O.T.A.N …. EN EMPORTE LE VENT DE LA GRANDE HISTOIRE !
Publié le 7 Mars 2023
Il y a un peu moins de trente ans Alain Peyrefitte – diplomate et écrivain, membre de l’Académie française mais surtout collaborateur du général de Gaulle dont il fut un proche ; mais aussi créateur de l’ORTF (Office de radiodiffusion-télévision française) et instigateur du programme de dissuasion nucléaire, élu plusieurs fois maire, député et ministre, porte-parole du gouvernement – publiait parallèlement à d’autres ouvrages politiquement « clés » (dont « Quand la Chine s’éveillera » et « Le mal français »), une manière d’échanges privilégiés au fil desquels le général livrait tout haut ce que souvent il pensait tout bas. Un de Gaulle en liberté d’expression dans tous les domaines qui l’intéressaient ou le touchaient :
« C’était de Gaulle ». Un témoignage capital pour emprunter ce résumé à son éditeur.
SAISISSANTE
Journaliste au quotidien Nice Matin, j’avais été désigné par mon président directeur général pour approcher Alain Peyrefitte et revivre en cette compagnie d’exception les moments forts évoqués par le fondateur de la Ve République, une transcription fidèle et parfois saisissante de notes patiemment consignées, au jour le jour, de 1959 à 1969.
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Une précieuse dédicace.
Un portait intellectuel et moral dont devraient s’inspirer ou tenter de s‘inspirer bien de nos gouvernants du moment. Singulièrement celui qui aujourd’hui a le privilège – ou la chance – d’occuper au palais de l’Élysée le fauteuil du général.
Extrait d’un article d’Albert Camus dans « Combat »
« Qu’arrivera-t-il si l’expérience échoue, si la logique de l’Histoire se dément ? Qu’arrivera-t-il si, malgré les guerres , malgré le sacrifice de plusieurs générations et de nos valeurs, nos petits-fils ne se retrouvent pas plus rapprochés… »
Plongée depuis le passé jusque dans le présent qui actuellement nous occupe sinon nous préoccupe au gré d’une communication dictée par une modernité de plus en plus galopante et de ce fait pas toujours fiable. Une étrange politique d’information qui le plus souvent se prend les pieds dans le tapis sous l’effet dévastateur d’une détestable confusion entre vitesse et précipitation sachant que les batailles se perdent dans la précipitation.
Les médias tous confondus avec un avantage de temps revenant au télévisuel et à la radio se taillant la meilleure part dans ce florilège de nouvelles pas toujours fondées.
L’Ukraine leur fournissant aujourd’hui un terrain de jeu sanglant où les grandes puissances tentent de se frayer le meilleur passage vers la victoire.
Face aux tenants d’une politique tenue pour diabolique représentée par la Russie et ses soutiens du moment la Chine et l’Inde, les puissances d’en face réunies sous la houlette des Etats-Unis et d’une OTAN ( organisation du traité de l’Atlantique nord ) investie d’obligations de sécurité et de défense collectives mais dévergondée selon ses opposants, tente son va-tout.
Mais au fait et selon le général de Gaulle, c’est quoi exactement l’OTAN ?
« Une machine pour déguiser la main mise de l’Amérique. Un faux-semblant. Grâce à l’OTAN, l’Europe est placée sous la dépendance des États-Unis et cela sans en avoir l’air ».
A la question alors posée alors quant au renversement des alliances diligenté par les Anglais le général répond sans ambiguïté :
« Les Anglais essaient de faire croire que nous allons nous entendre avec les Russes contre les Américains. Il arrive souvent que l’on accuse les autres de ce qu’on pense faire soi-même. Si quelqu’un est tenté de pactiser avec Moscou, ce sont bien les Anglais et les Américains qui s’y opposent. C’est de Gaulle.
« Si le pacte franco-allemand marquait un renversement des alliances, comment expliquer la fureur des Russes ? Vinogradov m’apporte une note au picrate. Faut-il imaginer que c’est nous qui avons demandé aux Russes de nous envoyer cette note ? Tout cela ne tient pas debout. La propagande anglaise est risible à force d’en faire trop. Ça se retourne contre elle. Elle perd tout crédit. »
NEUTRALISTE
A propos du reproche fait au général par les américains de vouloir créer une troisième force neutraliste, celui-ci s’enflamme :
« Neutraliste, neutraliste ! Ce sont les américains qui sont neutralistes ! Ils l’ont toujours été. En 1914, il a fallu attendre trois ans, et leur paquebots coulés par les sous-marins allemands, pour qu’ils finissent par entrer en guerre. En 1939, ils ont refait le même coup. Il a fallu Pearl Harbour pour qu’ils se décident. Et qu’est-ce qui nous dit, que dans dix ou vingt ans, ça ne serait pas la même chose ? »
Au regard du contexte actuel, l’Histoire, comme la mode, serait-elle alors un éternel recommencement?
