LIVRE : Itinéraire d’une enfant malaimée ou, quand le singulier et magique œil de l’enfance, engendre un ouvrage confessionnel décoiffant.

Publié le 9 Janvier 2025

Sylvia Jean Baptiste est née en France dans les années soixante, d'un père martiniquais et d'une mère vénézuélienne. Une enfance douloureuse marquée par des violences intrafamiliales.

A l'âge adulte, après un parcours de fonctionnaire territoriale puis d'avocate au Barreau de Paris - médiatrice - soit au total, une carrière professionnelle de juriste de 40 ans, le temps est venu, selon l’auteure, d'exorciser les démons qui l'empêchaient de vivre sereinement, jusque-là.

Un récit joliment intitulé « Au mitan de tous ces souvenirs enfouis » marqué, au fer rouge, d’une violence insidieuse (1)  :

« Finalement, écrire cet ouvrage a été thérapeutique même si c'est une fiction autobiographique, beaucoup d'évènements méritaient d'être déposés et partagés. » confie l’auteure qui ajoute : 

« Dans cet ouvrage, je me livre sur l'étape de ma vie la plus fondatrice pour beaucoup d'entre nous, à savoir, l'enfance. Quelle que soit le mode d'éducation choisi par nos parents, elle reste inexorablement gravée en nous. Selon l'Amour ou le "des-Amour" qui nous a construit, cela a pu orienter le chemin de notre vie. Cette vie qui nous appartient. A chacun de trouver la bonne route, celle qui nous mènera à notre plein épanouissement. »

Manifestement, il semble que ce ne fut pas le cas.

PATHÉTIQUE

La confession est terrible, renversante. A la limite, scandaleuse. Quasiment sans grand espoir de retour à une sérénité qui eut été fidèle au concept de l’enfance tenue pour une période d’innocence, de vulnérabilité et de développement durant laquelle l’enfant a besoin de la protection et des soins des adultes en raison de son immaturité physique et émotionnelle :

« J’ai exécré toute mon enfance et toute mon adolescence, aux côtés de mes géniteurs, notamment. En y réfléchissant, à la maison comme à l’école, aucun adulte n’a jamais pris soin de moi ! » poursuit, bouleversante, Sylvia Jean Baptiste.

Dans ce récit aux accents parfois pathétiques où foisonnent les références littéraires ou artistiques, les parallèles sont multiples. Quasiment l’embarras du choix tant le sujet est universel. Malheureusement.

Sylvia Jean Baptiste : N'est-ce pas le ton qui fait la chanson et donne la mesure des ces drames de l'enfance ? 

Pas surprenant que l’auteure ait laissé vagabonder son regard sur les rayons des bibliothèques ou dans les bacs des disquaires. Et singulièrement, sur Andrée Chedid qui a composé une chanson dont la simplicité et les mots choisis … n’est-ce pas le ton qui fait la chanson et donne la mesure de ces drames de l’enfance ?

« Jusqu’aux bords de ta vie tu porteras ton enfance, ses fables et ses larmes, ses grelots et ses peurs (…) Singulier et magique, l’œil de ton enfance, qui détient à sa source, l’univers des regards. »    

Comment ne pas être interpelé par ces vers venus d’on ne sait où, sinon, peut-être, de celui que l’on surnommait gentiment plutôt que méchamment : « le poète prodige aux semelles de vent ».

L’inventeur de ces vers parfois hallucinants mais incontestablement beaux dans leur expression puisée aux sources mystérieuses d’une folie maitrisée. Tout son contraire au regard de la psychiatrie institutionnelle. Du « Bateau Ivre » au« Dormeur du val » en passant par « Voyelles » et « Ma Bohème » en constituant des réponses inspirées de ces rêves que seule l’enfance peut générer :

« Ainsi, toujours, vers l’azur noir/ Où tremble la mer des topazes/ Fonctionneront dans ton soir/Les Lys, ces clystères d’extases ! » .

Comparaison pour le moins audacieuse empruntée au vieux français. Du Rimbaud tout craché sinon pur jus !

Théodore de Banville, chef de file du mouvement parnassien et destinataire de ces vers pour le moins innovants au cœur de la dynamique poétique, n’en serait pas revenu !

