Hier, « Les Deux Papes » et « The Young Pope », aujourd’hui, « Conclave », le dernier thriller papal qui défraie la chronique cinématographique. Une trilogie édifiante.

Publié le 6 Novembre 2024

Sorti en 2019, le film « Les deux papes » de Fernando Meirelles, avec à l’affiche Jonathan Pryce, Anthony Hopkins et Sidney Cole, retraçait une histoire inspirée de faits réels où le pape Benoît XVI avait tissé une amitié, considérée naturellement comme improbable, avec le futur pape François. Cela, à un moment-clé pour l'Église catholique.

Cette réalisation fut présentée dans plusieurs festivals avant une diffusion mondiale sur Netflix.

Avec Jonathan Pryce, la copie et le vrai : troublant !

Lors de la 92eme cérémonie des Oscars, Jonathan Pryce - qui incarne le futur pape François - sera d’ailleurs nommé dans la catégorie du meilleur acteur alors que l’Oscar du meilleur acteur dans un second rôle sera attribué à Anthony Hopkins.

Brièvement, l’histoire se déroule en 2012. Au-delà des fastes vaticanesques qui ne le séduisent pas outre mesure, le cardinal argentin Bergoglio entend solliciter du pape Benoît XVI la permission de démissionner. Il compte en effet prendre sa retraite loin de l'agitation de la Curie qu’il n’apprécie guère. Et cela, tout en souhaitant continuer de servir l'Église en tant que prêtre local. En réponse, Benoît XVI le convoque, lui,  son futur successeur à Rome afin de lui révéler son intention de quitter ses fonctions papales.

Derrière les murs du Vatican, les deux hommes confrontent leurs valeurs et leur vision respectives du monde afin de trouver un terrain d'entente pour conduire plus d'un milliard de fidèles dans le monde.

Derrière les murs du Vatican ...

Parmi les grands moments de ce film, la reconstitution, hors d’une certaine réalité, du conclave à l’intérieur de la chapelle Sixtine, illustrent des réalités qui parfois dépassent la fiction ; en particulier, lors des échanges de regards entre les deux hommes et notamment lorsque Benoît XVI déclare, en substance : 

« Votre style est à l’opposé du mien, mais pour une raison étrange, je vois la nécessité d’un Bergoglio.

Tout est dit. Ou presque quant à définir l’étrange et singulière destinée papale.

Surtout, lorsque cette longue confrontation s’achève sur les mesures d’un tango argentin alors que le cardinal Bergoglio s’apprête à rentrer à Buenos-Aires et  que Benoît XVI n’annonce son retrait. Image aux frontières du loufoque lorsque le cardinal retenant le pape par le bras dans la cour du palais apostolique et sous l’œil médusé des gardes suisses. Benoît XVI résistera avant de céder. D’abord, un peu raide et passif, puis se laissant emporter par l’enthousiasme contagieux de l’argentin, lui laissant, peu à peu, mener la danse.

La métaphore, ou l’allégorie son synonyme, est plutôt touchante entre « comparé » et « comparant » rappelant au passage Charles Baudelaire dans « l’Ennemi » déclarant :

 « Ma jeunesse ne fut qu’un ténébreux

orage ! »

La solitude et le dialogue étaient manifestement au cœur des échanges entre ces deux hommes différents mais unis par un incontournable destin commun.

Pour Benoît XVI - campé par Anthony Hopkins, acteur surdoué, mais dont le jeu colérique, inquiétant, instable, dominateur et cassant, est à mille lieues de la manière d’être de Benoît XVI, plutôt timide, effacé, peinant à trancher et à se comporter en meneur d’hommes. Une solitude comme matérialisée par la voix récurrente du pacemaker qui, dans le silence, lui intime l’ordre de marcher à intervalles réguliers.

Dans la tourmente de Vatileaks, on suit Benoit XVI , courbé sous le fardeau des problèmes courants et des scandales, alors que son majordome vient d’être mis en prison pour avoir fait fuiter des documents privés.

La responsabilité ne peut être partagée.

En parallèle de ce tableau où se joue la pérennité papale, la solitude de François concrétisée par l’interprétation magistrale de Jonathan Pryce - bien connu des fans de la série Game of Thrones et dont la ressemblance physique avec le pape François est troublante et qui se fond littéralement dans les traits et la personnalité de l’Argentin  - est en quelque sorte anticipée dans le superbe flashback en noir et blanc des années de « désert » à Cordoba lorsque François  quitte ses responsabilités de provincial des jésuites pour redevenir un simple curé et confesseur s’interrogeant en profondeur sur son autorité spirituelle.

