ENTRE DEUX RÉCENTES TRAGÉDIES, SI JUSTICE ( ENFIN UNE CERTAINE JUSTICE) M’ÉTAIT CONTÉE !

Publié le 4 Septembre 2024

Je n’aurais bien évidemment pas la moindre seconde l’outrecuidance de me glisser, au regard d’une « affaire » devenue mythique, dans le prestigieux  costume d’Émile Zola, auteur courageux de l’historique article intitulé : « J’accuse ».

M’immiscer tout autant dans les méandres sulfureux, plus encore par les temps actuels et en regard de l’étendue croissante de ce sombre nuage aux contours d’une idéologie politique détestable prônant la discrimination et l’hostilité à l’encontre des Juifs, celle de l’antisémitisme ; comportement propre à fracturer la société dans toutes les activités humaines.

Et cela, au vu et au su de la non moins ténébreuse affaire Dreyfus du nom de l’officier français d’état- major, d’origine alsacienne et de confession juive, accusé, à tort , fin XIXe et début du XXe siècle, d’avoir livré des documents confidentiels à l’Allemagne.

L’acquittement du véritable traitre - en l’occurrence le commandant Walsin Esterhazy - le sera aux dépens de la dénonciation injuste et scandaleuse d’Alfred Dreyfus - condamné à la perpétuité sur l’île trop bien nommée « du Diable », en Guyane française ; et ne fera qu’encourager Émile Zola, en dépit des risques encourus, dont la cour d’assises, suite à la publication de son manifeste au risque de se prendre les pieds dans les filets intraitables de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Qu’importait pour l’auteur de « Germinal » et autres « Thérèse Raquin » et « Au Bonheur des dames », l’important était de se mettre  « au service de la défense d’un homme et de la vérité ».

Une pénible et douteuse affaire d’État. No comment !

Sans entrer dans les arcanes secrètes de l’institution de la justice, Alfred Dreyfus sera finalement réhabilité et Émile Zola  … condamné au maximum de la peine, un jugement tout aussi hallucinant précédant son exil à Londres. Un comble !

Pour paraphraser Georges Sand dans  « Histoire de ma vie » :

« La langue philosophique ( car même en matière de justice la philosophie s’impose ) avait trop d’arcanes pour moi et je ne saisissais pas l’étendue des questions que les mots peuvent embrasser. »

LE CITOYEN D’ABORD

Quelques décennies plus tard, face aux dérives du sarkozisme lorsqu’il était président de la commission d’enquête parlementaire chargée de rechercher les causes des dysfonctionnements de la justice dans l’affaire d’Outreau - un autre, et non des moindres en la matière, scandale d’État -  André Vallini  - qui sera nommé Secrétaire d'État chargé de la Réforme territoriale, dans le gouvernement Valls - avait remis, en quelques sorte, les pendules à l’heure sous la forme d’un rapport comprenant des propositions pour éviter leur renouvellement catastrophique.

L’enfer est parfois pavé de bonnes intentions …
 

André Vallini

Fort de son expérience, André Vallini souhaitait surtout replacer le citoyen au coeur de la justice et de la République sous les formes de référendum, de lois d'initiative citoyenne, de saisine citoyenne du Conseil constitutionnel, comme du Conseil supérieur de la magistrature, de jurés citoyens dans tous les tribunaux afin que la justice soit rendue au nom du peuple français. On rêvait déjà !

En vérité, André Vallini préférait plutôt s'adresser à l'intelligence des citoyens plutôt qu'à leurs pulsions. Il souhaitait par ailleurs montrer comment le parti socialiste devait se rénover et formulait des propositions concrètes.