L’enfant des « Illuminations » , celui qui est allé jusqu’à embrasser l’aube de l’été,

« Cette idole, yeux noirs et crin jaune, sans parents ni cour, plus noble que la fable, mexicaine et flamande ; son domaine, azur et verdure insolents, court sur des plages nommées, par des vagues sans vaisseaux, de noms férocement grecs, slaves, celtiques.»

Ainsi, l'enfant se projette dans cet avenir imaginaire mais en ce cas, comment finit-il par s'identifier à un destin particulier, parmi tous les destins possibles ?

La vie est un mystère qu’il faut vivre, et non un problème à résoudre, répondrait Mohandas Karamchand Gandhi.

André Guyaux - professeur d’université - qui s’est parmi tant d’autres attaché à décrypter l’œuvre d’Arthur Rimbaud - il va quasiment de soi que la poésie- référence de Rimbaud est traversée par la quête permanente, et quasi obsessionnelle, d’une lumière existentielle, spirituelle et poétique. Et que dans son œuvre se déploie une langue nouvelle, violente et puissamment évocatrice. La sensation emportant la logique et suggérant des images jamais vues.

Arthur Rimbaud : Le poète prodige aux semelles de vent !

Jusqu’à l’imaginer - pourquoi pas -  dans un domaine où le rêve est manifestement sublimé. Pour reprendre la terminologie de "Mauvais sang" (Une saison en enfer), on pourrait tout autant penser que, dans ce "cercueil prématuré" où il s'isole, le "fils de famille" peut encore se forger des "boules de saphir et de métal destinées à ses jongleries poétiques, orfèvreries de pacotille dont il fait l'antidote de son "amertume".

HAPPY-END ?

« L’enfance est pleine de désillusions. »  a, de son côté, confié, en forme de titre de l’un de ses ouvrage, André Lévy, professeur honoraire des universités et Président d'honneur du Centre International de Recherche en Psychosociologie.  

Dans ce parcours subliminal et autrement impressionnant, on retrouve le sentiment de Dieu - pour qui y croie et j’en suis - dans le « Le livre des dialogues » entre sainte Catherine de Sienne, docteur de l’Église, et Dieu justement  :

« Sache que tous les mystères, toutes les manifestations de ma vérité en ce monde, accompagnées ou non de la présence de mes disciples, sont des figures pour l’âme de mes serviteurs et pour toutes les créatures. Il en est ainsi pour que vous puissiez suivre cette règle et cette doctrine en les scrutant avec la lumière de la raison. Qu’il soit grossier ou subtil, qu’il soit borné ou délié, tout esprit peut en prendre sa part pourvu qu’il le veuille ».

Un prétexte à renouer avec le récit de Sylvia Jean Baptiste.

Dans cette autobiographie introspective, l’autrice replonge dans des souvenirs d’enfance qui ont durablement  et surtout amèrement marqué sa vie d’adulte. La pigmentation de sa peau suscitant les mêmes réactions d’un côté comme de l’autre de l’Atlantique, sa place serait-elle dans le mitan de l’océan ? En termes plus explicites : au milieu ?

La question est posée. Pas forcément évident d’y répondre.

En explorant son passé d’enfant où le rejet, la solitude et la violence y ont douloureusement façonné l’adulte qu’elle est devenue, et qui tente, en vain, de comprendre les ressorts de la violence intrafamiliale, celle, par essence, transmise par les générations précédentes, elle  aurait fort bien pu prendre conscience de la situation, comme mue par un étrange sentiment d’anticipation, une manière de « happy end », façon septième art. Sylvia Jean Baptiste aurait alors, inconsciemment, pu faire de sa vie cabossée un de ces rêves dont Saint-Exupéry estimait à sa manière :

« Lorsqu’on rêve tout seul, ce n’est qu’un rêve et lorsqu’on rêve à plusieurs, c’est déjà une réalité. »   

 

Sylvia Jean Baptiste : au coeur de ses activités professionnelles.

