En filigrane des élections américaines et d’un récit fictif intitulé « Maniac » ou la menace de la fin de la primauté de l’espèce humaine. Exit l’I.A. ?

Publié le 22 Octobre 2024

Synopsis de l’éditeur : John von Neumann a posé les bases mathématiques de la mécanique quantique, inventé la théorie des jeux, créé le premier ordinateur moderne et joué un rôle clé dans le projet Manhattan, la construction de la bombe atomique américaine. Mais lorsque, à la fin de la Seconde Guerre mondiale il conçoit le Maniac, une calculatrice qui selon ses mots «  saisirait la science à la gorge en libérant une puissance de calcul illimitée  », personne ne se doute que le monde est sur le point de changer pour toujours. Car le Maniac, produit d’un esprit logique, cynique et visionnaire, ouvre les perspectives infinies de l’intelligence artificielle – à même de menacer la primauté de l’espèce humaine.
 

Maniac (1)  se conclut une centaine d’années plus tard, au cœur d’une partie de Go entre le Maître sud-coréen Lee Sedol et AlphaGo, un programme d’intelligence artificielle. Le monde assiste alors à la naissance d’une forme d’intelligence encore hybride et capricieuse, qui se trompe, mais agit aussi par inspiration pure. Et d’autres suivront, toujours plus puissantes, toujours plus terrifiantes…

Jusqu’où nous conduira la fiction ?

Retour au temps présent :
  

 

Michaël Toscano

« La polarisation n’est pas la raison de la disparition du mythe de la neutralité technologique. Les technologies n’ont jamais été neutres. Ce qui est remarquable, c’est que cette vérité, évidente pour les théoriciens depuis des décennies, est en train de s’imposer à la population. J’ai longtemps attendu ce jour, et pourtant beaucoup de choses à son sujet seront mauvaises. » estime Michaël Toscano, directeur exécutif de l’Institute for family Studies. (Institut d'études familiales)

PRISE DE CONSCIENCE

Ce dernier s’emploie aujourd’hui à imposer la vérification de l’âge sur les plateformes de médias sociaux et les sites pornographiques ainsi qu’à affaiblir l’emprise des smartphones sur la vie des enfants. Bon courage là encore.

Pourtant, personne ne s’en plaindra d’autant qu’en la matière on déplore un désastre en totale progression. Au bas mot, ces technologies ne font qu’ajouter des capacités techniques à nos vies et favorisent un effet spirituel, culturel et politique négatif et supplantant de meilleures façons d’agir tout en donnant plus de pouvoir à certains groupes plutôt qu’à d’autres.

Pour Michaël Toscano il était à ce titre important de savoir à quel genre de personnes elles s’adressaient. La réponse ne fut pas spécialement probante. La résultante : l’annonce d’une déférence à l’égard des grandes entreprises technologiques dont l’époque est révolue. En cause, les mesures visant à résoudre une crise de santé chez les jeunes augmentant leur urgence et leur attrait politique. La prise de conscience, quant à une réglementation, a suscité une surprise quasi générale. Le législateur considérant le façonnage de la technologie dans l’intérêt de l’usager. Au-delà des médias sociaux et des smartphones, les solutions ne sont rien à côté des technologies dans leur ensemble entraînées dans une contestation sociale et politique.

En conclusion, le mythe de la neutralité technologie n’est plus que l’ombre d’elle-même et pour faire bonne mesure - en mars dernier - l’enquête d’opinion diligentée par YouGov ( institut d’études offrant des solutions globales et innovantes. Fondé en 2000 à Londres, YouGov accompagne les marques & agences dans leurs décisions stratégiques) confirme un net clivage politique sur l’intelligence artificielle.

Aux États-Unis, les électeurs du président sortant - ce qui n’est guère surprenant - considèrent l’IA sous un angle positif contrairement à ceux de Donald Trump.

Controverse politique du moment dépendante des prochaines élections ?

Ce n’est pas impossible.

... Ou débat de société conjoncturel ?

Tout porte à le penser : de l’IA à la modification génétique en passant par les voitures autonomes et la viande produite en laboratoire toutes, ont l’aval de Joe Biden et de ses troupes contrairement à celles de l’ex-président Trump les considérant, d’une manière générale, comme non souhaitables. Kamala Harris, pour sa part, affichant résolument sa préférence pour le Green New Deal (transformation radicale de l’économie industrielle).

Cela dit et en pratique, de la cuisinière ( à gaz) traditionnelle à l’ampoule électrique jusqu’à l’industrie automobile  (avec les batteries solides et aux stations de recharges sans oublier la production mondiale de produits alimentaires) avec une incitation à la réforme de l’infrastructure  énergétique Michaël Toscano a sa conclusion :

« Par un millier d’incitations, de mandats et de règlementations, notre ancien ordre technologique, autour duquel nos vies, nos communautés et nos nations ont été conçues est en train de disparaître. »

A bon entendeur salut !

 POLITIQUEMENT PARLANT

Et Michaël Toscano d’expliquer que de l’autre côté de l’échiquier électoral du moment, Donald Trump, s’oppose à l’obsolescence bureaucratique des technologies pour privilégier l’ancien ordre technologique selon lui, autrement intrinsèque au mode de vie américain. Il rejette aussi la transition obligatoire vers les véhicules électriques et à la transformation du secteur de l’énergie en un secteur basé sur les énergies renouvelables ...  qu’il tient pour incapable de soutenir une puissance industrielle florissante.

Les prises de position du candidat républicain dénotent, entre autres idées bien arrêtées, les instincts protectionnistes de Donald Trump.

Quoique, cette préservation de l’ancien ordre technologique ne l’empêchât pas de prêcher pour la maîtrise de l’espace - sa proximité avec Elon Musk en atteste - mais aussi pour la fondation d’une industrie américaine tournée vers la construction de voitures volantes.

Politiquement parlant : les technologies, façon républicaines, augmenteraient le pouvoir des américains individuellement et collectivement alors que les technologies démocrates permettent aux entreprises et aux États de gérer leur consommation d’énergie.

Selon Michaël Toscano :

« D’une part, la technologie sera humanisée part sa soumission à la politique, l’art d’ordonner les choses pour le bien commun. Les gens utiliseront le pouvoir dont ils disposent pour aligner les technologies sur les intérêts de leurs familles, de leurs communautés et de leur nation, et ne resteront pas inactifs face à la destruction de leur mode de vie au profit d’autres personnes. Et d’un autre côté, la technologie deviendra humaine, trop humaine, dans un sens plus sombre. A mesure que les grandes entreprises technologiques et les bureaucraties d’État mettront de côté leur masque d’impartialité, le changement technologique sera imposé de manière encore plus divisé. »

Co-fondateur de DeepMind (entreprise spécialisée dans l'intelligence artificielle appartenant à Google ) et Pdg de Microsoft IA, Mustafa Suleyman, s’attaque pour ce qui le concerne à la notion de neutralité technologique et considère que la technologie est une forme de pouvoir en conseillant aux gouvernements et organisations internationales de mettre en place une structure règlementaire de « confinement »; autrement dit, d’accorder à des entreprises comme Microsoft un pouvoir de monopole sur des technologies comme l’IA et de la protéger (sic) de certains mauvais acteurs, avec, dans son collimateur, les fameux « gilets jaunes » mais aussi, les partisans de Bolsonaro au Brésil ou encore, au Royaume-Uni, les supporters du Brexit.

Résultat : les conflits sont à nos portes. Sous différents prétextes et différentes formes. Des conflits à l’échelle internationale. Avec les conséquences que l’on sait pour avoir été les acteurs impuissants de ce processus mortifère. Et cela risque, à ce stade, de n’être que le commencement de ce nouvel ordre du monde dont certains nous rebattent les oreilles depuis des décennies.

 NOUVEAU MONDE   

Mais revenons, une fois encore, à notre propos :

Au XIXe siècle, tout comme d’ailleurs au tout début du XXe, la technologie a toujours bouleversé l’Occident. Aujourd’hui, rien n’a tellement changé. La transition dite « verte » implique une profonde transformation technologique dont les conséquences sociales et politiques risquent d’être compliquées même s’il s’agit d’un passage obligé.

Quant à la révolution industrielle, une association magique qui n’a donné lieu qu’à des problèmes entre le capital et le travail, elle est au coeur de ce bouleversement annoncé.

Le processus est d’ailleurs déjà engagé. En France, notamment.

Anton Dvoràk

Entre les besoins d’une terre que l’humain n’a de cesse de maltraiter et en parallèle, la survie de l’espèce humaine et animale, tout cela rythmant dangereusement cette autre symphonie d’un nouveau monde. Et à ce titre, comment, dans la terminologie, ne pas évoquer, en manière de diversion sinon  d’illustration musicale, Anton Dvoràk et sa fulgurante symphonie précisément intitulée du nouveau monde dans laquelle le  final constitue une sorte de synthèse de tous les éléments thématiques d’origine américaine ou européenne de cette œuvre. Coup d’œil sur cette originale partition qui flatte nos instinct artistiques et notre tendance à mettre en musique nos impressions :

Musicalement, l’orchestre entraîné par les cordes, se lance dans un allegro endiablé exploitant toutes les couleurs des différents registres. Une sorte d’hymne triomphal à la gloire du Nouveau Monde. Justement. Une partie centrale plus calme rappelant plusieurs éléments thématiques des autres mouvements. Puis, la densité orchestrale se reconstitue progressivement avec le retour du thème principal de ce mouvement. Un brassage des principaux thèmes de l’œuvre qui nous conduit alors à une conclusion dans laquelle le decrescendo des instruments à vent en constituent le point d’orgue final.

On a souvent écrit qu’il s’agissait d’une oeuvre aussi riche que puissante, d’une remarquable clarté en raison du relief de ses idées. En fait, il s’agirait plutôt d’une symphonie du Nouveau Monde, aussi slave qu’américaine et qui pourrait être, à dessein singulier, rebaptisée la « Symphonie du Monde entier ».

Vous me suivez ?.

Dans ce tumultueux contexte le mythe de la neutralité technologique va-t-il résister ou s’effondrer ?

 

Matthieu Ricard

« La multiplication d’informations inquiétantes sur le changement climatique, la perte de la biodiversité et d’autres problèmes environnementaux graves peuvent créer une attitude blasée chez certaines personnes ou, au contraire, susciter un sentiment d’impuissance face à l’ampleur des transformations et aux interventions requises pour surmonter le problème » constate Matthieu Ricard qui nous apporte la réponse du bouddhisme ; une réponse exigeante mais apaisante, optimiste et accessible à tous. Cesser de chercher à tout prix le bonheur à l’extérieur de nous, apprendre à regarder en nous-mêmes mais à nous regarder un peu moins nous-mêmes, nous familiariser avec une approche à la fois plus méditative et plus altruiste du monde…

Pourquoi pas ?

Si ce n’était le cruel retour à la réalité et le fait que les événements amenuisent considérablement l’espérance.

Le directeur exécutif de l’Institute for Family Studies ( je le cite encore) en est plus que jamais conscient :

« La guerre des machines lors de la première guerre mondiale, la bombe atomique de la seconde, la révolution sexuelle et contraceptive des années 60 auraient pu l’abolir. Ils ne l’ont pas fait. Je crains que cette fois-ci, ce ne soit pas différent.(..) Selon le libéralisme, la neutralité va au vainqueur. Nous ne devons pas tomber dans le piège de cette fausse promesse. Une fois de plus. Le fin mot de cette singulière et inquiétante affaire, je le laisse à l’historien- futurologue Yuval Noah Harari qui ne semble guère se faire d’illusion sur l’intelligence artificielle et qui estime que le monde évolue plus rapidement qu’auparavant ; nous sommes inondés d’une quantité incroyable de données, d’idées, de promesses et de menaces. Les humains cèdent leur autorité au marché libre, à la sagesse de la foule et aux algorithmes externes, en partie parce qu’ils ne peuvent plus gérer le déluge de données. Finalement, les gens ne savent plus à quoi prêter attention. »

Modestement, à cette perte de repères essentiels, j’ajouterais, sinon et plus gravement, àla confiance perdue.

 Bernard Vadon

 

(1)Prodige de la littérature contemporaine, Benjamín Labatut est l’auteur de l’ouvrage « Maniac ». Il est né à Rotterdam en 1980 et a grandi à La Haye, Buenos Aires Santiago du Chili, où il vit encore. Benjamín Labatut est aussi l’auteur de recueils de nouvelles et d’essais où la littérature rencontre toujours l’histoire des sciences.

Lauréat du English Pen Award et finaliste de l’International Booker Prize, son précédent roman, Lumières aveugles (Seuil, 2020) lui a valu un succès mondial.

Triptyque inquiétant sur les rêves du XXe siècle et les cauchemars du XXIe, MANIAC entraîne le lecteur dans les labyrinthes de la science moderne et lui laisse entrevoir l’obscurité qui la nourrit. Un roman vertigineux sur les limites de la pensée et les délires de la raison.

Traduit de l’anglais (Chili) par David Fauquemberg

Rédigé par Bernard Vadon

Publié dans #J - 2 - B ( Journal )

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