Récemment, l’ancien magistrat, Philippe Bilger, qui officie dans ce domaine particulier de la justice sur le plateau CNews de Pascal Praud partageait cette philosophie ( on y vient !) :
« Si la classe politique est évidemment appelée à partager avec le peuple l'indignation collective devant tel ou tel crime, il serait dévastateur pour la première, se trompant sur les attentes du second, d'agir sans pensée et d'improviser sans distance. Penser lentement est le moyen le plus sûr pour agir vite, surtout dans ces matières qu'il convient en effet d'aborder avec l'esprit tremblant. »

Pour le philosophe anglais Thomas Hobbes la justice idéale est au fond une fiction, et la loi seule détermine les catégories du juste et de l'injuste :

« Ceci est aussi une conséquence de cette guerre de chacun contre chacun : que rien ne peut être injuste. Et le gouvernement doit découler d'un pacte de chacun envers chacun — et non pas envers le souverain — où tous cèdent au souverain leur droit de se gouverner eux-mêmes et leur liberté afin que la volonté du souverain ramène les volontés de tous les individus à une seule et unique volonté. » (sic)

Thomas Hobbes

Son œuvre majeure, Léviathan, aura d’ailleurs une influence considérable sur la philosophie politique moderne, par sa conceptualisation de l'état de nature et du contrat social, conceptualisation qui fonde les bases de la souveraineté.

Thomas Hobbes souvent accusé de conservatisme excessif, par Hannah Arendt - que nous avons souvent citée en références diverses dans ce blog et dont la pensée politique et la philosophie occupe une place importante dans la réflexion contemporaine. Tout comme Michel Foucault considérant :

« L'homme, pendant des millénaires, est resté ce qu'il était pour Aristote  un animal vivant, et de plus, capable d'une existence politique ; l'homme moderne est un animal dans la politique duquel sa vie d'être vivant est en question. »

Pour en revenir à Thomas Hobbes et rester dans le vif du sujet, le Léviathan eut une influence considérable sur l'émergence du libéralisme et de la pensée économique libérale du xxe siècle, ainsi que sur l'étude des relations internationales et de son courant rationaliste dominant, à savoir le réalisme.

La Justice devint alors une réalité pratique et non plus philosophique dans la Rome antique notamment  par l'apparition d'une norme application en l’occurrence,  le droit.

Ainsi, la justice obéira désormais à des règles. La responsabilité de l'auteur (étymologiquement l'auteur est celui qui amplifie un acte mauvais et répréhensible) sera évaluée par rapport à une norme préexistante. Tout comportement qui dévie de la norme verra de ce fait son auteur sanctionné sur la base d'un règlement qui matérialise, par des textes, l'échelle des sanctions à appliquer proportionnellement à l'écart constaté avec la norme.

On distingue de ce constat deux justices, fonctionnant selon deux normes différentes mais complémentaires la justice privée et la justice publique. La justice privée est rendue en dehors de l'État, c'est la médiation mais aussi la loi du Talion. Cette justice, la plus ancienne, est à l'origine du droit privé que l'on pourrait qualifier de « droit des individus ».

Elle devient alors une « affaire privée », un conflit entre particuliers. C'est, selon l'adage juridique latin : 

« Justitia est constans et perpetua voluntas jus suum cuique tribuendi » (soit « La justice consiste en la volonté constante et continuelle de donner à chacun son droit »).

J’ajouterai : avec une attention particulière pour les victimes.

Concrètement, la justice publique est rendue par l'État et son domaine de prédilection est le droit pénal : quand un crime a eu lieu, l'État considère qu'il ne peut laisser seul les individus régler le problème, alors, il intervient. Ainsi, la justice publique devient-elle une « affaire publique » et un droit extérieur dévolu aux individus. En somme, le droit public.

LE DERNIER ET DRAMATIQUE EXEMPLE

De quoi nourrir les commentaires justifiés de la rue après les derniers drames routiers intervenus récemment sur la côte d’azur, soldés, d’une part, par la brutale disparition du gendarme Éric Comyn en service commandé et sur la base d’un refus d’obtempérer; et d’autre part, celle de Kamilya, une fillette, âgée de sept ans, victime de l’acte impardonnable d’un jeune écervelé âgé de 19 ans effectuant, comme trop de jeunes, des excentricités à moto et, fait aggravant, à hauteur d’un passage clouté.

Au regard de la triste réalité et au premier degré de deux actes criminels.

Et la justice dans tout ça ?