On serait tentés d’y croire mais poursuivons notre édifiante recherche. Et à ce propos le général de poursuivre :
«Les Américains, croyez-moi, ne pensent qu’à une chose : aux intérêts, à la prospérité, à la grandeur de l’Amérique ;et à économiser le sang des boys. Remarquez je ne leur reproche pas, j’ai les mêmes préoccupations pour la France. Mais qu’ils n’essaient pas de nous faire croire autre chose. »
Quant au reproche que nous feraient les américains considérant que les Européens et nous en particulier, aussi bien en 1914 qu’en 1939 aurions fait montre de notre aveuglement, de notre absence de stratégie, de notre manque de bon sens et qu’à ce titre ils sont sortis de leur isolationnisme et ont pris les affaires en main, le général répond :
« C’est bien ce que je dis, leur optique n’est pas la nôtre. Ce ne sont pas les intérêts de l’Europe qui les tracassent. Ou plutôt, ils ne s’occupent des intérêts de l’Europe que dans la mesure où ces intérêts coïncident avec ceux des américains. Il est évident qu’après 1945, la seule manière qu’avaient les États-Unis de se défendre des Russes, était de leur faire barrage en Europe, et d’appliquer la politique de Yalta. Une partie du monde était abandonnée aux Soviets, l’autre partie abandonnée aux Américains. Les Américains embrigadaient tout le monde pour contenir le colosse soviétique, de manière qu’il ne sorte pas des limites qui lui avaient été imposées à Yalta. Mais cela c’est l’intérêt des Américains. Ce n’est pas l’intérêt des Européens. Ce sera sans doute de moins en moins l’intérêt des Européens. Il faut que les Européens en prennent conscience. Il faut aussi que les Américains l’admettent. Tant pis si ça leur fait de la peine. On ne peut pas faire une politique en se préoccupant de faire de la peine aux gens. C’était bien la politique de la IVe République que de ne vouloir faire de la peine à personne. Nous serons gentils avec vous, alors soyez gentils avec nous ! On s’imaginais qu’on pouvait tenir tête à des colosses en amadouant les gens. La politique n’est pas une affaire pour enfants de chœur. La politique est une affaire d’intérêts. C‘est un rapport de forces. Il faut parler haut et ferme si l’on veut faire respecter son point de vue . Sinon on est toujours couillonné. »
Selon le général de Gaulle :
« Pour les Américains, le monde est divisé en deux idéologies : l’idéologie communiste, l’idéologie capitaliste. Il faut choisir entre les deux : qui n’est pas avec moi est contre moi.
« Ce n’est pas aussi simple. Il y a les Américains dont les intérêts sont spécifiquement américains. Il y a les Européens dont les intérêts ne se confondent pas avec les intérêts américain, même si, pendant un certain temps, l’intérêt des Américains a passé par leur installation militaire en Europe. Il y a l’Asie, il y a l’Afrique. L’Afrique ne peut être assistée que par l’Europe. L’Amérique latine se trouvera prise dans le dilemme de la dépendance à l’égard de l’Amérique du Nord, ou du communisme : auquel cas, elle risque de sombrer dans le communisme par désir d’échapper à la dépendance nord-américaine ; à moins qu’elle ne soit assistée par l’Europe. Quant à l’Europe, son intérêt est qu’elle puisse se défendre elle-même et adopter sa propre politique (..).
COUILLONNÉS !
Quant aux multinationales - de B.P et Esso en passant par Shell, Mobiloil et les autres - dont on sait qu’elles faisaient et continuent de faire la pluie et le beau temps il ne mâchait pas ses mots :
« Je me fous des multinationales mais il faut respecter nos engagements ! »
Et le président français de poursuivre :
« Je serais enchanté que les multinationales perdent des parts de marché au profit de la France. Mais si nous avons pris des engagements internationaux, il faut les respecter ; ou alors, il faut les dénoncer. Et comme on ne les dénoncera pas, il faut quand même éviter de se trouver en contradiction avec soi-même. La France a eu des gouvernements qui bradaient les intérêts de la France. Dans ces intérêts, il y a aussi les intérêts moraux – le respect de la parole donnée et les relations de confiance que nous devons avoir avec nos partenaires. »
A la remarque concernant un conflit entre l’intérêt qui s’attache à respecter la parole de la France et celui qui s’attache à regagner un peu de part de marché pétrolier le chef de l’État est tout aussi tranchant :
« Il y a toujours des conflits entre des intérêts contradictoires, il faut toujours trancher les noeuds gordiens. Peut-être y a-t-il un moyen de prendre pied dans ce marché pétrolier qui est totalement dominé par les Anglo-Saxons, mais sans trahir la foi jurée. C’est ce qu’on va étudier. Ce n’est qu’un des nombreux cas où la puissance des soi-disant multinationales, qui sont en réalité d’énormes machines anglo-saxonnes, nous a écrasés, nous autres Français en particulier, et les Européens en général.
