INCLUSIF OU …  EXCLUSIF ?    LE DÉBAT REPREND DES COULEURS PAR « LE ROBERT » INTERPOSÉ. PÉCHÉ VÉN … « IEL » OU MORTEL ?

Publié le 21 Novembre 2021

En 2017, on en parlait déjà. Le débat est aujourd’hui relancé. L’important, il me semble, est de dépasser la rhétorique et de privilégier l’altérité sinon la différence qui n’est pas forcément l’apanage de la majorité. Et alors ?

A propos du chemin évoqué dans l’Écclésiaste et de l’invitation à suivre sinon à rencontrer celui de l’autre, la démarche tient plus de l’évolution que de la révolution.

En « officialisant » dans sa version en ligne le pronom personnel « iel », sujet de la troisième personne du singulier et du pluriel pour désigner une personne quel que soit son genre, le Robert, - l’un des dictionnaires de référence avec ses ainés Larousse et surtout Littré - au grand dam du plus grand nombre, et pas seulement celui représentatif de « l’intelligentsia », n’a pas manqué son effet. D’aucuns le qualifieront de commercial.

En même temps, il a dû combler les partisans de l’écriture ou simplement de la communication inclusives qui doivent la circonstance boire du petit lait. Même si le nouveau « consacré » est non sans discernement précédé de l’adjectif rare. Mais ne dit-on pas aussi que la prudence est la modestie des couards.

Au grand dam des défenseurs d’une belle et grande langue qui n’a nullement besoin de certains influences - notamment anglo-saxonnes - pour soi-disant l’enrichir.  Singulièrement et aussi, à l’inspiration néfaste de la théorie du « wokisme », substantif barbare dérivé du "woke", terme argotique signifiant "être éveillé" en anglais et désignant un ensemble de luttes idéologiques sensibles à des sujets tels le sexisme, le racisme, l'homophobie, les violences policières,  l'écologie, le patriarcat ; en somme, tous les types d'oppressions et injustices sociales et raciales que subissent certaines minorités.

Mais de façon plus générale, ne s’agit-il pas plutôt de sexisme ou de politique ?

Toute guerre, nous le savons,  n’est pas forcément un exemple de manichéisme.  A cette nuance près qu’il faudra bien déterminer dans cet antagonisme et à terme si le mal l’emportera sur le bien. Ou vice et versa.

Nous y voilà !

INADMISSIBLES

D'ailleurs, ce terme est, historiquement, lié à la lutte contre le racisme envers les Afro-Américains dans les années 1960.

Aujourd’hui,  les militants de cette étrange "culture woke" n'hésitent pas dans plusieurs villes  – en tout cas pour les plus enragés d'entre eux - à déboulonner des statues d'esclavagistes et au même fallacieux prétexte à débaptiser des rues dans plusieurs villes du monde. La France n’est pas épargnée.

Une prétendue "cancel culture" traduisons par annuler (nous n’en sortons pas) , en français ;  culture de l'effacement ou culture de l'annulation.

Une pratique apparue aux États-Unis et consistant à dénoncer publiquement, au nom de leur hostilité, des individus, groupes ou institutions responsables d'actes, de comportements ou de propos perçus comme inadmissibles.

 Ce dernier été dans cette même chronique (ou blog abréviation de l’anglais weblog ou carnet de bord sur le web littéralement la toile (d’araignée) « word wide web » à ne pas confondre, parait-il,  avec internet  … vous voyez, nous n’en sortons pas.)

Cherchez la clé ...

Bref,  je publiais donc une réflexion sur le sujet.

Encouragé par quelques fidèles lecteurs, j’y reviens au lendemain de cette manière d’officialisation de l’inclusion avec la bénédiction sémantique d’un honorable référent de notre langue, Raphaël Haddad, , fondateur de l'agence de communication Mots-Clés et auteur d'un manuel d'écriture inclusive, lequel est pour sa part persuadé qu'une langue peut contribuer à favoriser l'égalité entre les hommes et les femmes. 

La morale est sauve. Alléluia !

