Sous l’emprise du mensonge - de l’Ukraine à Gaza en passant par Israël - autant en emporte la haine et la terreur institutionnelles gangrénant l’histoire humaine !
Publié le 19 Octobre 2023
Il y a un peu plus de 8 ans ( Mon Dieu que le temps passe … mais les habitudes, mauvaises de préférence, ne prennent généralement pas de rides !) la lecture des « Voyages de Gulliver » de Jonathan Swift m’avait alors inspiré une réflexion de circonstance.
Compte tenu du contexte récurrent quant au sujet, j’y étais à dessein revenu dans cette même chronique.
Aujourd’hui, l’inclination de la société à continuer de passer le plus clair de son temps et à tous niveaux, à faire prendre - à autrui et via, notamment, des moyens de communication toujours plus sophistiqués - des vessies pour les lanternes, est en soi détestable et m’incite à réitérer mon propos.
Simplement, le drame, comme l’écrivait Ivan Tourgueniev dans « Le journal d’un homme de trop » - une satire cinglante de la société russe dans laquelle il définit l'archétype de l'homme de trop, personnage emblématique de la littérature russe, notamment chez Dostoïevski dans « L’Éternel Mari » et « Le Joueur » - c’est que le mensonge est tout aussi vivace que la vérité ... peut-être, d'ailleurs, est-il plus vivace encore.
Les réseaux sociaux, que d’aucuns s’escriment à ne pas tenir pour si dangereux que cela, ont pris place – et quelle place – dans cette célébration détestable du mensonge et de la haine aujourd’hui quasi institutionnalisés.
La guerre en Ukraine, depuis quelques mois, et depuis seulement quelques jours, le conflit sanglant qui oppose Israël à Gaza nous en fournissent chaque jour sinon chaque heure des références toujours plus hallucinantes. Étant entendu que le Hamas qualifié, selon certaines « sensibilités » de combattants par les uns, ou de terroristes par les autres, est passé maître dans cette pratique de l’horreur et de l’insoutenable.
Et cela, même si la guerre, d’un côté comme de l’autre, avec de bonnes raisons de la déclarer, soulève plus souvent le cœur qu’elle ne l’exalte. Nous y reviendrons prochainement.
Aujourd’hui, le moins que l’on puisse dire, c’est que ceux qui sacrifient impunément et au nom de l’appellation dévoyée de Dieu, des petits-enfants, des personnes âgées et des femmes, ne peuvent qu’être voués à la géhenne, synonyme du sheol bien connu dans l’Islam. Autrement traduit : « le feu ardent ».
Dans ce contexte épouvantable et terrifiant, il en résulte une autre guerre non moins détestable où la communication, principalement par l’image qui a grandement pris l’avantage sur les mots et à laquelle on peut faire dire le meilleur et surtout le pire via le mensonge, tient aujourd’hui une place par le volonté abstraite d’un message dont la finalité dépasse tout entendement.
L’horreur en constituant le vecteur principal.
Alors, une question fondamentale se pose sinon s’impose, faut-il à ce point intoxiquer le monde ?
Mais surtout la faute à qui ?
L’ART DE LA GOUVERNANCE
Machiavel avait déjà son idée sur l’art et la manière de faire de la politique et d’enseigner « au Prince » l’art de la gouvernance.
Et, Jonathan Swift, quant à lui, n’y va par quatre chemins dans un court ouvrage qui, pour le coup, ( équitable vengeance de l’écrit ) vaut plus par le poids des mots que par celui … des images :
« Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire (en l‘occurrence l’écrire) arrivent aisément. » estimait Nicolas Boileau.
La remarque est plus que jamais de circonstance.
Pour ce qui le concerne, Jonathan Swift dans « Les Voyages de Gulliver » est parfaitement dans son rôle de pamphlétaire politique et de satiriste brillant :
« L’indignation ardente ne peut plus déchirer son cœur. Va, voyageur, et imite si tu le peux quelqu’un qui se voua entièrement à la cause de la liberté» avait-il souhaité qu’il soit gravé sur sa tombe.
Tout un programme sinon la marque d’un fort tempérament.
Son pamphlet sur l’art du mensonge en politique est dans le genre un bel exemple d’orfèvrerie politico-philosophique et ce qui est encore plus surprenant, c’est que le propos est toujours ( et de façon regrettable ) d’actualité. De sombre actualité, je dirais.
Platon - plus qu’Aristote, lequel considérait que tous les hommes sont des êtres rationnels, y compris les barbares, les femmes et les esclaves (dans la théorie des régimes politiques, mettant en œuvre les concepts fondamentaux de forme de norme et de fin - soutient (je cite) que « tout homme est pour tout homme un ennemi et en est un pour lui-même ».
Autant dire le rôle de la politique consistant, pour ce philosophe, à créer l'unité et assurer l'harmonie dans la Cité, à travers, notamment, la vertu et l'éducation.
Dans la présente conjoncture, il y a loin, très loin et plus encore, de la coupe aux lèvres !
NIVEAU D’INCOMPETENCE
En période d’élections – le terrain favori des prétendants aux titres et aux honneurs (volontairement au pluriel), l’ouvrage de Jonathan Swift mettra du baume au cœur de ceux – malheureusement trop rares – auxquels ces dames et ces messieurs s’emploieront, en vain, à faire du mensonge un art de la rhétorique. Encore une exception qui confirme la règle !
Pas très rassurant mais au fond cela fait un peu partie du jeu électoral.
On pourrait, à l'occasion, faire un package pré-électoral avec le non moins fameux petit bijou écrit par Laurence J. Peter : « Le Principe de Peter » développant, quant à lui, et pour ma joie personnelle maintes fois réitérée, la notion du fameux « niveau d’incompétence ».
En ces jours de détresse extrême qui favorisent les discours lénifiants et creux, on se prend à rêver d’hommes et de femmes de pouvoir comme il en fut un temps. Le mensonge n’était alors pas pour autant banni du discours officiel. Disons qu’il était moins fréquent sinon plus mesuré.
Allez savoir pourquoi. Peut-être par le fait du « mentir vrai ». Ne serait-ce que pour qualifier un comportement assassin. Comme c’est aujourd’hui, et de façon abject, le cas.
D’ailleurs et pour en revenir à Jonathan Swift, son pamphlet – toutes proportions gardées sur le fond - est complétée par un court texte de Jean-Jacques Courtine intitulé ( on ne rit pas ! ) « Le Mentir Vrai ») .
En voici quelques extraits, choisis au hasard des deux textes et qui donnent la mesure sinon la dimension du propos :
"Des mensonges coutumiers pronostiquant des catastrophes, destinés à effrayer le peuple en lui dépeignant un avenir noir pour le conduire à se contenter d'un présent gris : il faut en user prudemment, ne pas montrer au peuple des objets terribles, de peur qu'ils ne lui deviennent familiers et qu'il s'y accoutume. Ainsi de ces promesses annonçant à ceux qui feront le bon choix des lendemains qui chantent :
"il ne serait pas prudent de fixer les prédictions à bref jour ; ce serait s'exposer à la honte et à la confusion de se voir bientôt contredit et convaincu de fausseté."
Ben voyons !
En clair, deux partis se partagent ainsi les compétences en matière de mensonge. Et à ce titre, reconnaissent :
"Qu'ils comptent l'un et l'autre de grands génies parmi eux."
