LA CIVILISATION QUI VIENT OU LA MORT DE L’HOMO SAPIENS : TRISTES LENDEMAINS !

Publié le 20 Février 2023

Tout en y faisant référence dans son dernier livre intitulé Homo Numericus (ou la civilisation qui vient)  l’économiste Daniel Cohen dénonce, sans ménagement, « l’Erreur de Descartes » tout en se rattrapant en affirmant, dans le sillage d’Antonio Damasio que « Spinoza avait raison » et que l’émotion confère aux êtres vivants la possibilité d’agir.

Dans son ouvrage du moment, l’auteur de nombreux best-sellers évoque surtout la fin de dix mille ans d’histoire et le début d’une autre tout en expliquant  pourquoi la révolution numérique représente un tournant de l’histoire de l’humanité et non pas une simple et nouvelle étape de la société industrielle.

On s’en serait un peu douté mais à ce point c’est autrement dérangeant et surtout inquiétant ! 

BLACK MIRROR

Bref, l’éminent économiste atteste que depuis l’Antiquité, les philosophes et les grands prêtres s’interrogent sur le propre de l’homme soulignant que la particularité de l’humanité serait finalement de raconter des histoires, d’y croire et de bâtir avec des mythes sur lesquels se construisent des civilisations entières.

Un voyage passionnant et érudit des origines de l’humanité aux cauchemars technoscientifiques de la série Black Mirror ( une anthologie télévisée britannique, créée par Charlie Brooker) auquel nous fait participer l’auteur.

Instructif mais triste constat :

« Nous sommes en train de nous arracher au poids des représentations que les sociétés agraires nous ont léguées. La parenthèse de dix mille ans où elles ont gouverné les vies humaines est en train de se refermer », écrit notamment Daniel Cohen.

Une manière, pour l’auteur, d’enterrer l’Homo sapiens, du moins dans sa version néolithique, et de célébrer l’avènement de « l’Homo numericus ».

La séquence Covid, dans le droit fil des activités numériques revisitées pour la circonstance, nous a fait prendre conscience de ce nouvel ordre sociétal :

« Il est devenu soudain anodin de faire ses achats en ligne, de travailler à distance ou de consulter son médecin depuis chez soi. Ce qui se passe n’est pas une brique de plus dans la longue construction de notre société industrielle, mais l’entrée dans un nouveau monde, celui que Daniel Cohen appelle « l’industrialisation de la société postindustrielle » analyse, pour sa part, Philippe Escande éditorialiste au journal Le Monde, membre du bureau de l'Association des journalistes économiques et financiers (AJEF).

Un observateur de référence quant à la réflexion.

En tout cas, à l’instar de la révolution industrielle des XIXe et XXe siècles, qui a créé la société de consommation par la fabrication en série des biens physiques, la révolution numérique procède de même avec les services, qui représentent aujourd’hui les trois quarts de notre économie et de nos emplois.

Qui l’eut cru ?

Tout est exécuté en ligne.

Et pourtant, désormais, tout est exécuté en ligne pour réduire le coût d’activités aussi essentielles que se divertir, s’éduquer, se soigner, se nourrir et même se faire la cour. Par exemple, pourquoi passer des heures dans des soirées et dans des bars pour chercher l’âme sœur quand un seul clic suffit sur Tinder ou autres sites de rencontres pour satisfaire ses envies.

En voilà effectivement de la productivité !

LE CRÉTIN DIGITAL !

Les années 68 nous avaient réservé, dans le genre quelques rêves de circonstance.

À la mort de sa femme, qui l'a toujours mené à la baguette, un fermier décide de profiter de la vie et comme on dit familièrement de se la couler douce. Alexandre le bienheureux il se nomme, alias Philippe Noiret campait dans ce film réalisé par Yves Robert et bien avant l’heure numérique ce personnage truculent  inventeur génial d’une machine à ne rien faire. Une préfiguration de la révolution numérique que Michel Desmurget nous décrit avec humour et talent dans son livre « La fabrique du crétin digital » où son diagnostic est sans appel qui dénonce le trop plein d’images, de sons et de sollicitations provoquantes ( je cite) « des déficits de concentration, des symptômes d’hyperactivité et des conduites addictives ».

Sans parler de la radicalisation générée par les réseaux sociaux avec en prime les discours haineux.

Exit l’agora de la Grèce antique !

Le capitalisme numérique via les algorithmes est en marche.  Tenez fermement le volant.