Aux côtés de M. Haddad, l’universitaire Éliane Viennot, spécialiste de l’histoire de la langue, plaide, depuis plusieurs années (je la cite)  :

« Pour que le français se débarrasse de traditions langagières qui perpétuent des préjugés sexistes (..)  J'ajouterai que les mots féminins que nous promouvons existent de longue date. On parlait au début du XVIIe siècle de « philosophesse », d'écrivaine et d'autrice dans la meilleure société, et « professeuse » était employé au XIXe. Les premiers coups de boutoir datent des années 1600-1630, sous l'influence probable de personnes qui entouraient Malherbe, et qui voulaient « purifier » la langue des nombreux néologismes gascons et italianisants créés à l'époque. Mais ils en ont profité pour « masculiniser » la langue. Les résistances ont néanmoins été nombreuses jusqu'à ce que l'instruction devienne obligatoire. C'est l'école primaire obligatoire du XIXe sièce qui va achever ce mouvement. L’objection de l'interventionnisme est amusante. Que fait-on d'autre chaque fois que l'on énonce un néologisme par exemple ? On intervient sur la langue ! Les jeunes, et les moins jeunes, qui parlent de « like », de « twittos » ou de « stiletto », trois termes entrés dans les dictionnaires récemment, n'ont pas attendu l'autorisation de l'Académie française. Critiquer l'écriture inclusive pour son interventionnisme, c'est lui refuser ce qu'on accepte et encourage volontiers de tout autre usage langagier. C'est l'Académie qui est interventionniste quand elle entend proscrire certains usages. Elle est censée enregistrer la manière dont une langue évolue... C'est pour cela que les dictionnaires s'enrichissent chaque année de mots nouveaux. Une langue n'est pas figée une fois pour toutes. »

Ben voyons ! De la roupie de sansonnet que cette docte Académie Française, n’est-ce pas ?

Et d’évoquer jusqu’au général de Gaulle qui engageait ses discours par la double flexion : « Françaises, Français ».

Une réactivité sinon un "coup" qui fait débat ...

Par ailleurs et pour Éliane Viennot :

« L'écriture inclusive ne se limiterait pas, toujours, selon leur défenseur (et défenseuse),  au point milieu qui résulte de la volonté d'abréger certaines formulations, exactement comme on écrit M. pour « Monsieur ». Quiconque a tenté de redonner de la place au féminin dans son écriture se rend compte de son utilité, surtout face à un e muet par exemple. Écrire « ami·e·s » peut paraître par exemple plus commode qu'« amis et amies ». Mais on peut appliquer pleinement l'écriture inclusive, sans ne jamais mobiliser le point milieu !

Chacun appréciera ce point … de vue qui, bien entendu, n’engage que leurs auteurs (ou autrices pour rester dans la partition inclusive et jouer leur jeu).

A un moment de notre histoire où, par la faute (ou grâce à) d’une technologie avancée faite, dit-on, pour faciliter la vie, il est regrettable,  à longueur de journée et de nuit, de constater dans la rue et sur les réseaux sociaux combien la langue française est massacrée …

Ne parlons pas de la syntaxe et autres accords en tous genres qui font la richesse et l’originalité de cette langue.

Désespérant. Mais au demeurant tout le monde s’en moque.

LA LANGUE FRANCAISE EN DANGER ?

Je renoue avec mon propos d’il y a quelques mois parce que mon sentiment n’a pas varié. Retour sur écrit :

Les théoriciens du classicisme, assurément dans « L’art poétique » font référence au beau langage. Dans son poème didactique de onze cents alexandrins classique, Nicolas Boileau nous donne sa version …

« C’est en vain qu’au Parnasse un téméraire auteur

Pense de l’art des vers atteindre la hauteur. »

Une réponse aux instigateurs de l’écriture inclusive ou encore langage épicène désignant aussi bien le mâle que la femelle ( usage que je déteste et réprouve). Et par ailleurs, une démarche quelque peu fantaisiste consistant à proscrire la suprématie du masculin sur le féminin. Plus question d’homme ou de femme. Pour le moins singulier. Ou une façon détournée de créer un problème.

S’impose alors un passage obligé par le Larousse, notre bible linguistique sinon le Littré et le Robert, attestant que l’usage de « personne » en tant qu’être humain, écarte toute forme de sexisme. Ce qui n’a pas pour autant valeur de dogme.

DÉCOMPENSATION

Entre autres innovations que -  je qualifierais d’opportunément politiques comme tant d’autres par les temps qui vont -  le président de la république du moment entend « faire de la lecture une grande cause nationale ».
Grâce lui soit rendue. Si toutefois la formule « loin de la coupe aux lèvres » ne s’applique pas à cette louable intention qui pourrait tout autant concerner d’autres institutions aujourd’hui et autrement en danger.

Lesquelles,  ne rêvons pas,  ne seront pas systématiquement sauvées. Même à n’importe quel prix, comme le martèlent les autorités. Ou seulement en traversant la rue.

Suivez toujours mon regard !

 

En l’occurrence, les bonnes nouvelles du moment sous le signe d’une présumée « décompensation »marquée par une perte de repères (médicalement, c’est quand même la dégradation brutale d’un organisme et la rupture d’un équilibre) liée, notamment et paradoxalement, suite au confinement, à la réouverture des restaurants et autres lieux de convivialité,  sans oublier la possible tombée des masques, le tout générant une euphorie soudaine et pas toujours contrôlée avec au point d’orgue de cette pseudo « vie monastique ouverte » serait un encouragement à se tourner vers l’écriture et l’art. Démarche on ne peut plus louable en ces temps où les réseaux sociaux ont littéralement envahi notre espace de communication. Pour le pire plus que pour le meilleur. 

 ABSURDITÉ DE LA VIE

Pourtant ,et l’académicien Marc Lambron élu au fauteuil de François Jacob, reçu sous la coupole – mazette !- par Erik Orsenna, s’en inquiète, je le cite :

 « La langue française est en expansion »

Ah, bon !

Bref,  autant pour ceux qui l’ont, à mon modeste goût, un peu trop vite enterrée au prétexte de l’assimiler ( les « cons ») aux langues dites mortes qui sont, ne leur en déplaisent, les chevilles ouvrières d’une langue (le français) unique par sa richesse mais sacrifiée chaque jour un peu plus  sur l’autel des « start-up »(notamment) par la langue de Shakespeare.

Non pas …  en attendant celle de Godot (un chef d’œuvre en seulement deux actes, pour célébrer l’absurdité de la vie)  mais parce que, l’écrivain et poète, Samuel Beckett  qui en est le talentueux auteur – prix Nobel de littérature, quand même ! -   à défaut d’être un sujet de Sa Majesté était de nationalité irlandaise ( que je revendique au nom de mes propres racines ) s’exprimait et écrivait en français. Et quel français ! (j’entends la autant la pratique que la grammaire et le vocabulaire)

  LE « GLOBISH ».

Bref, pour notre académicien Marc Lambron, la démarche du président français n’est pas un bon signe pour notre langue :

 

« La notion de grande cause nationale s’applique à des choses menacées (…) Est-ce que la lecture et le français sont menacées sont aujourd’hui menacés ? Oui et non : non, car le français est une grande langue de culture et qu’il y a 300 millions de locuteurs francophone sur la planète, on estime qu’en 2040 essentiellement grâce à la démographe africaine il aura 700 millions de locuteurs français, c’est une langue en expansion  (…) La contrepartie, c’est le globish, ce franglais assez inesthétique, et puis il y a des attaques internes à la langue comme  l’écriture inclusive. »

Nous y revoilà !

 

La métaphore d’un paysage est de circonstance pour illustrer le caractère évolutif d’une langue et l’importance de sa préservation :

« Il y a des érosions, des irrégularités, des étrangetés, mais notre langue est, là et je me méfie toujours  de ceux qui la menacent, un peu comme les aménageurs fous des années 1960 qui rasaient des pans de forêts pour y ériger des tours et des cités. »

 

La facilité d’adaptabilité de l’anglais est  certes un facteur aggravant ; et  il n’est pas évident de « franciser » des mots tels que software, business, buzz, best of ou live.

Aussi, Marc Lambron préfère puiser à d’autres sources que l’anglais à des fins d’enrichissement du français notamment par la créolisation, avec des mots d’Afrique, des Caraïbes ou du Canada.

Et de conclure :

« On n’est pas condamnés à utiliser l’anglais ».

Encore heureux !

 

SANS REGRETS !

Marguerite Duras, s’imaginait dans un trou, mieux, au fond d’un trou et dans une solitude quasi-totale pour découvrir (sic) que seule l’écriture la sauverait.

Quant à Jean d’Ormesson, il confiait, dans le même registre :

« Je ne regrette ni d'être venu ni de devoir repartir vers quelque chose d'inconnu dont personne, grâce à Dieu, n'a jamais pu rien savoir. J'ai trouvé la vie très belle et assez longue à mon goût. J'ai eu de la chance. Merci. J'ai commis des fautes et des erreurs. Pardon. Pensez à moi de temps en temps. Saluez le monde pour moi quand je ne serai plus là. C'est une drôle de machine à faire verser des larmes de sang et à rendre fou de bonheur. Je me retourne encore une fois sur ce temps perdu et gagné et je me dis, je me trompe peut-être, qu'il m'a donné - comme ça, pour rien, avec beaucoup de grâce et de bonne volonté - ce qu'il y a eu de meilleur de toute éternité : la vie d'un homme parmi les autres. »

 

Marcel Proust, à dessein, évoque quant à lui, la communication des âmes à propos de l’invention du langage, de la formation des mots, et de l’analyse des idées que seule la musique aurait pu supplanter. C’est tout dire de l’incroyable puissance du verbe et de son pouvoir de transmission que l’on doit encore à Nicolas Boileau :

« Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément. »

Ben oui, mais voilà mais il y a parfois bien loin de la coupe aux lèvres.

MISÈRE ET GRANDEUR

Dans ses fameuses « Pensées », Blaise Pascal prenait moins de gants pour stigmatiser les sceptiques et autres  libres penseurs.

Considérant, dans sa théorie apologétique, que l’Homme, dans son orgueil et son amas de concupiscence, ne peut trouver la paix intérieure et le véritable bonheur qu’en Dieu, il estimait, en clair, que l’Homme (dans sa désignation de genre Homo même si rares sont les auteurs et les philosophes ayant fait usage de la majuscule pour exprimer l’humanité) est à la fois misère et grandeur, rien et tout, et finalement limité bien qu’aspirant à l’infini. Fin de partie.

Au nom de l'évolution des usages et des formes d'expression

Je vois dans Godot …  en l’attendant, une tentative de définir l’humain, un combat contre l’absurde, une entreprise délicate et héroïque de civilisation, mieux, de civilité. Une oeuvre au demeurant dramatique et existentielle, mais aussi l’œuvre assurément engagée d’un auteur politique.

Des ruines de l’après- guerre aux crises d’aujourd’hui, « Godo », serait donc la tentative à ne jamais renoncer, ne serait-ce qu’au nom de l’humain. En sa signification universelle.

« Ecce homo », c’est le jeu des enfants que nous fûmes…en attendant d’être grands.

Comme chez le maître Shakespeare, tragédie et comédie se retrouvent ; on s’inquiète et on rit de la cruauté, de la sauvagerie des rapports humains pour finalement s’émerveiller du plaisir fou de se parler, de se retrouver.

A chacun de choisir son camp sinon ses limites dans cet imbroglio mental  où les soins palliatifs passent souvent par l’imagination et le divertissement.

Pour paraphraser Léo Ferré :

« Les gens, il conviendrait de ne les connaître que disponibles ;  et encore à certaines heures pâles de la nuit avec des problèmes d’homme : simplement, des problèmes de mélancolie... »

PÉRIL MORTEL OU VEN « IEL » ?

L’Académie française n’a pas autorité pour interdire une quelconque pratique langagière, et son rôle n’est pas de formuler des règles mais de prendre acte de l’évolution des usages.

A cet égard, elle a aussi considéré que l’écriture inclusive était « un péril mortel pour notre langue » et ceux qui valident cette opinion affirment qu’il s’agit d’une atteinte à la qualité de la langue de Molière qu’il n’est pourtant pas évident de bien saisir.

Car, et comme l’explique notamment la sociolinguiste Maria Candea, non seulement nous ne parlons plus, depuis bien longtemps, la « langue de Molière » dont les textes doivent aujourd’hui être remis dans une forme autrement actuelle pour que nous les comprenions.

Cela au nom de l’évolution des usages et des formes d’expression.

Tout comme les emprunts aux autres langues, la création et l’évolution des formes à l’instar aujourd’hui de l’écriture inclusive) ne représentent pas un danger pour la langue, mais seraient au contraire un signe de dynamisme.

Au prétexte une nouvelle fois selon certains linguistes que les langues figées sont des langues mortes.

Pour en conclure que le français n’est pas une langue en danger, mais un ensemble de pratiques socialement codifiées, qui évoluent depuis des siècles.

Bernard VADON

Rédigé par Bernard Vadon

Publié dans #J - 2 - B ( Journal )

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