A MARRAKECH, LE TEMPS D’UNE SOIRÉE MUSICALE  SOUS LES PALMIERS DU QUARTIER HIVERNAGE : DE BEETHOVEN À CHOPIN EN PASSANT PAR SCHUMANN … ET GAINSBOURG.

Publié le 24 Février 2024

 

Souvenir, souvenir :

…. Dans le cadre du 250ème et dernier anniversaire de la naissance de Ludwig Van Beethoven, alors qu'Élisabeth Sombart honorait, on s'en souvient,  cet événement prestigieux en enregistrant, accompagnée par le Royal Philharmonique  Orchestra placé sous la direction de Pierre Vallet, l’intégrale des concertos de Ludwig van Beethoven, Romain Rolland, prix Nobel de littérature, passionné d’art et de musique, avait estimé à propos du célèbre compositeur :

«C’était bien davantage que le premier des musiciens mais c’était la force la plus héroïque, de l’art moderne. »

Pour Élisabeth Sombard, c'était le devoir d’accomplir un authentique acte de foi. Avec, en filigrane, sur la portée, cette référence beethovenienne :

« La seule marque de supériorité que je reconnais, c’est la bonté ».

La musique, le lieu de la transcendance et la « porte du paradis ».

Quant à connaître la motivation qui l’avait habitée quant à enregistrer l’intégrale des concertos pour piano de Beethoven, Élisabeth Sombart l’expliquait alors par cette singulière et quasi inexplicable nécessité de refaire le chemin spirituel inspiré par Beethoven. En somme, Beethoven passionnément, le thème de la soirée en partie consacrée au grand compositeur et organisée mardi 20 février dernier à Marrakech dans le mythique quartier de l’Hivernage le bien nommé puisqu’il accueille chaque hiver les européens en recherche de climat plus clément.

Une quarantaine d'invités composait l'assistance - notamment -  M. Stéphane Baumgarth, consul général de France à Marrakech; le frère Manuel, curé de l'Église  des Saints-Martyrs à Marrakech; Cheikh Muhammad Valsan, conférencier et directeur de la revue Science sacrée; le chirurgien Philippe Chevallier et son épouse Fatim-Zohra Berrada Chevallier; la chef-cuisinière                                                                                                                                                                                 Fatéma Hall, ethnologue et auteure; Mme Zoubida el Boustani propriétaire de Financial and Business Solutions et M. Matti Ammal; le professeur Hassan El Gbouri et Mme; M. Giöran Lindqvist; M. Christophe Hinous et son ami Gilles; M. Patrice Pécout; Philippe Hersant, président-fondateur de Restaurants sans Frontières et son épouse Catherine; Mme Brigitte Romelli-Busy et ses amis; Kenza et Abel Damoussi, Abel Production; Mme Claude Fantun; M. Mohamed Bichara et Mme Tourya Hassan; M. Hassan ben Addi, de Piano-

Menara ... etc  

SUBLIME ET POIGNANT

Estimant que la musique est le lieu de la transcendance et la « porte du paradis » dans le droit fil de la philosophie héritée pour nous de la grande pianiste Élisabeth Sombart, ce fut, l’autre soir, au tour, de Michel Chanard, dans le cadre enchanteur du square de l’Hivernage, à Marrakech, de l’exprimer. Et cela, dès les premières mesures du  concerto N°5 de Beethoven, singulièrement au travers de la magie de l’Adagio , accompagné, en différé, par l’orchestre philarmonique de Stuttgart. Le prétexte à nous découvrir le monde intérieur du dernier représentant du classicisme viennois, espace privilégié de générosité et surtout de réelle compassion. Et cela, au-dessus de toute dualité propre à exprimer, mesure après mesure, une sorte d’unité lumineuse jusqu’à vibrer à l’expérience de la mort dans un des plus longs pianissimos interprété en ouverture de cette soirée musicale – et à nouveau par Michel Chanard – au travers du sublime et poignant concerto en mi bémol majeur opus 73 nommé aussi « l’Empereur ». Notamment, cet adagio :

« Quand on le joue et qu’on arrive au bout de ce diminuendo il n’y a plus rien, on est comme mort. Il reste juste le corps, juste un fond qui tient comme ça. Inexplicable. Je ne sais pas où on trouve la force intérieure pour sortir de ce silence, pour aller vers la lumière exprimée par une note du cor, dans le lointain. Petit à petit, dans les dernières mesures de ce lent mouvement, on retrouve la lumière pour parvenir à la résurrection, à une joie extraordinaire, au jaillissement, et à une renaissance quasi-miraculeuse. » confiait encore Élisabeth Sombard.

« J’ai ressenti cela comme un signe. ...

C’était lors de la périlleuse et affligeante sinon triste période du premier confinement. Le pire restait à venir. Et il vint :

« J’ai ressenti cela comme un signe. Tous les concerts avaient été annulés, mais j’ai pu laisser une trace de ce chemin qui montre qu’on doit écouter cette musique en pleine liberté d’écoute.  Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que les nazis avaient interdit aux juifs d’interpréter Beethoven. Ils avaient surtout interdit tout ce qui directement ou indirectement était susceptible de faire référence à la liberté ou simplement d’en témoigner. Avec la musique de Beethoven en première ligne Ne parlons pas de l’effroyable haine du juif.» assurait-elle encore

C’est la raison pour laquelle, autrement motivé, elle avait  décidé de jouer Beethoven à Auschwitz : 

« Même quand on nous empêche de faire quelque chose – ce qui fut le cas dans les camps de la mort - il y a toujours un moyen de poser des actes jusqu’au martyre." 

Comment en ces temps d’antisémitisme tristement  renaissant ne pas être sensibilisé par cette musique. En particulier, au souvenir de l’innommable  Judenrampe  – où se pratiquait la sélection des prisonniers aptes au travail, et celle des condamnés aux chambres à gaz. Là,  280 enfants, sous la direction d’un chef de chœur tchèque, interprétaient, en cachette dans les latrines (!) l’hymne à la joie de Beethoven.

Bien au-delà des larmes, la musique est un baume puisé au fond de l’âme.

Admirable et héroïque mais en même temps hallucinant d’horreur et d’inhumanité manifeste en regard de cette détestable Allemagne nazie. 

Aussi, lors de la commémoration de ce 250e anniversaire de la naissance de Ludwig van Beethoven – honoré en 2020 -  et en dépit du confinement et de ses contraintes, l’événement, n’est fort heureusement pas passé à la trappe. A cet égard, Élisabeth Sombart avait souhaité le souligner en choisissant précisément Auschwitz comme lieu de récital  et en même temps d’hommage envers un musicien – Beethoven - qui avait élaboré une partie de son œuvre comme un rempart à la barbarie. Cet éblouissant concerto N°5 en est un vibrant témoignage musical :

« La musique de Beethoven en particulier est un chemin certes mystérieux mais qui peut relier le visible à l’Invisible. Apporter la consolation éternelle et le courage, car il y en a beaucoup dans cette musique. Ses problèmes de surdité l’ont incité avec force et détermination à puiser dans intériorité. » confiait la musicienne.

VÉNÉRATION

Certes, la musique n’est pas une fin en soi mais, elle est la porte du paradis. Affirmation confirmée par Joseph Haydn, incarnation du classicisme viennois comme d’ailleurs Mozart et bien entendu Beethoven, une sorte de trinité classique viennoise qui vouait envers Mozart une vénération manifeste et qui lui inspira ces mots lors de sa disparition :

« J'ai été longtemps hors de moi à la nouvelle de la mort de Mozart, et je ne pouvais croire que la Providence ait aussi vite rappelé dans l'autre monde un homme aussi irremplaçable. » clamait le grand musicien.

Isabelle-Christiane Kouraogo....   après une prestation surprise très applaudie lors de ce concert, la divine soprano interprétait le dimanche,  suivant, lors de l'office, deux pièces dont le mythique "Panis Angelicus" de César Franck et "l'Ave Maria" de Robert Prizeman (notre photo) accompagnée à l'orgue par Michel Chanard : « La foi ne se choisit pas, le talent et la vocation non plus."(ci-dessous la vidéo) 

Bien au-delà des larmes, la musique est un baume puisé au fond de l’âme. Elle donne la paix à ceux qui sont sans repos et console ceux qui pleurent, disait le violoncelliste Pablo Casals. 

Et Élisabeth Sombart, à la coda de cette pensée de facture spirituelle, de confirmer : 

« Quand on ouvre la porte du paradis, on entend d’abord de la musique, ce qui n’est déjà pas mal. Mais il ne faut cependant pas pour autant idolâtrer la musique. Toutefois, elle porte en elle une réponse à cette brisure qui affecte la société actuelle. Affectée par cette malheureuse dualité dont parlait saint Paul : Je ne fais pas le bien que je voudrais, mais je commets le mal que je ne voudrais pas. » La musique classique, parce qu’elle s’articule autour de deux modes, majeur et mineur, permet à l’homme de retrouver le paradis perdu, l’unité essentielle qui lui manque tant. »

