CACHEZ CE SAINT QUE JE NE SAURAIS VOIR !

Publié le 26 Janvier 2023

Au nom d’une laïcité qui a parfois bon dos sur celui d’une libre pensée bien décidée quant à elle à en découdre avec celles et ceux qui entendent tout simplement préserver les fondements des traditions et des cultures, d’Histoire aussi, une sorte de folie dévastatrice s‘est emparée de quelques étranges penseurs.

Au fil des jours, des actions s’ensuivent aussi incompréhensibles que stupides qui peuvent concerner aussi bien la mise à terre de l’effigie statuaire d’un maréchal d’Empire, le changement de nom de rues ou d’appellations d’établissements scolaires pour de prétendues raisons éthiques jusqu’à l’interdiction des crèches au sein de la sphère dite publique ainsi qu’au récent déplacement par décision de justice – après plus de quarante années de présence dans une île célèbre du Golfe de Gascogne - d’une statue mariale représentative pour les habitants d’un temps de guerre mémorable et de valeurs chrétiennes, de paix surtout – n’en déplaise encore aux inconditionnels d’une laïcité toujours en quête de repères - au sein d’un pays qui en a longtemps fait ( et continue d’en faire) sa substantifique moelle.

En tout cas, l’événement n’a pas manqué de nourrir les débats en tous genres. En particulier, sur les plateaux de télévision où le besoin, (ou la nécessité éditoriale de parler et de surprendre plus que d‘informer sans états d’âmes ) a révélé parfois l’inculture de certains intervenants en la matière. Tel ce maître de conférence en droit public s’insurgeant et déclarant haut et fort que l’on ne serait guère plus tolérant, quoique, en autorisant les musulmans à garnir de statues l’espace public. Sauf que l’image en Islam est proscrite.

Victimes de ces ignares talibans ...

En tout cas, ce cher et respecté professeur semble avoir oublié l’impardonnable crime contre la culture, sinon contre la sensibilité d’une communauté, d’un certain mollah Omar ayant, sans honte et encore moins de regret, déclaré immorales les statues géantes de deux bouddhas élevées entre le IIIe et le Ve siècle dans l’ancien sanctuaire de Bâmiyân, en Afghanistan ; et qui furent détruites en mars 2001 par ces ignares talibans lesquels, pour parvenir à leurs fins eurent recours à des explosifs et à des tirs d’artillerie. Le courage chez ces gens-là n’a pas de limites !

DIGNITÉ DU PROPHÈTE

Les salafistes sunnites entendent pour leur part revenir à une stricte lecture des textes et de ce fait accuseraient les chiites d'incroyance. Mais rien pour autant de blasphématoire.

Alors, à qui profiterait le crime ?

Sylvia Naef : la manière de le faire.

La réponse vaut ce qu’elle vaut dans les textes mais apparait autrement grave quand on porte matériellement atteinte à la dignité du Prophète (sic) :

« Ce qui est blasphématoire est moins le fait de le représenter que la manière de le faire », rappelle Sylvia Naef, professeur ordinaire à l'Unité d'arabe de l'Université de Genève.

Pour paraphraser Nicolas Boileau, subtilité dialectique bien dans la mouvance orientale où, les mots pour le dire n’arrivent pas forcément aisément.

« Pour autant et même si elle ne fait pas l’objet d’un interdit explicite dans le Coran, l’image figurative est, dès l’origine de l’islam, totalement exclue du domaine religieux. Cette impossibilité va conduire, très tôt, à la formation d’un art original basé sur la calligraphie et l'ornementation qu’on retrouvera ensuite dans le domaine profane. » explique Annie Vernay-Nourri,  conservateur chargé des manuscrits arabes chez Bibliothèque nationale de France. 

 

Annie Vernay-Nourri : l'image en Islam exclue du domaine religieux.

Et d’ajouter :

« S’il s’est effectivement développé en terre d’Islam un art d’une unité et d’une originalité remarquables, dont l’absence de figuration, la calligraphie, la géométrie et l’arabesque constituent les principales composantes, l’aniconisme (interdiction religieuse de la représentation de l’image de Dieu) y a été diversement suivi. La place de la figuration, différente dans les domaines religieux et profane, qu’il s’agisse des textes, de l’art ou de l’architecture, varie également en fonction de facteurs historiques, géographiques ou culturels. L’unité du monde musulman, constituée très tôt autour d’une religion, l’islam, et d’une langue, l’arabe, ne doit pas faire oublier l’immense diversité des peuples réunis en son sein, en particulier les trois grandes composantes, arabe, persane et turque, qui ont gouverné tour à tour. Ces peuples aux origines variées, sémitiques, indo-européennes ou ouralo-altaïques, ont entretenu des rapports à l’image fort différents, qui se sont traduits, au cours des siècles, par des productions artistiques parfois dissemblables. » 

SUBTILE 

De son côté, l’Ancien Testament formule clairement l’interdit de la représentation de Dieu. Illustration :

« Tu ne te feras pas d’idole, ni rien qui ait la forme de ce qui se trouve au ciel là-haut, sur terre ici-bas ou dans les eaux sous la terre. » (Exode XX, 4 – Traduction œcuménique de la Bible).

Explication éminemment subtile.

Le Coran, lui, n’aborde pas directement la question de l’image et de la représentation. Plus qu’une exégèse, il s’agit d’une stratégie défensive et d’une mise en garde au travers de quelques versets jetant l’anathème sur les idoles.

