion du fameux niveau d’incompétence.

Mais pour en revenir à Jonathan Swift dont l’œuvre est complétée par un court texte de Jean-Jacques Courtine (« Le Mentir Vrai ») quelques extraits, choisis au hasard des deux textes, donnent la mesure sinon la dimension du propos :

"Des mensonges coutumiers pronostiquant des catastrophes, destinés à effrayer le peuple en lui dépeignant un avenir noir pour le conduire à se contenter d'un présent gris : il faut en user prudemment, ne pas montrer au peuple des objets terribles, de peur qu'ils ne lui deviennent familiers et qu'il s'y accoutume. Ainsi de ces promesses annonçant à ceux qui feront le bon choix des lendemains qui chantent :

"il ne serait pas prudent de fixer les prédictions à bref jour ; ce serait s'exposer à la honte et à la confusion de se voir bientôt contredit et convaincu de fausseté."

Ben voyons !

Deux partis se partageant ainsi les compétences en matière de mensonge. Et à ce titre, de reconnaître :

"Qu'ils ont l'un et l'autre de grands génies parmi eux."

L'auteur attribue les mauvais succès des uns et des autres à la trop grande quantité de mauvaises marchandises qu'ils veulent débiter tout à la fois :

« Ce n'est pas le meilleur moyen d'en faire accroire au peuple, que de vouloir lui en faire avaler beaucoup, tout d'un coup ; quand il y a trop de vers à l'hameçon, il est difficile d'attraper les goujons ! »

Et de poursuivre :

« Pour établir le crédit d'un parti, il propose un système qui semble un peu chimérique et qui ne se ressent guère de ce jugement solide que l'Auteur a fait paraître dans le reste de son ouvrage. Son système se réduit à cette proposition, qu'il faut que le parti qui veut établir son crédit et son autorité s'accorde à ne rien dire et à ne rien publier pendant trois mois, qui ne soit vrai et réel ; que c'est le meilleur moyen pour acquérir le droit de débiter des mensonges les six mois suivants. Mais il avoue en même temps qu'il est presque impossible de trouver des gens capables d'exécuter ce projet. »

A bon entendeur !

RÉPRÉHENSIBLE

En outre, on retiendra différentes sortes de mensonges - le mensonge d'addition et de soustraction, celui de translation, mais aussi, le mensonge totalitaire et le mensonge démocratique - il en présente les champs d'application avec le souci constant de la mesure. Et s’interroge sur le fait de savoir si, plus c'est gros, plus ça passe ?

Réponse : pas forcément.

Quant à la calomnie et la rumeur, elles peuvent tout autant alimenter le mensonge.

Illustration :

"De même que le plus bas des écrivains a ses lecteurs, le plus grand des menteurs a ses crédules : et il arrive souvent que si un mensonge n'est cru qu'une seule heure, il ait fait son travail. Le mensonge vole et la vérité ne le suit qu'en boitant, de telle sorte que lorsque les hommes en arrivent à ouvrir les yeux, c'est un quart d'heure trop tard."

"Ce n'est pas trop présumer de la crédulité de la plupart des hommes, puisque les ressorts secrets des choses leur sont ordinairement inconnus."

Il convient en tout état de cause de savoir que :

« Si le gouvernement a seul tout le droit de frapper à son coin les mensonges politiques, le peuple n'a point d'autre moyen que l'exercice de ce droit incontestable, pour renverser un gouvernement dont il est las et fatigué ; qu'une abondance de mensonge politique est une marque certaine de liberté et que, comme les Ministres se servent quelquefois de ce moyen pour affermir leur autorité, il est raisonnable que le peuple emploie les mêmes armes pour les abattre et pour se défendre lui-même..."

Pour autant :

"Faut-il tromper le peuple pour son bien ?"

C’est tout le paradoxe du « mentir vrai », arme fatale et de destruction massive, s'il en est, véritable pandémie aux limites extrêmes de la l’immoralité dont les tenants de la politique business – la grande majorité – se repaissent à satiété.

Comme en matière d’effet placébo, faut-il tromper le patient pour tenter une éventuelle guérison ?

Au-delà du mensonge de base - non moins répréhensible - on rejoint le principe tordu du mensonge en politique autrement plus grave de conséquences. Mais qui n’atténue en rien les effets souvent désastreux du mensonge en général.

 

Bernard VADON

 

 

Bernard Vadon … Retrouvez le sur son blog :

bernardvadon-journaliste.over-blog.com

 Écrivain, journaliste homme de théâtre, auteur de chansons...Bernard Vadon est né au bord de la Méditerranée. C'est la seule concession qu'il consent à faire aux biographies conventionnelles. Celles qui emprisonnent la vie dans un cadre rigide, définitif, faussement patinée par des années qui ne sont pas forcément lumières. L'important : s'efforcer de vivre son morceau de temps, en liberté de cœur et d'esprit. Et célébrer toute beauté donnant son relief à la vie. Et qui sait, peut-être, à l'éternité, Bernard Vadon se reconnaît un tempérament curieux qui le pousse en permanence à apprendre, à comprendre et pourquoi pas à aimer : l'homme, l'animal, la nature. Tout ce qui vibre et fait vibrer. Trois notes de musique, deux mots, et ces mille et un petits riens qui font, à tout bout de champ, l'instant émotionnel...

Rédigé par Bernard Vadon

Publié dans #J - 2 - B ( Journal )

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