« C’est quand même incroyable que nous ayons découvert tant de pétrole au Sahara, au Gabon et ailleurs, et que seulement 5% du pétrole que nous raffinons soient produits par une entreprise française ! Vous voyez bien que, si l’État ne prend pas les choses en main, nous nous faisons couillonner. »
Qu'en termes élégants , ces choses-là sont dites ! … à la manière de Molière et de la fameuse réplique de Philinte à Alceste dans le Misanthrope.
Mon interlocuteur soulignant que le général ne veut pas que la France se fasse « couillonner » et joue le jeu jusqu’à surprendre ses ministres.
Quant à la presse cette mal-aimée du général nourrissant à l’égard du général « une sorte de haine-admiration où la haine l’emporte, de beaucoup, sur l’admiration, elle n’a guère grâce à ses yeux. Le moins que l’on puisse dire.
Estimant que les journalistes ont alors en commun ( nous sommes en 1963) avec la bourgeoisie française, d’avoir perdu tout sentiment de fierté nationale :
« Pour pouvoir continuer à dîner en ville, la bourgeoisie accepterait n’importe quel abaissement de la nation. » (référence peu glorieuse à la période pétainiste ).
Faisant au passage remarquer :
« le populo sent où est l’intérêt du pays ».
Ajoutant :
« En réalité, il y a deux bourgeoisies. La bourgeoisie d’argent, celle qui lit Le Figaro, et la bourgeoisie intellectuelle, qui lit Le Monde. Les deux font la paire. Elles s’entendent pour se partager le pouvoir. (..) Cela m’est complètement égal que les journalistes soient contre moi. Ça m’ennuierait même qu’ils ne le soient pas. J’en serais navré. Le jour où Le Figaro et l’Immonde ( entendez Le Monde !) me soutiendraient, je considérerais que c’est une catastrophe nationale.»
SCANDALEUX
En 1963 le général, dont le manque de sollicitude à son encontre n’était pas entamé, considérait le comportement de la presse « scandaleux » :
« Ça fait vingt-trois ans que je le constate ( il comptait à partir du 18 juin, comme pour sa propre légitimité). La presse française déteste la France. Alors, ça fait vingt-trois ans que j’essaie de doubler la presse, qui m’est résolument hostile, par la radio, et maintenant la télévision, pour atteindre les Français. »
Et de mettre en exergue la formidable capacité de pression de l’ambassade des États-Unis et de celle de Grande-Bretagne :
« Les Américains ont trop d’intérêt à maintenir les pays d’Europe occidentale à l’état de protectorat, et les Anglais ont trop d’intérêt à ce que ça ne sache pas. Les Américains ont payé leur tribut sur les plages de Normandie. Ils n’ont plus envie d’essuyer la mitraille. On peut les comprendre. Ils préfèrent les bombardiers, les missiles et les postes de commandement. (..)
Quant à l’acharnement de la presse contre le général :
« Croyez-vous qu’ils me porte préjudice ? Je me demande quelquefois s’il ne me font pas du bien. Plus les journalistes m’attaquent, plus ils font la propagande de mes idées. (..) Le peuple sent les choses. Il sait instinctivement de quel côté est le patriotisme, de quel côté la bassesse. (..) Le peuple est patriote. Les bourgeois ne le sont plus ; c’est une classe abâtardie. Ils ont poussé à la collaboration il y a vingt ans, à la C.E.D. (communauté européenne de défense) il y a dix ans. Nous avons failli disparaître en tant que pays. Il n’y aurait plus de France à l’heure actuelle.»
La télévision a gagné du terrain. En nombre et zones d’influence mais pas toujours en termes de qualité. Une sorte de piètre vedettariat sous forme de tribunes de circonstance imbattables en matière de bavardages et d’analyses creuses. Sources, pour la plupart, d’avantages pas forcément justifiés.
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Alain Peyrefitte : parmi les proches et confidents.
1995 : année de publication de cette manière d’itinéraire d’exception au cours duquel pour reprendre les termes de son auteur Alain Peyrefitte:
« Depuis 1940, de tragédie en épopée, d’obstacle en obstacle, d’espoir en déception, de Gaulle a conduit la France, sans jamais ralentir le pas, l’œil fixé sur le cap. Et si les Français se penchent aujourd’hui sur ce passé, ils n’y trouveront rien dont ils aient à rougir, mais beaucoup où ils pourront, longtemps encore puiser inspiration et fierté. »
Hier encore, on pouvait nourrir quelque espérance à la lecture du sous-titre de cet ouvrage clé : « La France redevient la France ».
Certes, mais aujourd’hui, qu’ont fait les héritiers, politiquement légitimes mais autrement décevants, des leçons de ce général, dont ils ne cessent pourtant de se réclamer, « Cet homme d’un caractère si haut qu’on ne pouvait ni l’estimer, ni le craindre, ni l’aimer, ni le haïr, à demi. » pour paraphraser Bossuet dans son oraison funèbre à propos de François Michel Le Tellier, marquis de Louvois, comte de Tonnerre, homme d'État français et l'un des principaux ministres de Louis XIV.
Bernard VADON