Alors, nous sommes tout naturellement tentés de savoir s’il existe pour elle un lien entre la foi et l’inspiration musicale :

« La foi ne se choisit pas, le talent et la vocation non plus. Cela vous saisit à un moment donné. C’est à mon sens de l’ordre de l’expérience. La musique, comme toutes autres activités d’ailleurs, est un chemin vers l’expérience. Le temps musical est un temps où la fin est contenue dans le début, où le présent donne accès à la présence. À un moment donné, la question n’est plus de savoir s’il y a plus grand que soi-même, ou de savoir si l’homme dépasse l’homme et surtout s’il y a autre chose que ce que l’on voit ? »

Une analyse d’ordre transcendantal. Une sorte d’appel à l’inconscient et surtout au doute sinon, en manière de rattrapage intellectuel, une incursion dans la philosophie cartésienne via le fameux « Discours de la méthode » de René Descartes. Histoire aussi de se rassurer, de nous - de me rassurer - et pourtant comme l’écrivait ce cher René Descartes « Cogito ergo sum » (Je suis, donc je pense) pour affirmer que la pensée est une preuve d’existence. Enfin, en principe :

« Quand je joue Beethoven il s’établit une relation, une communication au-delà de ce que nous connaissons dans notre dimension physique. Peu importe la manière dont on accède à la présence intérieure. Ce qui est sûr, c’est que si on la pressent lors d’une interprétation, alors on « sait Dieu ». C’est aussi de l’ordre de l’expérience. Ceux qui m’assurent que Dieu n’existe pas, qu’il n’y a pas d’âme, je prie beaucoup pour eux, et en même temps je me réjouis intérieurement car je sais qu’ils auront un jour une bonne surprise. » confiait encore Élisabeth Sombart.

BRODERIES

Mais cette soirée musicale se targuait aussi de célébrer comme il se doit un compositeur d’exception. Et pour ce faire Michel Chanard et Michel Ronzeau avaient uni leur talent pour interpréter en ouverture de cette soirée, à quatre mains, l’une des premières marches Ops 45  de Beethoven.

Michel Chanard et Michel Ronzeau unissant leur talent pour interpréter, à quatre mains, l’une des premières marches Ops 45 . (vidéo jointe ci-dessous)

Un choix d’autant audacieux, si on peut dire, que Beethoven n’était pas particulièrement attiré par ce genre. Il aurait produit moins de dix œuvres à quatre mains.

Sa motivation  lui serait venue suite à la commande d’un mécène musical, un certain John Georg Browne.

Trois marches bien conçues et pas seulement pour servir d’interludes divertissants dans les salons car ces trois morceaux sont composés dans les tons de Do, Mi bémol et Ré attestant d'un style symphonique. Particulièrement, la première marche, la seule du répertoire retenue pour figurer au programme. Commençant sur un thème glorieux pour ne pas dire royal et exigeant, de la part des interprètes, des prouesses techniques … loin de la Méthode Rose !

En suivant, l’interprétation par Michel Chanard de « l’Empereur » accompagné par l’orchestre philharmonique de Stuttgart, c’est l’écoute d’une œuvre magistrale à laquelle nous invita cet artiste talentueux. Une œuvre incontestablement imprégnée de l’ambiance guerrière caractérisant le conflit armé opposant  l’Autriche et la redoutable armée napoléonienne. 

Cet Adagio s’enchaîne littéralement au premier mouvement et se poursuit ensuite en forme de choral. Beethoven y associe de multiples variantes afin d’offrir les “broderies” les plus naturelles au clavier dans son dialogue avec les cors. Le dépouillement de l’écriture et l’atmosphère presque religieuse suspendue sur la note “si” du piano.

1809sera l’année “maudite” pour l’Autriche. L’invasion des troupes napoléoniennes et l’occupation de Vienne pour la seconde fois par les troupes françaises. Il s’y ajoutait le traumatisme des bombardements des 11 et 12 mai 1809 qui marquèrent profondément les Autrichiens et les exhortations à la révolte que l’on pouvait décrypter sur les manuscrits du Concerto en mi bémol majeur que composa alors Beethoven. Elles sont sans équivoque:

Angriff! Sieg! (Attaque! Victoire!.)

Toutefois, l’année 1809 ne sera pas improductive pour le compositeur, car bon nombre de chefs-d’œuvre virent le jour. En particulier,  la Sonate pour piano « Les Adieux », le dixième Quatuor à cordes op.74 ainsi que ce fameux cinquième Concerto pour piano qui marque donc une véritable révolution dans le genre. Aucun compositeur n’avait avant lui écrit un premier mouvement d’aussi vaste dimension comprenant pas moins de six cents mesures!

