La grandeur de la France : parlons-en !

Publié le 8 Juillet 2022

C’était il y a vingt ans. La même chanson se fredonne encore dans les chaumières ou autres tours symbolisant le progrès ;  à l’exemple de l’Égypte ancienne et de ses constructions délirantes avec le ciel pour objectif. Toujours plus haut. Toujours plus loin. La recherche spatiale a pris le relais de cette obsession de l’altitude.

La France n’échappe pas à ce délire de la grandeur :

« La France aime à se théâtraliser, à dramatiser son actualité et son histoire. Les événements s'y développent en grande dimension. Le printemps 68 a secoué toute l'Europe, mais c'est le mai parisien qui a marqué les mémoires. Dans un autre domaine, il y a tous les quatre ans deux équipes qui se font éliminer d'une demi-finale de la Coupe du monde, mais la défaite contre l'Allemagne à Séville en 1982 a pris le caractère d'un drame national. Bref, la France se met en scène. » écrivait il y a une vingtaine d’années – déjà ! – l’éditorialiste d’un quotidien suisse de référence.

AINSI VA L’HISTOIRE

Est-ce pour autant un grand pays ? questionnait tout naturellement ce dernier complétant son appréciation par une réponse mi-figue, mi-raisin :

« Probablement, mais selon un modèle qui est peut-être fatigué, ou qui n'a plus les moyens de ce qu'il a longtemps voulu être. » concédait l’observateur. Et de développer son propos :

Le Château de Versailles : de beaux restes mais voilà ...

La France s'est ainsi construite par agrégation progressive autour d'un noyau central, un État souhaité par Colbert, celui, en l’occurrence, du royaume de Louis XIV  … lequel délaissa Paris pour s'installer à Versailles. En ce cas, la question se pose de savoir si la Révolution aurait pu avoir lieu, et surtout trouvé ses conditions, sans cette manière de pas de côté qui était aussi une forme déguisée d’éloignement.  Ensuite, avatar de cette même histoire qui n’est pas spécifique à la France, cette dernière a guillotiné le roi.  Un acte au fond terrible et vertigineux, qui hante encore l'imaginaire d’une partie du peuple français. Ainsi, va l’Histoire.

La France a perdu de sa puissance. Triste mais c'est une réalité. La pratique de sa langue à travers le monde a fortement régressé. Sa politique de prébendes en Afrique l'a isolée et déconsidérée. Ses capitalistes à tendance dynastique sont parmi les moins compétents de la planète, engoncés dans leur narcissisme et faussement rassurés par leurs conseils d'administration. Croisés et verrouillés. Indépendamment du chiffre faramineux des profits dernièrement engrangés par les 500 grandes fortunes nationales (la bagatelle de mille milliards ! ) alors que les fins de mois pour le plus grand nombre de français relèvent de l’impossible. Quant au manque d'investissement dans la recherche et son intérêt mesuré dans la jeunesse font de la France un pays vieillissant, voué depuis trop longtemps à la reproduction des mêmes recettes. On pourrait ajouter à ce désolant constat une « décolonisation » mal menée, mal gérée, avec des solutions transitoires qui ont fini par créer les «quartiers», ces ghettos véritables et dangereux états dans l’État. On ne s'étonnera dès lors pas que d'aucuns entonnent l'air du déclin, selon une nostalgie pas toujours réaliste ni lucide sinon objective.

EXCEPTIONNEL MOMENT

Aujourd’hui, c’est le retour à un État centralisateur, installé et concentré à Paris. Là, tout se trame et tout se décide. Une symbolique de circonstance où se côtoie l'élite où les budgets sont établie et alloués. La grandeur de la France, c'est aussi une façade, un décorum. On a longtemps vu en grand, de et à Paris, et cela a façonné les esprits. Un état d’esprit devenu typiquement français. De là à surévaluer son importance et s’impliquer dans le fonctionnement des autres peuples il n’y avait qu’un pas que les français via ses gouvernants a délibérément franchi.

Les illusions perdues !

Le discours prononcé par le ministre des Affaires étrangères de la République française, Dominique de Villepin, le 14 février 2003 , devant le Conseil de sécurité des Nations unies à New York fut un grand et exceptionnel moment de l’influence française dans le monde.

Qu’en est-il depuis ?

C’était il y a une vingtaine d’années. Pourtant à la quasi même époque  l’écrivain suisse, Bernard Comment, n’y allait pas par quatre chemins pour vilipender le système au travers d’un esprit français qui se voyait et se voulait grand :

« D'où sa propension à chercher une consolation ou un destin dans les bras de l'homme providentiel, du sauveur. De Bonaparte à de Gaulle. Mais aussi Pétain et son odieux régime nourri de l'idéologie de Barrès ou de Maurras. Sans oublier l'aventurier Boulanger, la calamiteuse dérive du boulangisme, à la fin du XIXe siècle, dont je m'étonne que si peu de commentaires n’en rappellent pas le spectre pour éclairer les autres dérives, contemporaines celles-ci, du candidat Sarkozy (mais aussi du ministre de l'Intérieur qu'il a été pendant quatre ans). Le sauveur, c'est l'homme fort, tout voué au culte de sa personne, à l'exaltation de sa puissance, de sa domination et qui s'appuie sur un contrôle étroit de la presse aux ordres pour certains ». écrivait Bernard Comment.

