Tempête autour d’un budget contesté et d’un insupportable gloubi-boulga ou l’art du mensonge en politique.  Florilège.

Publié le 18 Octobre 2024

L’affaire fait à ce jour grand bruit. Tous les voyants économiques sont au rouge. Le gouvernement précédent, sous la houlette de Gabriel Attal, chef du gouvernement après avoir été ministre délégué, en charge des Comptes publics, et de son ministre des finances - Bruno Lemaire - le ministre qui, glose t-on,  passe une partie de ses nuits à enrichir non pas les français mais à noircir les pages de son dernier roman - tout ce petit monde choisi par celui que l’on a, un temps, qualifié de Mozart de la finance et qui, aujourd’hui,  fait la « une » médiatique sur ce thème : faut-il à ce point tromper le peuple ?

Machiavel avait déjà son idée sur l’art et la manière de faire de la politique et d’enseigner au Prince l’art de la gouvernance. Emmanuel Macron fut, et l’est toujours d’ailleurs, en la matière, un élève doué. Surdoué. Trop peut-être. Au point de multiplier aujourd’hui, hors ses responsabilités intérieures, des dérapages diplomatiques en tous genres et autres erreurs de jugement. Jusqu’à dangereusement mettre en péril la crédibilité mais surtout la sécurité de son pays. Et cela, dans une sorte de gloubi-boulga permanent où prévaut la malhonnêteté intellectuelle.

Voilà pour l’entrée en matière.

 

Jonathan Swift, quant à lui, n’y va par quatre chemins dans un court ouvrage ( auquel nous avons déjà eu l’opportunité de faire référence ) qui vaut plus par le poids des mots que par celui des pages. Laissant à Nicolas Boileau polémiste et homme de lettres du Grand Siècle, passionné des poètes de l’antiquité latine, qui se distinguait dans l’art de la rime qu’il mettait à profit pour brocarder ses contemporains les classant parmi les mauvais auteurs. Admirateur, notamment, de Malherbe mais aussi de Molière et de Racine il se distingue avec les « Satires » dans lesquelles il développe, à merveille, l’élégance du style et la plaisanterie piquante. Sans oublier sa réputation de « législateur du Parnasse » français ( de ce fait, fixant les règles de son art littéraire en particulier et artistique, en général)  et d’auteur, en vers s’il vous plait, de l’Art poétique, sorte de résumé de la doctrine classique qui lui valut, de l’aimable Madame de Sévigné, cette remarque en forme de litote : « Vous êtes tendre en prose et cruel en vers. »

Mais l’un des bons mots de Boileau passés à la postérité se résume aussi dans cette phrase devenue littérairement légendaire :

« Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire (en l‘occurrence l’écrire) arrivent aisément. » 

Pour ce qui concerne, Jonathan Swift (1667-1745)  celui-ci se situe, avec son ouvrage : « Les Voyages de Gulliver », dans un indéniable rôle de pamphlétaire politique et de satiriste brillant. D’ailleurs, il avait souhaité que soit gravé sur sa tombe :

« L’indignation ardente ne peut plus déchirer son cœur. Va, voyageur, et imite si tu le peux quelqu’un qui se voua entièrement à la cause de la liberté ».

Tout un programme sinon la marque d’un fort tempérament dont, par les temps qui vont, pourraient s’inspirer certains de nos doctes dirigeants hauts fonctionnaires ou dignitaires s’embarrassant guère de cette  contingence dont Jean-Paul Sartre (dans « la Nausée » … ça ne s’invente pas )  estimait comme essentiel et précisait à ce propos 

« Je veux dire que, par définition, l’existence n’est pas la nécessité. Exister, c’est être là, simplement ; les existants apparaissent, se laissent rencontrer, mais on ne peut jamais les déduire. »

DU BAUME AU COEUR

Ainsi, le pamphlet sur l’art du mensonge en politique de Jonathan Swift est, dans le genre, un bel exemple d’orfèvrerie politico-philosophique ; et ce qui est encore plus surprenant, c’est que le propos n’a pas pris une ride.

Comme toujours en période d’élections prochaines et surtout de celle qui, dans moins de deux ans, portera l’un des nombreux candidats potentiels et persuadés d’être les sauveurs de l’État, au poste suprême de président de la République, l’ouvrage de Jonathan Swift met du baume au cœur de ceux – malheureusement trop rares – auxquels ces dames et ces messieurs les candidats ne feront pas prendre des vessies pour des lanternes.

On pourrait faire un package pré-électoral avec le non moins fameux petit bijou écrit pat Laurence J. Peter : « Le Principe de Peter » développant la notion du fameux niveau d’incompétence.

Mais pour en revenir à Swift dont l’œuvre est complétée par un court texte de Jean-Jacques Courtine (« Le Mentir Vrai ») quelques extraits donnent la mesure sinon la dimension du propos.