DE “THE YOUNG POPE” A “CONCLAVE”

Dans le film « The Young Pope » Pie XIII, - alias au cinéma Jude Law - né Lenny Belardo, est tenu comme le premier Pape italo-américain de l'Histoire. Un homme conçu de toutes pièces pour les besoins du scénario, au pouvoir immense et doté d'une personnalité complexe. Très conservateur, il se révèlera au fil d’un parcours de vie époustouflant de moments inattendus où prévaut la compassion envers les plus pauvres et les plus faibles.

Avec Jude Law : la réalité dépasse parfois la fiction.

Après la série, en 2016, de The Young Pope dans le rôle du pape Pie XIII, Jude Law interprètera à nouveau, en 2020, dans The New Pope, deux séries écrites et réalisées par Paolo Sorrentino maître incontesté dans l’utilisation et la maîtrise  de sa caméra pour nous offrir au-delà d’un scénario décoiffant des plans débordant de beauté parfois insolente. Surtout lorsqu’il y fait entrer ses acteurs.

Du grand Sorrentino. 

Mais aujourd’hui c’est un autre film qui compléte cette trilogie intéressante sinon édifiante quant à percer le mystère de cette société vaticanesque, un film intitulé tout simplement « Conclave » ( un thriller d’Edward Berger avec un scénario de Peter Straughan et un casting où se retrouvent Ralph Fiennes, Stanley Tucci, John Lithgow, Isabella Rossellini et Sergio Castel.

Prochainement programmé après sa présentation officielle aux États-Unis, ce film suscite déjà une controverse parmi les catholiques américains lesquels s’interrogent sur l’opportunité de l’ordination des femmes et de la place des personnes intersexes auquel le film fait d’ailleurs référence. A savoir, notamment, si une personne intersexe peut devenir pape ?

Depuis sa sortie en salles, aux États-Unis, le 25 octobre dernier (pour une sortie en France le 4 décembre), le débat, autour de cette question improbable, comme d’autres surtout lorsqu’elles émanent de certains lobbies Outre-Atlantique, est animé.

Réalisé par l’Allemand Edward Berger, dont la précédente œuvre «  À l’Ouest, rien de nouveau », avait été nommée aux Oscars, en 2022, « Conclave » est,, quant à lui, directement inspiré du roman éponyme de Robert Harris, publié en 2016. Un film, pressenti pour une série de nominations aux Oscars et qui raconte les difficultés de Thomas Lawrence, doyen du Collège des cardinaux, interprété par Ralph Fiennes, à exercer ses lourdes responsabilités :

« Historiquement, le prêtre est haïssable. Socialement, il est nécessaire. » écrivait Victor Hugo.

Une raison ?

En tout cas, « Conclave », du latin « con clavis », traduction : « avec une clé »,  est à l’origine un roman à huis clos, signé Robert Harris, dont le style efficace et sans fioritures, nous entraîne dans les coulisses de l'élection d'un nouveau pape dans un futur proche, en l’occurrence pour Harris, en 2018.

Dans la chapelle Sixtine décor on ne peut plus de circonstance cent dix-huit cardinaux sont confinés, sans aucun contacts avec l'extérieur. Leur unique exercice faire des allers-retours entre la résidence sainte Marthe - où ils sont hébergés -  et la chapelle Sixtine où ils votent.

Pour le cardinal Lomeli, personnage principal, chargé de l'organiser, ce processus, avec à terme l’élection du futur pontife,  est un récit à suspense où des candidats ambitieux tomberont et des combines seront dévoilées sans oublier  des secrets longtemps cachés et révélés avant un "twist" final au demeurant déroutant, lorsque la fumée blanche annoncera le traditionnel : "habemus papam" !

Quant à la musique, signée Volker Bertelmann, elle contribue à l’atmosphère parfois dramatique, mais aussi au suspense. N’est-ce pas la conception même du thriller  qui caractérise ce film d’ Edward Berger ?

LE PAPE EST MORT VIVE LE PAPE !

Comme dans l’ouvrage de Robert Harris, le lectorat d’abord, et aujourd’hui le spectateur, ont la possibilité d'assister à un événement fermé à tous publics, en l’espèce, l'enceinte d'un conclave où après la mort du Pape, le narrateur, un certain Lomeli, Doyen du collège cardinalice, est chargé d'organiser ce nouveau conclave. Et à ce niveau, comme l’écrivait Robert Heinlein -  considéré aux États-Unis comme l’un des plus grands écrivains de science-fiction d’après-guerre, l’égal d’un Isaac Asimov ou d’un Franck Herbert - :

 « La responsabilité ne peut être partagée. »

Ainsi, au fil des pages le lecteur découvre les règles qui régissent cette institution, des règles officielles mais aussi tacites. Inutile à ce stade d'imaginer les cardinaux comme des vieillards chevrotants car l'ambition est là et les secrets et scandales pleuvent à sauts dans ce récit où toutes les occasions sont bonnes pour donner prétextes à des débats toujours d'actualité dans la chrétienté, du divorce à la place des femmes dans l'église, en passant par le mariage des prêtres, dans cette structure en partie monopolisée par des hommes.

Finalement, l'occasion surtout de faire vivre ce récit en favorisant un suspense haletant et cette question de circonstance :

Qui sera le nouveau pape et jusqu'où l'ambition des cardinaux peut-elle aller ? 
Selon François Lévesque, journaliste culturel et critique de cinéma :

« S’il fallait trouver un film parent, Le nom de la rose, de Jean-Jacques Annaud, d’après le roman d’Umberto Eco, constituerait un bon choix. Conclave, comme Le nom de la rose, met en effet au jour les mécanismes peu reluisants de la « machine » religieuse, puis transforme ces mécanismes en moteurs de suspense. Dans les deux oeuvres, on atteint un bel et rare équilibre entre érudition et trépidation. Comme celui d’Annaud, le film de Berger distille l’information en privilégiant le seul point de vue du protagoniste : le public n’en sait pas plus que le héros. Avec lui, on subodore magouilles, complots et trahisons : autant de péchés de vénérables hommes d’Église qui seront parfois confessés, mais le plus souvent, découverts puis niés. »

Dont acte !

Finalement, face aux turpitudes de ses pairs, le cardinal Lawrence mènera le processus à son terme ; vaille que vaille et dans les règles de l’art. Dans la balance : la probabilité d’un prochain pape ultraconservateur, et l’espoir, mince, d’un réformiste plus ouvert. Métaphore à nouveau mais politique celle-là.

Lors d’une scène pivot de ce film, un cardinal déclare à un confrère que tous les hommes occupant leur fonction rêvent en secret de devenir pape. La suite donnera en bonne partie raison au premier …  au grand dam du second, le cardinal Lawrence, qui est en l’occurrence le protagoniste. Mais cela c’est l’histoire. Et qu'advient-il de l’Institution dans cette affaire ? Sans parler de l’immensité du peuple des baptisés. Et singulièrement du catholicisme.

Dans un ouvrage intitulé « Métamorphoses françaises état de la France »,  récemment publié aux éditions du Seuil, Jérôme Fourquet revient opportunément sur le déclin du catholicisme et l’essor de nouvelles spiritualités mais aussi sur la grande bascule anthropologique en cours – la reconfiguration des structures familiales et un nouveau rapport au corps  - sans oublier le processus « d’archipellisation » affectant notre pays.

Guère réjouissant.

Il fait également référence à l’américanisation de la France - ce qui n'est pas une bonne nouvelle -  et au passage d’une économie de la production à celle de la consommation - encore moins bon -  finalement, la totale …  pour paraphraser le dernier film de Claude Lelouch.

Faut-il s'en réjouir ou le déplorer ?

L’actuel et bien vivant souverain pontife , le pape François, remet, en la circonstance et en manière d'avertissement  les pendules à l'heure :

"N'oublions jamais que le vrai pouvoir est le service" .

Un conseil dont pourraient tirer profit l’armada de gouvernants de tous pays et de toutes sensibilités confondues.

On peut toujours rêver. Une fois encore n'est pas coutume.

 

Bernard VADON

 

Robert Harris est un écrivain, journaliste et producteur de télévision britannique. 

Il a travaillé pour la BBC et pour l'Observer et le Sunday Times (jusqu'en 1997). Depuis 2001, il écrit pour le Daily Telegraph.

Il est l'auteur de romans historiques sur la Rome antique (fin de la République, éruption du Vésuve) et de thrillers tels "Archange" ("Archangel", 1998), "Enigma" (1995) (Prix Mystère de la critique 1997), "Fatherland" (1992), une uchronie se déroulant à Berlin dans les années 1960 dans une Allemagne toujours nazie qui a gagné la Seconde Guerre mondiale ou encore "Munich" (2017) qui évoque les négociations qui aboutiront aux accords de Munich.

Plusieurs de ses romans ont été portés à l'écran, notamment "Enigma" en 2001 et "L'Homme de l'ombre" ("The Ghost", 2007), sous le titre "The Ghost Writer" en 2010. 

Son roman historique "D." ("An Officer and a Spy", 2013), qui porte sur l'affaire Dreyfus, a été adapté au cinéma par Roman Polanski en 2019 sous le titre "J'accuse". Le film est présenté à la Mostra de Venise 2019 où il obtient le Grand prix du jury. 

Robert Harris vit dans un ancien presbytère près de Newbury dans le Berkshire.

Volker Bertelmann, dit Hauschka, est un pianiste et compositeur allemand, né en 1966 à Kreuztal. Il est notamment réputé pour ses compositions pour piano préparé.

Rédigé par Bernard Vadon

Publié dans #J - 2 - B ( Journal )

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