Cependant, résolument convaincue que chaque épreuve de vie peut se transformer en une expérience propice à l’élévation de soi, Sylvia Jean Baptiste découvrira, quelques années plus tard, au fil de son parcours de jeune adulte puis d’épouse, de mère et de femme, ce qui a contribué à activer sa reconstruction et reconnaîtra ( je la cite ) que « la vie lui aura au moins enseigné que si quelqu’un avance avec confiance en direction de ses rêves et qu’il s’efforce de mener l’existence qu’il a imaginée, alors il jouira d’une réussite hors du commun ».

Car, toujours selon l’auteure, si la résilience et le pardon sont les étapes indispensables pour aborder à terme un chemin de vie plus harmonieux, elle n’en oublie pas pour autant l’humilité à devoir l’accorder à chacun de ceux dont l’enfance a été volée.

Et en manière de mise en garde, de préciser combien se débarrasser des affres de l’âge dit « tendre » est parfois un véritable chemin de croix.

Tiens, tiens, cela ne vous rappelle rien en matière de drame qui aurait immolé à jamais l’humanité  ?

PROCÉS-VERBAL

D’autant qu’en ce siècle d'incertitudes croissantes, la question du sens de la vie revêt une particulière acuité. Glossaire :

Qui sommes-nous ? Que devons-nous faire pour répondre à notre devoir ?

Récusant les réponses des religions, des philosophes et des scientifiques ont tenté d’élaborer des connaissances par la seule force de l'Esprit.

Volontairement mais aussi je l’avoue, par conviction, j’octroie la majuscule à ce mot, afin d’en mieux caractériser la puissance.

Mais sur ce plan existentiel, l'éthique des chercheurs en sciences humaines a été souvent mise à l'épreuve. Indépendamment du fait que la connaissance ne se donne pas mais qu’elle se construit.

C’est, du moins, il me semble, la leçon sous la forme de cette confession dont on ne sort pas indemne le dernier mot envolé. Une confession parfois terrible. Notamment, lorsque Sylvia Jean Baptiste écrit :

« Face à des scènes apocalyptiques d’une vie de famille considérée comme ordinaire, combien d’enfants en réchappent psychologiquement quand ils sont abonnés de force, dès leur naissance, au « Carré Or » du huis clos familial.(…) Les violences familiales sont un réel sujet en France, toutes composantes géographiques confondues (…) Allez faire admettre à ces profils d’adultes, que de cogner sa femme, à coups de poing, abîme la candeur, tyrannise l’innocence, réprime l’insouciance de son enfant ; qu’il altère, à jamais, le sacré. Surtout lorsqu’on sait qu’un enfant, ni ne se plaindra, ni ne dénoncera la toxicité de son environnement de vie. »

Un livre en forme de procès-verbal terrible quant à son déployé de violence (s) à peine imaginables au sein d’un environnement soi-disant familial qui se conclut à cet instant de la lecture par cette manière d’évidence :

« L’enfant n’a pas besoin de parents parfaits, mais de parents authentiques qui reconnaissent leurs erreurs en s’inscrivant dans leur envie de changer … »

On peut encore rêver dans ce milieu de détraqués !

Un monde singulier où la musique vient parfois calmer cette atmosphère empestée.

Ce peut être, pour l’écrivaine, Mike Brant mais aussi Elvis Presley en passant par Maria Callas. La musique tout court qui se substitue miraculeusement aux mots et aux phrases dans la mouvance du sentiment en la matière superbement exprimé par Marcel Proust :

« La musique est peut-être l'exemple unique de ce qu'aurait pu être - s'il n'y avait pas eu l'invention du langage, la formation des mots, l'analyse des idées - la communication des âmes. »

En remontant le temps, qui ne se souvient de « La Confession d’un enfant du siècle » ?

Celle qu’Alfred de Musset - le poète romantique et tourmenté sinon débauché comme diront certains -  fera paraître en 1836 ? Un roman qu’il convient de lire bien au-delà de la liaison que l’auteur de « La Nuit de Mai » et surtout de « On ne Badine pas avec l’Amour » relate en filigrane de cette aventure amoureuse avec George Sand et qui vient, dramatiquement, se briser à Venise, sous les ors du mythique Hôtel Danieli. Son brillant « Lorenzaccio » est déjà en gestation.