L'auteur attribue les mauvais succès des uns et des autres à la trop grande quantité de mauvaises marchandises qu'ils veulent débiter tout à la fois :
« Ce n'est pas le meilleur moyen d'en faire accroire au peuple, que de vouloir lui en faire avaler beaucoup, tout d'un coup ; quand il y a trop de vers à l'hameçon, il est difficile d'attraper les goujons ! »
Et de poursuivre :
« Pour établir le crédit d'un parti, il propose un système qui semble un peu chimérique et qui ne se ressent guère de ce jugement solide que l'auteur a fait paraître dans le reste de son ouvrage. Son système se réduit à cette proposition : il faut que le parti qui veut établir son crédit et son autorité s'accorde à ne rien dire et à ne rien publier pendant trois mois, qui ne soit vrai et réel ; que c'est le meilleur moyen pour acquérir le droit de débiter des mensonges les six mois suivants. Mais il avoue en même temps qu'il est presque impossible de trouver des gens capables d'exécuter ce projet. »
Pas évident en période de conflit surarmé.
A bon entendeur !
LE MENSONGE TOTALITAIRE
En outre, on retiendra différentes sortes de mensonges - le mensonge d'addition et de soustraction, celui de translation, mais aussi, le mensonge totalitaire et le mensonge démocratique - il en présente les champs d'application avec le souci constant de la mesure. Et s’interroge sur le fait de savoir si, plus c'est gros, plus ça passe.
Quant à la calomnie et à la rumeur, elles peuvent tout autant alimenter le mensonge.
Illustration :
"De même que le plus bas des écrivains a ses lecteurs, le plus grand des menteurs a ses crédules : et il arrive souvent que si un mensonge n'est cru qu'une seule heure, il ait fait son travail. Le mensonge vole et la vérité ne le suit qu'en boitant, de telle sorte que lorsque les hommes en arrivent à ouvrir les yeux, c'est un quart d'heure trop tard."
"Ce n'est pas trop présumer de la crédulité de la plupart des hommes, puisque les ressorts secrets des choses leur sont ordinairement inconnus."
Il convient en tout état de cause de savoir que :
« Si le gouvernement a seul le droit de stigmatiser les mensonges politiques, le peuple n'a point d'autre moyen que l'exercice de ce droit incontestable, pour renverser un gouvernement dont il est las et fatigué ; qu'une abondance de mensonges politiques est une marque certaine de liberté et que, comme les Ministres se servent quelquefois de ce moyen pour affermir leur autorité, il est raisonnable que le peuple emploie les mêmes armes pour les abattre et pour se défendre lui-même..."
Pour autant et alors :
"Faut-il tromper le peuple pour son bien ?"
C’est tout le paradoxe du « mentir vrai », arme fatale et de destruction massive, s'il en est ; véritable pandémie aux limites insoupçonnables de l’immoralité dont les tenants de la politique business – la grande majorité – se repaissent à satiété.
L’après-guerre est un business juteux.
Alors, et comme en matière d’effet placébo, faut-il tromper le patient pour tenter ( ou espérer) une éventuelle guérison ?
Au-delà du mensonge de base - non moins répréhensible - on rejoint le principe tordu du mensonge en politique autrement plus grave de conséquences. Mais qui n’atténue en rien les effets souvent désastreux du mensonge en général.
Au plan strictement sociétal et dans un domaine autrement plus sournois mais non moins criminel, les ravages perpétrés par des produits scientifiquement et officiellement reconnus comme hautement dangereux pour la santé – le chlordécone dans les Antilles françaises et le glyphosate à l’usage officiellement reconduit pour ne pas les citer - illustrent cette propension au meurtre banalisé. (1)
"Les sens sans la raison sont vides, mais la raison sans les sens est aveugle. Le despotisme est le gouvernement où le chef de l'État exécute arbitrairement les lois qu'il s'est données à lui-même, et où, par conséquent, il substitue sa volonté particulière à la volonté publique." estimait le philosophe Emmanuel Kant chantre de la raison et de la pensée considérant néanmoins et en parallèle de rédemption le christianisme comme unique religion morale.
QUESTION DE LECTURE
Ce qui n’atténue en rien certaines dérives dans la grande histoire religieuse. L’Islam, à juste titre, est à nouveau sur la sellette. Pour tous les crimes commis en son nom. Sachant que le Coran compte quelque 6300 versets au total, dont 300 contiennent les termes combattre ou tuer dont cinq versets sont une injonction à tuer. La question bien sûr étant de savoir comment lire le texte.
Dans certains passages du livre du Deutéronome, Dieu invite aussi à tuer. Mais pour la majorité des juifs et des chrétiens ces injonctions se réfèrent à une situation historique et ne sont pas valables au pied de la lettre. Il en est de même pour la majorité des musulmans vis-à-vis du Coran. Si le texte devait déterminer les actes des croyants, nous connaîtrions un bain de sang depuis 1300 ans !
Malheureusement, aujourd’hui, les fondamentalistes opèrent une relecture du Coran très éloignée de la tradition islamique. C’est tout le problème et quel problème !
Ce n’est pas moi qui l’affirme mais l'islamologue allemand Reinhard Schulze dont l’analyse permet de s'affranchir de certaines idées reçues et soulèvent des pistes de réflexion intéressantes.
Notamment, quelle est, aujourd’hui, la responsabilité de l’islam dans les abcès de violence religieuse qui déchirent le Moyen-Orient, et dans les attaques terroristes en France?
Et le Coran, avec ses passages qui invitent à tuer, ne devrait-il pas faire l’objet d’une lecture plus distanciée ?
A ces questions, l’islamologue allemand Reinhard Schulze répond par des références historiques. Imparable.
Sans esquiver les problèmes posés par l’actualité, ce professeur à l’Université de Berne montre comment la réflexion critique sur l’islam s’est arrêtée, il y a plus d’un demi-siècle, sous l’étouffoir des États, qui ont contraint les intellectuels au silence et laissé le fondamentalisme travailler sans concurrence les populations arabo-musulmanes.
Certes, d’un autre côté, la chrétienté n’est pas sans reproches pour autant. Ainsi, sans remonter au temps des croisades, les schismes – humainement moins graves – qui l’ont secouée, attestent néammoins de dérapages regrettables. Sans parler en son sein d’hommes et de femmes cloués au pilori de pensées souvent tordues. Le Christ en fut un parangon hautement glorieux.
L’histoire religieuse de Byzance au IXe siècle, avec l’affaire du grand patriarche Photius sévèrement et partialement jugé par les historiens de l’Église et depuis, fort heureusement réhabilité jusqu’à figurer parmi les saints, en est également un exemple. Entre nombreux autres.
François Dvornik par ses recherches et ses écrits dans un ouvrage-clé intitulé « Le schisme de Photius. Histoire et légende » est à l’origine d’une réhabilitation fameuse. Alors même que la conséquence d’une présumée « bavure » injustement imputée à Photius, ce grand et saint patriarche, fut quand même l’aggravation des relations entre l’Orient et l’Occident qui impacta douloureusement l’évolution religieuse et culturelle du christianisme. Pas rien comme conséquence d’analyses à courte vue.
Vous avez dit mensonge ?
Finalement, et pour rester dans cette mouvance intellectuelle, il ne s’agit pas de savoir comment nous pensons, mais plutôt comment nous devons penser.
Question de principe élémentaire.
Bon courage quand même !
Bernard VADON
(1)
La Commission européenne aurait proposé aux États membres de l'Union européenne de renouveler pour 10 ans l'autorisation du glyphosate, pesticide controversé puisque suspecté d'avoir des effets néfastes sur la santé. De qui se moque t-on ? Dimanche dernier, l'émission "Le Jour du Seigneur" sur Antenne2 outre la messe dominicale en Guadeloupe, diffusait à ce propos un documentaire pour le moins éloquent.
Mais comme l'affirme le dicton populaire : Plus on est de fous, plus on rit !
Retrouvez le sur son blog :
bernardvadon-journaliste.over-blog.com