Elle plonge courageusement et scrupuleusement dans les textes. En quête de vérité. Sourde à la mise en garde d’Emmanuel Kant dans sa critique de la raison pure :

« Nous ne connaissons à priori des choses que ce que nous y mettons nous-mêmes. »

Une justice, enfin une certaine justice sinon certains juges qu’en permanence la suspicion anime, attentive, côté judiciaire, dans les attendus entre motivation et motifs laissant le terme adéquat de « considérant » à l’administratif avant que ce mode de rédaction ne soit finalement abandonné au profit d’une modernisation des règles de procédure civile. Une justice entre bracelet électronique et détention provisoire. 

Des nuances qui me valurent à l’époque d’être recalé à ma capacité en droit. C’était hier.

Du refus d'obtempérer au drame !

Aujourd’hui, face à ces deux drames douloureux - outre la mort de deux innocents - deux familles sont désemparées. A vie. Et le verbe dévaster est à peine assez fort pour en mesurer l’intensité.

Un acte impardonnable dans les deux cas au seul prétexte de l’irréparable. La sémantique en la matière, et je m’en excuse, ne vaut que roupie de sansonnet.

Vous avez dit sanction, à savoir, la punition du coupable, la protection de l’ordre public et surtout l’affirmation solennelle que la règle de droit survit à ses violations. Le syndicat de police Alliance animé d’une vision saine et au quotidien confronté à ce problème, appelle, tout naturellement, à un durcissement des condamnations pour ce genre de faits. Notamment, à travers les peines plancher et surtout à la "fin des classements sans suite”.

LE PARDON AUSSI

La crainte est le commencement de la sagesse assure un vieux proverbe. Au-delà du fait que le plus grand nombre - heureusement - ne se lèvent pas tous les matins avec l’idée de tuer même au volant d’une voiture ou en tenant un guidon de moto, le pardon est aussi une valeur humaine.

Certes, mais alors, allez expliquer ce principe à ceux qu’une douleur soudaine et injuste vient de frapper en plein cœur ? Bon courage !

Et même - comme l’affirme Me Olivier Grebille-Romand, spécialisé dans les délits routiers -  si un paria à vie, ça n'existe pas, que la justice est humaine et que les magistrats prennent des décisions aussi dans un but de réinsertion, la réalité s’impose. Terrible. Éprouvante.  

Dans quelques jours, l’enfant sacrifiée de Vallauris, dans le département des Alpes-Maritimes, sera inhumée dans la terre de ses ancêtres, en Tunisie …  et pendant ce temps-là les juges continuerons de réfléchir. Ah quoi, bon sang ?

 

Et encore, pendant ce temps-là, blanchi d’autres éventuels griefs - encore heureux - le jeune responsable amateur de ces insupportables rodéos dits urbains, coulera de paisibles journées sous le toit de papa et maman alors qu’un séjour, même momentané en prison, dans l’attente d’un procès et d’un jugement à hauteur du délit, aurait été mentalement du meilleur effet. Plutôt que d’éducation cela devrait s’appeler instruction civique. Mais voilà …

Quant à la prison, elle l’aurait utilement amené à réfléchir à sa dérive catastrophique bien au-delà des « bla-bla » juridiques déversés à la barre de tous tribunaux circonstanciels, du civil au pénal en passant par les assises et la cassation.

A ma grande tristesse, car le malheur d’où qu’il vienne n’est pas souhaitable, l'article 221-6 du Code pénal est clairement constitutif d'un homicide involontaire entraînant la mort d’autrui par « maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement ».

De ce fait, il est ( sinon devrait) rester incontournable.

L’EXEMPLE MAROCAIN

Le Maroc vient à nouveau et en l’espèce, nous donner une grande leçon de bonne conduite - si l’on peut oser -  suite à un récent drame de la circulation constaté dans les rues de Marrakech sillonnées, chaque nuit - et nous pouvons en témoigner pour nous trouver en qualité de résidents aux premières loges pour suivre et endurer depuis des années -  ce spectacle désolant à divers égards par des chauffards inconscients et détraqués, le plus souvent sous l’emprise de la drogue ou de l’alcool circulant à bord de puissantes et luxueuses cylindrées. 