C’était hier mais aujourd’hui les choses n’ont pas seulement changé mais malheureusement empiré.

GRANDEUR ET HEROISME

Faire de la France une grande puissance et renouer avec l'héroïsme politique c’était pourtant  l’ambition du nouveau président élu déclarant :

"J'assume ce discours de grandeur. Il est à la hauteur du moment que nous vivons. »

Grandeur et héroïsme, un vocabulaire quelque peu surdimensionné impliquant non seulement une incarnation jupitérienne de la fonction, mais aussi une action qui ne soit pas sous-dimensionnée.

Ceux qui y croyaient pouvaient encore rêver :

 "La France doit permettre à l'Europe de devenir leader du monde libre. » affirmait  alors Emmanuel Macron qui proposait de refonder l'Europe et de  convertir ses pairs à la grandeur.

Petite revue de détails :

Selon la chroniqueuse Catherine Nay, avec le général De Gaulle, la France ne pouvait avoir qu'une destinée éminente et exceptionnelle. Pour son successeur, Georges Pompidou, la grandeur du pays ne pouvait aller de pair qu'avec la puissance économique, une industrie prospère : son obsession. Quant à Valéry Giscard d'Estaing, peut-être plus lucide, il préférait se démarquer du gaullisme en se forgeant  l'idée d'une France puissance moyenne qui ne faisait pas rêver. La prudence était déjà de mise.

Au vu de cette analyse, ces trois personnalités incarnaient quand même  l'État d'une manière qui forçait le respect. Ce qui n’est plus tout à fait le cas. La suite fut révélatrice.

 

Magnificense versaillaise ...

Ainsi, fruit d’une opposition revancharde et soucieuse de changer la donne, François Mitterrand appliquera la méthode du faites ce que je dis mais pas ce que je fais. Après avoir critiqué vertement et parfois méchamment les pratiques de la cinquième République, il en appliquera sans sourciller les grands principes jusqu’à ( un comble pour une gauche déjà sur la pente ) recevoir ses pairs sous les ors et dans la magnificence versaillaise.

Enfin, entre  la « présence » d’un Jacques Chirac peu sensible aux grandes réformes et Nicolas Sarkozy surfant sur les racines de la France, sa culture et sa religion, tous deux insensibles à la notion de grandeur. Rendant cependant et ensemble autrement inconsistante et « ordinaire » la présidence hollandaise. La boucle était presque bouclée.

ARROGANCE ET SUFFISANCE

Aujourd’hui, le dauphin, Emmanuel Macron, reprend ou s‘efforce de relever le défi d’une France qui depuis sa prise de fonction a plus encore  perdu ses marques et ses valeurs et s’enfonce inexorablement dans la fange technocratique et la politique d’un copinage insupportable. Le fauteuil doré proposé à l’ancien premier ministre M. Jean Castex - président de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France – n’est qu’un exemple entre autres.

Enfin, les élucubrations en tous genres et en tous sens du président. Ses allers et retours sur la scène internationale et ses tentatives infructueuses pour instiller la paix sont autant de coups d’épées dans l’eau.

Qu’importe le flacon, le président est un adepte de l’ivresse. La tragédie ukrainienne et ses tentatives d’approche avec le président-agresseur alias Poutine, pour respecter les termes politiquement corrects, ajoutent parfois tristement à cette pantalonnade de plus en plus insupportable et désespérante.

Notre arrogance et notre suffisance ne font qu’ajouter à la détestation du plus grand nombre à l’égard de notre pays. Actuellement et par exemple, ne parlez pas de la France dans les pays nord africains et au Maroc en particulier où l’affaire des visas accordés au compte-gouttes sinon refusés sans justifications sérieuses, donne du grain à moudre aux médias. Même si certains, aveuglément convaincus, assurent mordicus que l’étranger nous envie ce président exceptionnel. Ah, bon !  

« Encore des mots toujours des mots, les mêmes mots
Je ne sais plus comment te dire
Rien que des mots. » 

Vous vous souvenez de la chanson interprétée par Dalida ?

 

AFFRONT

La récente révolte inattendue et surprenante des élèves et surtout lauréats des grands écoles est un signe aussi fort qu’encourageant. Une sorte de coup de pied dans la fourmilière. Et les grands et riches donateurs prêts à puiser dans cette pépinière savante n’ont pas été les derniers à accuser le coup et recevoir cette évidence en pleine figure. Un affront.

Ont-ils compris qu’ils avaient aujourd’hui tout faux ?

La technologie ne va pas nous sauver ...