Pour Daniel Cohen, ces algorithmes sont l’équivalent dématérialisé des chaînes de montage de Ford qui, à partir des années 1920, ont écrasé le prix des voitures. Au-delà, le numérique promet aussi la libération de la parole, la connaissance à portée de tous et la fin des hiérarchies et des obstacles sociaux de toutes sortes.

Avec, en prime, pour le « fun », les arnaques de toutes sortes et la montée en flèche des petits et détestables génies d’un sens parfois inné de l’informatique mis au service de la voyoucratie internationale.

Le moment de ressortir les bas de laine de nos ancêtres pour y dissimuler nos maigres épargnes est-il venu ?

LA PIRE DES CHOSES

Plus sérieusement, s’installe derrière ces promesses paradisiaques et en filigrane de noms magiques  – si on peut dire -  une déshumanisation que l’on tente de faire digérer sous les slogans de liberté et d’égalité. Foutaise !

Autrement préoccupant, se profile une accélération de l’arnaque en tous genres. Une partie de certains cerveaux démoniaques qui n’ont pas été affectés par la drogue numérique ne perdent pas leur temps pour se mettre à l’ouvrage. Un détroussage en puissance.

La kyrielle de conseils prodigués par la plupart des institutions et des sociétés, dont les banques, est significative de cette calamiteuse et inquiétante situation.

Ah, bon. Où sont passés nos grands moralistes ?

Plus concrètement, l’accent est mis sur l’augmentation marquée de l’utilisation de logiciels de rançon qui ont déjà causé des perturbations importantes. Comme la langue d’Ésope, l’intelligence artificielle, en constante évolution, est la meilleure mais aussi la pire des choses.

Des chiffres pour convaincre les sceptiques :

Perte par minute dans le monde suite aux attaques par phishing (technique utilisée par les fraudeurs pour dérober des informations personnelles)  la bagatelle de 17.000 dollars. Quant aux 90% des données des Français, elles sont irrécupérables suite à une attaque de type Wavestone ( logiciel rançonneur, logiciel de rançon ou logiciel d'extorsion qui prend en otage des données personnelles).

Quant à Twitter – racheté par Elon Musk – il a été piraté en ce début d’année avec des millions de données à la merci des pirates.

Et vogue la galère !

Et l’éthique élémentaire dans tout ce charivari ?

Autant en emporte le vent de la triche ( un logiciel dernière génération serait ainsi en mesure de rédiger des textes, des rapports et même des articles et des livres -  sans  pour autant qu’intervienne l’intelligence humaine ), sans oublier la désinformation, la manipulation de l’opinion publique et pour faire bonne mesure, la violation de la vie privée.

Réponse de l’économiste :

« Pour générer du rendement, le numérique dématérialise les relations humaines, les prive de leur chair. » 

DOUX DINGUES

Conséquence : une psyché qui transforme « l’Homo numericus » en un être de plus en plus seul, impulsif et irrationnel (le rationnel étant pris en charge par les algorithmes). En clair, un pseudo homo tenté de reconstruire du collectif à travers les réseaux sociaux et qui se trouve insidieusement enfermé dans des communautés partageant les mêmes intérêts mais aussi, et souvent, les mêmes obsessions et les mêmes croyances. Les mêmes défauts.

Ce nouvel homme est devenu « solitaire, nostalgique, libéral et antisystème ».

A l'image des drogues dures ...

Manifestement, l’interface tactile crée un lien relationnel , addictif entre les deux, à l’image des drogues dures qui, selon les besoins liés à leur consommation, prennent possession du cerveau et l’assujettissent à leur envie de consommation. De son côté,  la firme Facebook ne cherche rien d’autre qu’à « exploiter la vulnérabilité de la psychologie humaine.

Comme pour l’ensemble de ces réseaux, l’objectif consiste à capter l’attention humaine et peu importent les conséquences.

« Un nombre impressionnant de travaux montrent d’ailleurs les conséquences cognitives catastrophiques de ce phénomène. » écrit encore Daniel Cohen.

Pas de quoi s’en réjouir. On peut toutefois encore rêver avec ceux – peu nombreux certes – qui constituent une arrière-garde moquée et pour cause, ceux qui, aux côtés de Daniel Cohen, estiment :

« C’est contre la double dissolution numérique du rapport à autrui et au monde réel qu’il faut lutter. Nous ne resusciterons pas les morts et ne migrerons pas vers une autre galaxie : c’est avec les vivants et sur cette planète qu'il faut accepter de vivre.» 

Il y a encore de doux dingues de par le monde, je m’honore de les accompagner.

Bernard VADON

 

Rédigé par Bernard Vadon

Publié dans #J - 2 - B ( Journal )

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