L’autre petit matin, se livrant avec un autre comparse à un rodéo, c’est un ressortissant français d’origine marocaine qui a été pris en flagrant délit après avoir mortellement blessé un malheureux et inoffensif ouvrier pilotant tranquillement son petit vélomoteur sur la route de son travail. Jusqu’à ce que surgisse, lors d’une autre séquence identique, un de ces cinglés de la nuit alcoolisés ou drogués zigzaguant et fauchant au passage d’autres cyclistes et motos sans parler des dégâts occasionnés aux voitures en stationnement.

Suite à ce qui aurait pu être un véritable carnage, outre les auteurs de ce drame, près d’une centaine de de personnes ont été interpelées. Une rafle inhabituelle au sens noble du terme frappant cette clientèle indésirable et dangereuse. Une plaie pour le pays.

Avec en prime la confiscation des véhicules.

Un satisfecit à la Sureté nationale marocaine tout comme à la justice qui au pays des Alaouites ont la réputation de ne pas plaisanter avec ce genre de délits. Grâce et reconnaissance leur soient donc rendues avec le secret espoir que ce « retour de manivelle » soit pérenne et que cette cité, qui se veut touristiquement exemplaire, par le comportement d’une bande de voyous ne galvaude pas aussi vulgairement une notoriété acquise par des générations d’étrangers et de marocains responsables ayant toujours prôné le respect d’autrui. Tout simplement.

Quant à l’augmentation exponentielle des établissements nocturnes au comportement sauvage - tel ce club ayant pignon sur rue - sans mauvais jeux de mots - fonctionnant à ciel ouvert au mépris d’insupportables décibels déversés sur tout un quartier endormi.

EXCEPTIONNELLEMENT

Certaines exceptions confirment parfois la règle… en droit français s’entend.

Tel cet arrêt du 19 novembre 2015 lorsque la Cour de cassation a reconnu la faute inexcusable de la passagère d’un véhicule entraînant la perte de son droit à l’indemnisation.

Explication : la victime, à bord d’un véhicule qui circulait la nuit sur une voie rapide, est brusquement descendue sur la chaussée. Une voiture qui sortait au même moment du virage l’a violemment percuté et grièvement blessée.

Les juges du fond (le tribunal et la Cour d’appel) ont rejeté la demande d’indemnisation de la victime au motif que son comportement constituait une faute inexcusable, cause exclusive de l’accident. Ils ont finalement conclu que la victime alcoolisée et sous le coup d’une vive émotion (dispute avec le conducteur), avait commis une faute inexcusable et que cette faute était à l’origine de l’accident. Les juges ont de ce fait déclaré que l’assurance n’était pas tenue d’indemniser la victime.

Un pourvoi en cassation fut néanmoins introduit par la victime dans le but de contester cette exclusion du droit d’indemnisation. Mais la Cour de cassation rejettera le pourvoi confirmant les remarques des juges d’appel.

La victime s’étant volontairement exposée, sans raison valable, à un danger d’une exceptionnelle gravité dont elle aurait dû avoir conscience. En se plaçant sur la chaussée dans de telles conditions elle a rendu sa présence totalement imprévisible pour la conductrice du véhicule qui l’a percuté et son comportement est la cause exclusive de l’accident. Dixit l’attendu.

Tout n’est donc pas totalement désespérant en matière de droit.

Une illustration de ce que prônait Voltaire lequel croyait à l’efficacité de la raison, estimant que le progrès social pouvait être réalisé par la raison et qu’aucune autorité, qu’elle soit religieuse, politique ou autres, ne pouvait être à l’abri des contestations de la raison.

Ce à quoi, dans le même registre philosophique, le philosophe Friedrich Nietzsche aurait pu répondre :

“Connaître, c’est comprendre toute chose au mieux de nos intérêts. L'homme a besoin de ce qu'il y a de pire en lui s'il veut parvenir à ce qu'il a de meilleur. La maturité de l'homme, c’est d'avoir retrouvé le sérieux qu'on avait au jeu quand on était enfant.”

 Bernard VADON

Rédigé par Bernard Vadon

Publié dans #J - 2 - B ( Journal ), #j

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :