AVEC MICHEL CARRERE- BORDEHORE : RENDRE LA PEINTURE VIVANTE !

Publié le 7 Septembre 2024

En découvrant l’univers pictural de Michel Carrère-Bordehore dans la magnifique chapelle de la Persévérance - tout un programme pour les initiateurs de spectacles- au cœur historique de la ville de Pau, dans les Pyrénées-Atlantiques, aujourd’hui désacralisée pour offrir ses cimaises à des artistes locaux,  je ne peux m’empêcher, au travers de certaines œuvres de cet artiste-peintre local, de songer à Jackson Pollock qui, le 11 août 1956, a perdu trop tôt la vie dans un accident d’automobile, aux États-Unis précisément à Springs Long Island. Il n’avait que 44 ans mais cette tragédie fera de lui une légende comme elle le fit pour d’autres célébrités telles James Dean et Albert Camus, Ayrton Senna et Françoise Dorléac mais aussi la reine Astrid et Diana.

LA TECHNIQUE DU RUISSELLEMENT

Une année plus tôt, un autre grand peintre, que j’aime particulièrement, Nicolas de Staël, subira le même sort, mais une année plus tôt, en 1955,  en s’éteignant à Antibes,  ma ville natale, dans des circonstances tout aussi tragiques. Il n'avait lui aussi que 41 ans. Un rapprochement qui, selon, pourrait s’effectuer dans l’essence même de leurs œuvres.

Une toile signée Michel Carrère-Bordehove : une sensibilité contemporaine.

Tous deux, nous ont légué des compositions aussi singulières que précieuses. Préfigurant une école picturale novatrice à tous égards. Notamment, par leur technique sur laquelle le philosophe François Dagognet  s’était intéressé :

« Cette technique consiste à tabler sur l’écoulement ou plutôt le déversement, le ruissellement d’un liquide, souvent noir, sur une toile posée à terre et que chevauche l’artiste parfois en transe. »

Max Ernst, qui fait également partie de mes icônes de référence en la matière,  lui aussi figure majeure du surréalisme, s'était servi d'une boîte percée d'où perlait un liquide, constellant de taches la toile tendue à terre.

D’aucuns ont digressé, non sans malignité, sur cette manière d’égouttement symbolique …  pour ne pas dire érotique.

 

André Breton, poète et écrivain français, principal animateur et théoricien du surréalisme, a mis sa plume talentueuse pour en parler :

« Avant et après la guerre, le surréalisme a marqué la sensibilité contemporaine d'une empreinte toujours plus large. La rançon de cette " vogue " est que le mot surréaliste a pris aujourd'hui une excessive élasticité et que son emploi, dans le domaine de l'art, s'est de plus en plus éloigné des formulations essentielles d'un mouvement où la volonté d'interprétation et de transformation du monde n'a jamais exclu, bien au contraire, la rigueur. Hier, Chirico, Miró ou Max Ernst, aujourd’hui, on découvre de nouveaux peintres authentiquement surréalistes. »

EMBLÉMATIQUE

En 1942, la célèbre milliardaire américaine collectionneuse d’art Peggy Guggenheim prendra Pollock sous son aile alors même que l’artiste peaufine sa fameuse technique du « dripping » lui permettant de développer une gestuelle à laquelle Georges Mathieu sera  plus tard sensible.  Le chemin était préparé au service du développement de  ’expressionnisme abstrait et de l’all-over ou holisme, conception selon laquelle la totalité peut être plus grande que la somme des parties :

« En art, la main ne peut jamais rien exécuter de plus élevé que ce que le cœur peut imaginer. » estimait Jackson Pollock, surnommé “jack the dripper”, ( rien à voir avec le trop célèbre étrangleur !)  que l’on tient aujourd’hui comme un artiste emblématique de l’Expressionnisme abstrait qui aura marqué l’histoire de l’art avec sa technique de “dripping”, libérant la ligne de la couleur. Ses œuvres, comme “One number 31” et “Blue poles”, sont des icônes de l’art du XXe siècle.

Une partie de l'assistance admirant les oeuvres de Christian Ayrault  et de Marie-Christine Bodeau.

Les sentiments et les impressions que l’on peut éprouver en matière d’art en général, et de peinture en particulier, sont aussi nombreux que divers. Le choix n’en est que plus difficile et compliqué, écrivais-je lors de ma première approche de l’œuvre de Michel Carrère. Et Dieu sait, si de Léonard de Vinci à Pierre Bonnard ou encore de Joan Miro à Edgar Degas en passant par Paul Gauguin, on se perd en conjectures quant à trouver la référence qui convient.

RENDRE LA PEINTURE VIVANTE

A propos précisément de Michel Carrère-Bordehove j’avais lors d’une précédente exposition fait référence au philosophe Alain qui me semblait définir au mieux le ressenti d’un artiste en estimant que la peinture est une cérémonie en solitude.

le magnifique vitrail représentant l'Assomption ... oeuvre maîtresse de la chapelle de la Persévérance.

Néanmoins, il m’apparait à nouveau et au vu de cette dernière « prestation » du peintre sur les murs de la Chapelle de l’Espérance à Pau, que ce serait finalement Paul Cézanne - le grand peintre provençal précurseur du post-impressionnisme et du cubisme - qui le définirait au plus près de sa personnalité :

 « Il ne s’agit pas de peindre la vie, mais de rendre la peinture vivante »

Ou, qui sait, peut-être Eugène Delacroix lequel considérait que dans la peinture s’établit comme un pont mystérieux entre l’âme des personnages (même suggérés comme il est de règle dans l’abstraction) et celle des spectateurs. 

En tout cas, surprenant parcours que celui de ce retraité pâtissier qui avait approché ce qui n’était alors qu’un passe-temps en décorant des gâteaux d’exception d’anniversaire ou de mariage.

Via Enluminures

Aujourd’hui, outre un atelier improvisé dans sa maison, son jardin est toujours un terrain de jeu idéal pour moduler des formes, des animaux ou des personnages. Inconsciemment, le sujet relève de la pulsion. Un moment de grande intensité émotionnelle. Surtout, lorsqu’il en ressort des représentations abstraites voire cosmiques ou ésotériques qu’il partage avec ses petits-enfants qu’il tente subtilement d’initier à l’amour de l’art.

Toujours aussi modeste, Michel Carrère-Bordehove ne disserte pas plus aujourd’hui qu’hier sur sa passion :

« Mes peintures ne délivrent pas de messages. A présent et c’est un des secrets de l’abstraction, d’aucuns peuvent en découvrir comme ils découvrent d’ailleurs des formes et des personnages auxquelles je n’avais même pas songé. »

Comme hier, en revanche, lors de nos occasionnelles rencontres et que nous évoquons cette passion de la peinture, il reste à l’image de tout artiste, porté simplement par un besoin viscéral d‘exister. Un peu comme le déclarait le « maître d’Aix-en-Provence » ( Paul Cézanne) lorsqu’il consentait à exprimer sa passion :

«Une œuvre d'art qui n'a pas commencé dans l'émotion n'est pas de l'art. »

 

Bernard VADON

 

L’exposition a réuni durant une semaine d’autres oeuvres éclectiques de Christian Ayault, Via Enluminures et de Marie-Christine Bodeau.

Michel Carrère-Bordehore réside et travaille ses oeuvres à Igon, un petit village du Sud-Ouest de la France dans les Pyrénées Atlantiques.

Rédigé par Bernard Vadon

Publié dans #J - 2 - B ( Journal )

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