ET MAINTENANT ? DE RENÉ BARJAVEL A PABLO SERVIGNE, APÔTRE DE LA CALLAPSOLOGIE : la théorie de l’effondrement est-elle en marche ?

Publié le 11 Juin 2020

Dans son ouvrage intitulé « Ravage » René Barjavel écrivait une histoire ayant lieu dans une société imaginaire difficile ou impossible à vivre, pleine de défauts dont le modèle ne doit pas être imité. Extrait :

"Ils tournent celle-ci vers la destruction ...

« Les hommes ont libéré les forces terribles que la nature tenait enfermées avec précaution. Ils ont cru s'en rendre maîtres. Ils ont nommé cela le Progrès. C'est un progrès accéléré vers la mort. Ils emploient pendant quelques temps ces forces pour construire, puis un beau jour, parce que les hommes sont des hommes, c'est-à-dire des êtres chez qui le mal domine le bien, parce que le progrès moral de ces hommes est loin d'avoir été aussi rapide que le progrès de leur sciences, ils tournent celle-ci vers la destruction. »

Une oeuvre qui figurait au fronton du genre de la science-fiction et qui révélait un talent à percevoir le progrès scientifique, une sorte d’inspiration mystérieuse qui n’a pas manqué de produire ses effet, un monde post-apocalyptique qui a nourri la fiction contemporaine jusqu’à cet autre ouvrage phare intitulé « La Nuit des temps » , une  histoire d’amour sinon un récit fantastique de l’âge d’or de la Terre quand la planète hébergeait, il y a 900.000 ans, le monde du Gondawa. 

René Barjavel : pas si imaginaire que cela ...

 

Mais pour moi, c’est « Les Dames à la Licorne » qui combla mes rêves de jeunesse. En effet comment ne pas tressaillir à pareille description. Extrait :

« La licorne s'arrêta et se retourna. Le Roux sur son cheval, immobile, la regardait. Le soleil flambait à travers ses cheveux. Il vit les yeux bleus de la licorne pâlir et tout son corps devenir clair comme le croissant de lune qu'on devine au milieu des jours d'été dans le ciel. Puis elle s'effaça entièrement, et Foulques ne vit plus devant lui que la montagne d'or des genêts.
 

La licorne s'arrêta et se retourna ...

 

À côté de lui, à le toucher, se tenait, sur un cheval couleur de miel, une fille de même couleur. Ses cheveux lisses tombaient jusqu'à sa taille sur sa robe de lin. Ses yeux étaient bleus pailletés de roux. Elle lui souriait.

L'île était un vaisseau chargé de bonheur. La forêt, exaltée par le soleil et les pluies, gonflée par la formidable poussée des sèves du printemps, s'offrait à la main du vent comme un sein de jeune fille amoureuse à qui la joie donne de l'appétit. »

Pablo Servigne : comment tout peut s'effondrer ?

Retour à l’actualité avec Pablo Servigne, agronome de formation, apôtre de la collapsologieet co-auteur de "Comment tout peut s'effondrer" qui a vulgarisé le concept de "collapsologie" , la science qui propose « d’apprendre de nos erreurs pour éviter l'effondrement après la pandémie. » et s’en explique :

Que nous dit la crise du Covid-19 de l'état de notre société :

« C'est comme une radiographie de la vulnérabilité de notre monde, industriel et globalisé. Il est hyper efficace, mais avec les flux tendus, l'absence de stocks, les chaînes d'approvisionnement longues et rapides, tout ce qu'on a gagné en efficacité, on l'a perdu en résilience. Ce monde est devenu puissant, grâce au pétrole mais très vulnérable, comme un colosse aux pieds d'argile. En France, nous avons perdu notre indépendance, notre autonomie alimentaire, c'est une catastrophe. Alors même que nous sommes un grand pays producteur, et même exportateur. Il faudrait des stocks partout, de la diversité, de la redondance, c'est-à-dire que l'alimentation ne vienne pas d'une seule source, et de l'efficience, c'est à dire consommer moins et mieux, et le plus renouvelable possible. »

Est-ce que cette crise pourrait être le "premier domino" d'un effondrement plus global ?

« C'est possible, car le choc a été incroyablement vaste, global et rapide. Et comme tout est interconnecté de manière homogène, et donc vulnérable, un des dangers serait de considérer cette crise comme uniquement sanitaire. Elle est liée à l'économie et à la finance qui est un château de cartes risquant de s'effondrer avec des conséquences majeures, économiques, industrielles et sociales : chômage, dettes, étalages vides, émeutes, changements de régime - parce que les gens mécontents continuent à voter - et donc ,évidemment, risque identitaire et autoritaire. Tout cela débouche souvent sur des crises politiques et géopolitiques majeures, qui sont des accélérateurs de chaos et la pandémie peut bien évidemment déclencher des crises alimentaires graves, et donc d'autres épidémies et favoriser les crises politiques. Sans oublier l'essentiel, le réchauffement climatique et ses effets dévastateurs, qui n'attendent pas la fin de nos petits tracas d'humains. C'est donc l’hypothèse d’un premier domino, massif et brutal, qui a cette capacité d'en déclencher d'autres. Mais on peut inverser la question, et y voir aussi un premier domino en sens inverse. »

Cela déclencherait-il des changements sociaux-politiques positifs ?

« Ce qui me donne le plus d'espoir et de joie c'est de voir le vivant qui se régénère assez vite, cette incroyable réactivité à l'arrêt de nos activités. Arrêter de polluer, de détruire les écosystèmes et le vivant revient vite. La grande leçon de cette rupture, c'est qu'il est finalement possible de ralentir ! Et puis cette crise, comme toutes les crises, ouvre des opportunités. Ce qu'il y a d'intéressant, c'est le grand retour des États souverains. L'idéologie dominante néolibérale a passé 50 ans à démanteler tout ce qui était de l'ordre de l'État et en particulier l'État providence, l'État qui prend soin. Elle a pillé le public et le commun pour donner au privé et aux marchés. Dans une situation d'urgence, on se rend compte qu'on a besoin de coordination, d'un État transition qui prenne soin, et à qui on peut faire confiance. C'est une leçon, car une « transition » c'est-à-dire un changement radical et rapide de société, ne peut être que coordonnée. Il faut un État stable pour le faire, et il y a ici une opportunité de retrouver des manettes, des leviers. »

Quel serait alors le grand risque ?

« Le grand risque serait de repartir à l'identique, ou pire, une stratégie du choc face à des peuples sidérés et hagards, un déploiement d'États autoritaires et de surveillance généralisée. Les populations devront être vigilantes et combatives, car le retour à l'activité se fera avec les mêmes gouvernements qui nous ont amenés à cette situation... Il y a un risque de statu quo, qui serait dramatique. Les grands progrès pour réduire les inégalités, comme la construction de la sécurité sociale, se sont faits après les grands conflits, les grands chocs, lorsque les industriels et la finance étaient à genoux. S'il y a une prise de conscience des alliances, il y a une chance qu'on puisse aller vers une reconstruction audacieuse. Pour qu'on ne revienne surtout pas à la barbarie d'avant, mais qu'on apprenne de nos erreurs. »

 

Bernard VADON

 

 

Rédigé par Bernard Vadon

Publié dans #J - 2 - B ( Journal )

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