Bref, à seulement vingt-cinq ans, Musset n’offre pas ici une simple esquisse prometteuse, comme le croyait Sainte-Beuve, mais un testament littéraire qu’il ne dépassera pas. Un livre où il apparait comme le héraut d’une génération dont la leçon amère révèle, face à l’absurdité de vivre, l’irrésolution est la seule attitude lucide.

J’aime cette remarque d’Oscar Wilde : « La nouvelle génération est épouvantable. J’aimerais tellement en faire partie ! »

MONTAGE A DEUX VOIX

En avançant, au gré de son écriture, sur le chemin caillouteux au possible où nous conduit Sylvia Jean Baptiste, d’autres aventures marquées du sceau de la tragédie humaine surgissent dans notre mémoire au hasard d’autres lectures. Celle, par exemple, de Nathalie Sarraute. Avocate, comme Sylvia Jean Baptiste, et qui rassemble, avec le talent qu’on lui connait et cela sous la forme d'un dialogue entre elle-même et sa conscience, onze années de souvenirs d'enfance. Une période déchirante entre des parents divorcés mais aussi entre la Russie et la France. Cherchez les analogies.

L’auteure, figure du Nouveau Roman depuis la publication de « L'Ère du soupçon » en 1956, s’efforce elle aussi d'être aussi sincère que possible. Une œuvre qui, à terme, s'avère être une sorte d'introspection où elle s'interroge sur la véritable nature de sa mère, froide et distante, et qui finira par l'abandonner à son père vers l'âge de huit ans et demi, en février 1909.

Échange guère plus enviable.

 

Nathalie Sarraute : L'enfant se sent abandonnée, mais ne peut le dire, redoutant la force des mots : dire les choses les fait exister.

Toutefois, vers la fin du livre, elle expliquera comment elle parviendra à renouer tardivement le lien avec sa mère. Un livre original par sa composition, écrit, en effet,  sous forme de dialogue entre deux parties d'elle-même Ce qui,, manifestement, rend le livre original. Les voix possèdent ainsi deux différentes positions à l'égard du travail sur la mémoire. L’une, assume la conduite du récit et l'autre, est la conscience critique. La seconde freine parfois la première et la met en garde contre les risques de forcer l'interprétation ou inversement la pousse à l'approfondir.

Un « montage » à deux voix qui dédouble le livre pour mettre en évidence un récit d'enfance et un témoignage sur la méthode d’investigation du passé élaboré par l’auteur pour déjouer les pièges traditionnels de l'entreprise autobiographique.

Selon Socrate délivrait à ce propos une analyse intéressante sinon cohérente , explique, à ce propos, Laurent Bachler ( professeur agrégé de philosophie et auteur de nombreux livres sur le sujet ) :

«  Nous avons en nous une connaissance de toutes les vérités. Nous avons acquis cette connaissance avant notre naissance car notre âme, étant immortelle, chevauchait avec les âmes célestes et a vu ces vérités. À la naissance, nous n’avons fait qu’oublier tout cela. Notre ignorance est le résultat d’un oubli. La connaissance, qui nous fait sortir de l’oubli, n’est donc pas une transformation de soi, une sortie de l’ignorance, mais simplement l’acte psychologique par lequel on se souvient tout à coup de quelque chose que nous pensions avoir oublié. La théorie de la réminiscence est d’abord cela : ce que nous éprouvons au contact de la vérité ressemble à ce que nous éprouvons lorsque nous parvenons à nous ressouvenir de quelque chose que nous pensions avoir oublié. »

Ceci pourrait-il expliquer cela ?

Réponse pas le moins dubitative de Graham Green :

 « Il y a toujours dans notre enfance, un moment où la porte s’ouvre et laisse entrer l’avenir. »

Yves Duteil, quant à lui, nous propose, en quelques couplets, sa philosophie. Et cela, au gré de mots et de notes traducteurs d’amour. Tout simplement.

« Prendre un enfant comme il vient
Et consoler ses chagrins
Vivre sa vie des années, puis soudain
Prendre un enfant par la main

En regardant tout au bout du chemin
Prendre un enfant pour le sien. »

 

Bernard VADON

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Rédigé par Bernard Vadon

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