 Exemple :

Abraham dit à son père Azar : 
« Prendras-tu des idoles [asnâm] pour divinités ? 
Je te vois, toi et ton peuple, dans un égarement manifeste. »
Coran, VI, 74 – Traduction de Denise Masson, Gallimard, « Bibliothèque de La Pléiade », 1967) notamment.;

Pourtant, l’Arabie préislamique, majoritairement polythéiste, vénérait de grossières statues d’idoles, La Mecque étant l’un des plus importants lieux de pèlerinage dédiés à leur culte. Mais c’est à la lumière de ce contexte-là, celui de la prédication coranique, qu’il faut probablement comprendre les quelques allusions contenues dans les sourates.

Une valeur symbolique qui a mis la calligraphie au centre de l’art islamique,

Avec l’expansion de l’islam hors d’Arabie, et au contact de peuples ayant une tradition artistique ancienne de représentation, comme les Byzantins ou les Perses sassanides, l’aniconisme apparaît progressivement dans d’autres textes.
Finalement, deux siècles après l’hégire (IXe siècle), ce sont les hadîths (recueils des actes et des paroles du Prophète) qui reflètent cette évolution d’un islam implanté dans de nouveaux territoires et qui font jurisprudence dans ce domaine.

 

RÉTICENCE

Rapportés sous la forme d’aphorismes ou de récits, nombre d’entre eux traitent des images, reprenant toujours les mêmes thèmes et se recoupant souvent, sans pour autant constituer de chapitre ordonné.

Le Prophète y déconseille l’utilisation d’objets décorés de motifs figuratifs, car, selon lui, ils détournent de la prière et empêchent l’ange de la Révélation de s’approcher :

« Les anges n’entreront pas dans une maison où il y a un chien, ni dans celle où il y a des images. »  (Al-Bukhârî, LXXVII, 87. Al-Sahîh (L’Authentique), l’un des deux plus grands recueils de hadîths, compilé au IXe siècle.)

Il condamne au passage les peintres, qui, voulant imiter la réalité, se comportent en rivaux de Dieu :

« Ceux qui seront punis avec le plus de sévérité au jour du jugement dernier sont : le meurtrier d’un prophète, celui qui a été mis à mort par un prophète, l’ignorant qui induit les autres en erreur et celui qui façonne des images et des statues. » (Cité par Oleg Grabar, La Formation de l’art islamique, Paris, Flammarion )

Parallèlement, les théologiens formalisent la position de l’islam vis-à-vis de la figuration dans les textes juridiques. Néanmoins, ce problème n’apparaît jamais comme central et ne fait l’objet d’aucun traité. S’il existe, dès les premiers siècles, une réticence à l’égard des images figuratives, la position des théologiens, élaborée à partir du Coran et des hadîths, varie selon les écoles, les époques et les lieux. Elle oscille entre une interdiction limitée à la seule représentation divine et la prohibition de toute image d’êtres vivants, quel qu’en soit le support.

Le Maghreb, de tradition malékite – une des quatre écoles juridiques, qui tire son nom de Mâlik ibn Anas –  adopte une attitude beaucoup plus restrictive que l’Iran ou la Turquie. Quant à la destruction des images figuratives, elle se limite principalement à l’épisode où Muhammad détruit les idoles dans l’ancien sanctuaire de la Ka‘ba, consacrant ainsi la victoire du monothéisme :

« Ce sont en définitive les voyageurs européens qui, s’étonnant de l’absence d’images dans les édifices religieux, ont forgé la problématique de la représentation, mais celle-ci n’a jamais fait l’objet d’un débat approfondi en Islam, où l’aniconisme découle d’une vision du monde partagée par toute la communauté musulmane dès son origine. Étranger à toute conception anthropomorphique de Dieu, l’islam n’a pas eu besoin d’interdiction scripturaire particulière, car le texte coranique à lui seul représente la matérialité de la présence divine. L’écriture, qui transcrit le Verbe divin, a pris très rapidement une valeur symbolique qui a mis la calligraphie au centre de l’art islamique, et, de ce fait, a rejeté l’image à une place marginale. Pour ces raisons, la représentation de Dieu, mais aussi de tout être animé, homme ou animal, est totalement impossible dans les mosquées et les autres édifices religieux. » estime Annie Verlay Nourri.

CONDAMNABLE

D’ailleurs, pour Annie Vernay-Nourri, l’absence de figuration caractérise, dès la fin du VIIe siècle, les premiers corans, et s’étend à tous les livres relevant des sciences religieuses. Qu’il s’agisse  d’ouvrages de hadîth, de droit islamique, d’exégèse coranique ou de théologie, la calligraphie et les motifs non figuratifs en constituent en effet le seul décor.
En revanche, à partir du IXe siècle, les figures animales et humaines apparaissent dans le domaine profane principalement dans les arts des métaux et de la céramique.

Un art spécifique à la cour.

D’influences byzantine et sassanide, cet art spécifique à la cour se développe très tôt dans la sphère privée des princes. Par ailleurs, les fouilles archéologiques des châteaux omeyades dans le désert syro-jordanien ont permis de mettre au jour les vestiges d’un art d’inspiration gréco-romaine. Enfin, en Jordanie, c’est la salle des thermes du palais de Qusayr ‘Amra (contemporain de la mosquée de Damas) qui est décorée de fresques montrant des femmes nues aux formes épanouies, dans la plus pure tradition gréco-romaine tardive comme en Iran et en Inde, où les fresques continueront de décorer les demeures princières. Et cela,  jusqu’au XIXe siècle.

Cependant, seule la sculpture, expression tridimensionnelle, semble étrangement ne pas s’être développée dans l’ensemble du monde musulman…

Jusqu’à devenir condamnable ?

De toute évidence, une question  récurrente.

Bernard VADON

Rédigé par Bernard Vadon

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