Un aperçu de la nombreuse assistance.

Instant de relatif apaisement au coeur de ce programme éclectique avec deux pièces de Frédéric Chopin interprétées par Michel Rouzeau; en l'occurrence, « Trois Écossaises » et la Fantaisie- Impromptu avant que celui-ci ne joue une oeuvre de Robert Schumann, singulièrement sa charmante «Rêverie » témoignant de l’intérêt du compositeur pour le culte romantique de l’enfance. Schumann, en effet, avait été impressionné par la lecture des écrivains allemands Ernst Hoffmann et Anton Thibaut. Il en est résulté une conception symbolique de l’enfance proche de son idéal musical. En somme, la profondeur sans pour autant sacrifier à la simplicité sinon à la pureté dont les scènes d’enfants illustrant au final, un idéal exemplaire.  

Michel Ronzeau – éminent professeur, finaliste de nombreux concours mais aussi un interprète de grande qualité par son toucher aussi délicat que précis – préparait en suivant la prestation de Michel Chanard avec le concerto N°1 de Beethoven et notamment le largo et  l’allegro con brio, toujours accompagné par l’orchestre philharmonique de Stuttgart.

Les deux interprètes, au cours d'une interview-express avait auparavant éclairé l’assistance sur leurs goûts respectifs en matière musicale, leur motivation également mais aussi leur activité de compositeurs. Notamment, Michel Chanard auteur d'un « Magnificat » pour soprano solo, chœur, deux pianos et timbales qui sera donné en création, l’an prochain, à Nîmes et Michel Ronzeau révélant son talent pour le moins diversifié dans l’écriture pour piano de chansons berbères. Surprenant.

Dans le sillage de Claude Debussy, "Prélude" ... à une soirée musicale avec de gauche à droite, le chirurgien Philippe Chevallier; Philippe-Ugo Jayat; Fatim-Zohra Berrada Chevallier; Bernard Vadon; Michel Chanard et Michel Ronzeau.

Patrice Pécout, en début de soirée, en quelques mots et beaucoup de conviction, avait évoqué le récent ouvrage de Bernard Vadon illustré par son ami, Philippe-Ugo Jayat. Un ouvrage intitulé « Quand passent les chevaux du désert » paru aux éditions Patrice du Puy – Mémo-Doc –

PRELUDE GOURMAND

Moment de détente en clôture du programme musical avec la séquence intitulée « clin d’œil » et la référence à Serge Gainsbourg auteur de la mythique chanson « Poupée de cire, poupée de son »...Gainsbourg spécialiste s'il en est de l’emprunt aux compositeurs classiques et singulièrement Beethoven pour ce qui est du quatrième mouvement de la première sonate pour piano. 

Gainsbourg ayant également nourri son inspiration à l'écoute de la Symphonie du Nouveau Monde d’Antonín Dvořák pour la bande son du film «  Requiem pour un con. » ... sans oublier une symphonie de Johannes Brahms qui lui permit d'écrire la chanson « Baby Alone in Babylone » interprétée par Jane Birkin. Enfin, la sonate N°23 dite Appasionata lui inspirera également la mélodie pour son autre chanson intitulée : «  Ma Lou, Marilou. » 

Traditionnellement, cette soirée musicale s’est achevée par un sympathique  et goûteux apéritif dînatoire concoctée par la cheffe Mina Aarab servi par Mohamed et, discrètement mais efficacement orchestré,  par Abderrahim Abounasr.

Une jolie et savante composition gastronomique où pas moins d’une quinzaine de « croustillantes surprises », de « rencontres de l’océan sur canapés » ou encore « d’amuses-bouches » salés et sucrés, composaient une joyeuse mise en bouche, sans compter les vins et les jus de fruits variés à souhait, l'ensemble constituant une suite gourmande et originale sur cette route musicale nocturne …un  moment d'émotions intenses, d'échanges aussi, dans la mouvance de l’appréciation de l’historien et philosophe anglais, Théodore Zeldin, selon lequel, la gastronomie est l’art d’utiliser la nourriture pour créer du bonheur. 

En tous cas, une complémentarité qui s’impose pour deux genres harmoniquement solidaires.

Bernard VADON

 

 

 

 

 

Isabelle-Christiane Kouraogo.... lors de son émouvante prestation, en l'église des Saints-Martyrs, d'abord à l'offertoire et ensuite durant la communion.

Rédigé par Bernard Vadon

Publié dans #J - 2 - B ( Journal )

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