Les récentes désaffections des urnes par une grande partie du corps électoral et en parallèle les remarquables performances des extrêmes sont des signes qui ne trompent pas.  

Par ailleurs, la jeunesse savante de ce pays s’emploie à prendre la main. Le monde est en crise et singulièrement la crise climatique est un prétexte sinon une raison. Je dirais plus qu’une bonne raison  :

« Cette crise nous pousse à nous interroger sur notre mode de vie, sur nos vrais besoins masqués dans les aliénations du quotidien » confiait il n’y a pas si longtemps Edgar Morin.
 « On veut croire que la France a suffisamment d'anticorps pour résister à une excessive régression mais c'est à un renouvellement en profondeur qu'elle doit s'atteler. Celui, en particulier, de son administration, issue du triomphe définitif de la bourgeoisie sur l'aristocratie au sortir de la guerre de 14-18, et qui a traversé, imperturbable, sorte de nouvelle noblesse d'État, tous les régimes et tous les pouvoirs depuis plus d'un siècle de la Troisième République au Front populaire en passant par Vichy, la quatrième et la cinquième République. C'est d'ailleurs une particularité bien française que d'avoir à ce point professionnalisé et formaté ses classes dirigeantes, administratives et représentatives, à travers ses grandes écoles. De Polytechnique à l’École Normale Supérieure en passant par Centrale, l’ENA et Sciences Po, de façon à former et maintenir un modèle directeur. Mais ce modèle a fini par supplanter ce qui fait la force des dirigeants de tous ordres en étant des pionniers capables d'inventer demain, et d'éclairer les horizons non seulement du pays, mais de ce pays dans le concert international de la politique, de la culture, de l'économie, des organisations du vivre-ensemble. »estime encore et pour sa part Bernard Comment.

PRISE DE CONSCIENCE

De Polytechnique à Agroparistech en passant par Sciences Po, la dernière remise de diplômes, vitrine des grandes écoles, est devenue politique. Plus aucune remise de diplômes ne se déroule sans un appel fort des jeunes à répondre à l'urgence climatique. Dernièrement, les étudiants n'ont pas manqué cette opportunité.

Un "processus de politisation" de plus en plus présent dans les grandes écoles où la remise de diplômes est un vrai symbole :

« Et le soufflé n'est pas prêt de retomber", affirme le doctorant en sociologie Antoine Bouzin.

Désormais, c’est devenu un rituel incontournable dans les grandes écoles :

La tradition du lancer de toques : une toute autre signification !

Après AgroParistech et HEC , il y a quelques semaines, ce fut au tour des nouveaux diplômés de Polytechnique et Sciences Po de prendre position. Ainsi, le vendredi 24 et le samedi 25 juin, les promotions de l’X des années 2015, 2016, 2017, dont la remise de diplômes avait été décalée à cause de la Covid-19, ont appelé à rompre avec "l’immobilisme climatique" :

."Même si nous, polytechniciens, sommes bercés dans une foi en la rationalité en la science et la technique, nous voyons bien qu’il n’y aura pas de solution miracle, que la technologie ne va pas nous sauver", a déclaré une polytechnicienne.. 

QUAND TOTAL-ENERGIES EN PREND POUR SON GRADE

Prendre conscience de l'urgence à agir ... au-delà des dividendes faramineux !

 

Pire ou plus significatif avec la promotion 2015, parrainée par TotalEnergies. Ainsi, lorsque la vidéo de félicitations du directeur général de la major pétrolière, Patrick Pouyanné, a été diffusée dans l’amphithéâtre, une partie des élèves ont tourné le dos et sifflé leur parrain. Une rébellion de taille pour celles et ceux qui constituent les futures élites du pays :

"Nous appelons la communauté polytechnicienne, et surtout les anciens élèves de l’X, qui sont aujourd’hui en poste, à prendre conscience de l’urgence écologique et à agir", a déclaré Angel Prieto, de la promotion 2016.

« La grandeur est un chemin vers quelque chose qu’on ne connaît pas. » estimait Charles De Gaulle entre autres réflexions révélées dans « Les Chênes qu’on abat »  écrit par André Malraux le plus fidèle de ses historiographes. Leur dialogue « au sommet », que seule la mort interrompra, l’une des rencontres du siècle, fut saluée par François Mauriac en ces termes :

« Ce qu’ils ont en commun, c’est ce qu’il faut de folie à l’accomplissement d’un grand destin, et ce qu’il y faut en même temps de soumission au réel. »

Un bréviaire – au sens figuré -  pour les générations politiques du moment et celles à venir. Manifestement,l'État ne semble trop gros que lorsqu'il manque de mouvement, d'initiative, d'audace, et qu’il donne l'impression d'être une fin en soi.

La solution ou l’une des solutions :

« Il faut aujourd'hui relancer une France généreuse, attentive, accueillante et stimulante. La France n'est pas un fantasme, elle est une réalité à animer, à recoudre parfois, qui doit à nouveau s'aimer et surtout se faire aimer. »
Bon courage !

Bernard VADON