Morceaux choisis au hasard des deux textes :

"Des mensonges coutumiers pronostiquant des catastrophes, destinés à effrayer le peuple en lui dépeignant un avenir noir pour le conduire à se contenter d'un présent gris : il faut en user prudemment, ne pas montrer au peuple des objets terribles, de peur qu'ils ne lui deviennent familiers et qu'il s'y accoutume. Ainsi, de ces promesses annonçant à ceux qui feront le bon choix des lendemains qui chantent : "il ne serait pas prudent de fixer les prédictions à bref jour ; ce serait s'exposer à la honte et à la confusion de se voir bientôt contredit et convaincu de fausseté."

UN SYSTEME CHIMERIQUE

Deux partis se partageant les compétences en matière de mensonge, il reconnait "qu'ils ont l'un et l'autre de grands génies parmi eux. [L'Auteur] attribue les mauvais succès des uns et des autres à la trop grande quantité de mauvaises marchandises qu'ils veulent débiter tout à la fois : ce n'est pas, dit-il, le meilleur moyen d'en faire accroire au peuple, que de vouloir lui en faire avaler beaucoup tout d'un coup ; quand il y a trop de vers à l'hameçon, il est difficile d'attraper les goujons.

 

Au coeur du problème  : "Les mains sont des symboles et parfois des révélations."

Par exemple :

« Pour établir le crédit d'un parti, il propose un système qui semble un peu chimérique et qui ne se ressent guère de ce jugement solide que l'Auteur a fait paraître dans le reste de son ouvrage. Son système se réduit à cette proposition, qu'il faut que le parti qui veut établir son crédit et son autorité s'accorde à ne rien dire et à ne rien publier pendant trois mois, qui ne soit vrai et réel ; que c'est le meilleur moyen pour acquérir le droit de débiter des mensonges les six mois suivants. Mais il avoue en même temps qu'il est presque impossible de trouver des gens capables d'exécuter ce projet. »

A bon entendeur (s) !

En outre, on retiendra différentes sortes de mensonges - le mensonge d'addition et de soustraction, celui de translation, le mensonge totalitaire et le mensonge démocratique - il en présente les champs d'application avec le souci constant de la mesure. Et s’interroge sur le fait de savoir si, plus c'est gros, plus ça passe ?

Réponse : pas forcément. Enfin, quoique. Surtout si l’on table son raisonnement sur les tromperies budgétaires du moment avec des dérapages de l’ordre du milliard ( au pluriel bien sûr). Une paille !

LE MENTIR VRAI !

Quant à la calomnie et la rumeur, elles peuvent, le cas échéant, alimenter le mensonge.

Illustration :

"De même que le plus bas des écrivains a ses lecteurs, le plus grand des menteurs a ses crédules : et il arrive souvent que si un mensonge n'est cru qu'une seule heure, il ait fait son travail. Le mensonge vole et la vérité ne le suit qu'en boitant, de telle sorte que lorsque les hommes en arrivent à ouvrir les yeux, c'est un quart d'heure trop tard."

Ce qui n'est pas trop présumer de la crédulité de la plupart des hommes, puisque les ressorts secrets des choses leur sont ordinairement inconnus.

Il convient cependant, et en tout état de cause, de savoir :

« Si le gouvernement a seul tout le droit de frapper à son coin les mensonges politiques, le peuple n'a point d'autre moyen que l'exercice de ce droit incontestable, pour renverser un gouvernement dont il est las et fatigué ; qu'une abondance de mensonge politique est une marque certaine de liberté et que comme les Ministres se servent quelquefois de ce moyen pour affermir leur autorité, il est raisonnable que le peuple emploie les mêmes armes pour les abattre et pour se défendre lui-même..."

Pour autant :

"Faut-il tromper le peuple pour son bien ?"

C’est tout le paradoxe du « mentir vrai », arme fatale et de destruction massive, véritable pandémie aux limites extrêmes de l’immoralité dont les tenants de la politique business – la grande majorité – se repaissent à satiété. Ce que vraisemblablement vont s’employer à démontrer les mis en cause.

Comme en médecine, avec le fameux effet placébo, faudra t-il tromper, selon le même procédé, le patient pour tenter une hypothétique guérison ?

En ce cas, le risque mesuré, eu égard l’expérience d’éventuels accusés, mettra en exergue le principe incontestablement tordu du mensonge …  en politique autrement plus grave, donc plus lourd de conséquences. A chacun son poids de responsabilités.

A moins que fidèle à la philosophie voltairienne ils considèrent que la politique est manifestement l’art de mentir à propos et que, finalement, comme l’écrivait Paul Valéry, le problème c’est que le mensonge et la crédulité s’accouplent et engendrent l’Opinion. 

Bernard VADON

 

 

Rédigé par Bernard Vadon

Publié dans #Articles, #J - 2 - B ( Journal )

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :