A IGON (Pyrénées Atlantiques) En marge d’un moment musical et d’amitié : et si on jouait masqués en compagnie de Khatchatourian et Schumann en passant par Debussy, Poulenc et Verdi. Clin d’œil.

Publié le 26 Avril 2022

S’il est un objet qui symbolise de nos jours la pandémie du moment  qui affecte la planète entière, c’est bien le masque, devenu indispensable pour se protéger de la propagation du Covid-19. L’emploi de cet accessoire faisant office de barrières contre l’inhalation de substances nocives en tous genres ne date toutefois pas d’hier.

Voilà pour le mobile … si l’on peut dire.

Car, pour les effets, sinon les conséquences, les avis divergent… nous n’engagerons pas le débat.

L’opportunité cependant de rappeler les origines du masque au sein de nombreuses civilisations primitives où il était utilisé à des fins rituelles. En particulier, pour cacher la véritable personnalité du célébrant et pour représenter, de façon parfaite et non humaine, le visage du divin. L‘origine des masques les plus anciens s’observe chez les Égyptiens, mais aussi chez les Incas et les Aztèques. Voilà pour l’historique .

Un temps délaissé le masque sera réintégré dans la société à la Renaissance par le biais de la comédie italienne et singulièrement de la  commedia dell’Arte, genre de théâtre populaire où sont mis en évidence la ruse, l’ingéniosité mais aussi la naïveté et la dérision. La commedia dell’ Arte mais aussi le Nô japonais en sont d’intéressants exemples.

Puis, à nouveau publiquement délaissé, le masque réapparait en période de guerre, entre le XIVe et le XVIIIe siècle, afin de se prémunir des ravages causés par les épidémies de peste qui secouèrent alors l’Europe..

Enfin, durant la première guerre mondiale, suite à l’utilisation des gaz de combat et la volonté affichée par les belligérants de tuer massivement, le masque reprend tristement du service.

Tout comme aujourd’hui, avec le spectre de la guerre bactériologique sur le front ukrainien.

FIN DU MONDE

Nous sommes à des années-lumière, ou quasiment, des fastes vénitiens et de la fameuse bauta apparue au XVIIIème siècle qui permettait à ceux qui le portaient de dissimuler leur véritable identité et de nourrir ainsi le mystère pour le plus grand bonheur des peintres du grand canal. Sans oublier les signatures du moment, Pablo Picasso et Georges Braque.

Selon l’historien des religions, Mircea Eliade :

« L’abolition du temps profane écoulé, s’effectuait au moyen des rites qui signifiait une sorte de fin du monde. »

La finalité : ajouter du mystère au mystère.

Quant aux compositeurs, ils  ne furent pas en reste pour exploiter ce sujet  porteur de valeurs cosmologiques. Une façon d’éclairer les activités mythologiques de l’ère des religions déistes.

Aussi, à ce titre, nous avons, délibérément et le temps d’une moment musical aussi festif qu’instructif, de façon en tout cas non exhaustive, sélectionné quelques compositeurs séduits par ce thème auquel nous avons aussi été sensibles.

Grâce à ces derniers et comme l’assure encore Eliade :

« En imitant les actions exemplaires d’un dieu ou d’un héros mythique, ou simplement en relatant leurs aventures, l’homme d’une société archaïque se détache d’un temps profane et réintègre par magie le grand temps, le temps sacré. »

D’aucuns qualifieront ce truisme (une vérité d’évidence) : « d’éternel retour ».

Nous adhérons !

CONFIDENCES

L’assistance nombreuse – pas loin de trente invités -  n’a pas tardé à prendre la mesure sinon l’importance culturelle de cette invitation à percer les secrets de cette singularité révélée avec tant de talent et de persuasion au long de ces différentes partitions entre une brève exposition du thème et de la démarche du compositeur traduite au piano avec infiniment de sensibilité par Michel Chanard. (1)

Les confidences de ce public manifestement choisi (et finalement séduit) rejoignaient celles de Victor Hugo estimant que la musique est la vapeur de l’art, qu’elle est aussi à la poésie ce que la rêverie est à la pensée et ce que le fluide est au liquide mais également ce que l’océan des nuées est à l’océan des ondes.

Aram Khatchatourian et la « Masquerade Suite », propre à satisfaire ceux pour qui aiment l’univers sombre et vivant de la valse russe, essentiellement quand elle exprime les tourments de l’être donnait le « la » de cette soirée. Un sommet de l’art musical.

En suivant, Claude Debussy et son superbe Clair de Lune, la pièce la plus connue de la Suite bergamasque probablement inspirée du non moins superbe poème de Paul Verlaine dont Sylvie Bauche se fit, en préambule, la délicate interprète, illustrait l’avant-garde musicale française. Un texte hautement expressif avant que Michel Chanard ne le traduise musicalement et pour les initiés en ré bémol majeur, sur un tempo andante très expressif, et joué essentiellement pianissimo.

SUBSTANTIFIQUE MOELLE

Avec " le Bal Masqué" d'Amy Beach – compositrice et pianiste américaine -  on explore une autre « dimension » musicale finalement plus reposante et douce après Claude Debussy où prédomine une forte intensité émotionnelle.

Tout comme avec Salomon Jadassohn, pianiste et compositeur allemand, professeur renommé de piano et de composition au Conservatoire de Leipzig. Une musique plaisante et facile marquée par une forte inspiration des compositeurs romantiques. 

On pense à Chopin. Notamment, avec son concerto pour piano No.1 Op.89 également riche de réminiscences de Brahms et Schumann :

« Travailleur érudit et intègre, il a codifié les idées traditionnelles de l'harmonie, du contrepoint et de la forme dans ses manuels » écriront ses biographes ».

Outre son maître Franz Liszt , il compta parmi ses élèves le renommé pianiste et compositeur norvégien de la période romantique Edward Grieg  qui composa la superbe musique de scène de Peer Gynt d’où est extraite la célèbre et émouvante chanson de Solveig dans laquelle excellait la célèbre soprano Marita Solberg.

Pour l’anecdote, Serge Gainsbourg reprit la mélodie de ce morceau pour composer sa chanson « Lost song » interprétée, dans un autre registre vocal, par Jane birkin.

MORCEAU DE BRAVOURE

Retour aux maîtres français avec Francis Poulenc auquel Georges Auric, fit connaître Jean Cocteau et Guillaume Apollinaire mais aussi Max Jacob et Paul Éluard.

Il mettra un grand nombre de leurs textes en musique et sera reconnu comme l’un des meilleurs mélodistes de l’école française.                       

Son « final » du « Bal Masqué » est une morceau de bravoure pour les interprètes Il témoigne du caractère de l’auteur du « Dialogue des Carmélites » et de « La Voix Humaine » ; des oeuvres graves certes mais parfois légères sans cesser d’être  mélodique et qui, subtilement,  laisse toujours transparaître un esprit partagé entre farce, gravité, foi profonde et poésie. 

Là encore, Michel Chanard a su révéler la substantifique moelle de cette pièce dont Poulenc disait :

 « J’ai pensé simplement, en l’écrivant, à ces fresques où les anges tirent la langue, et aussi à ces graves bénédictins que j’ai vus un jour jouer au football »

Retour «Sous le masque opus 118 » de Cécile Chaminade dont la rencontre avec Georges Bizet, de plus de vingt ans son ainé, sera par la suite déterminante dans son parcours de compositrice occasionnellement inspiré de l’univers des masques.

Concertiste appréciée particulièrement en France et en Angleterre, Cécile Chaminade, après sa première visite à Londres, y reviendra presque tous les mois de juin dans les années 1890 pour donner un concert annuel, 

Elle sera chaque fois invitée par la reine Victoria à séjourner au château de Windsor.

Lorsque l'on demandait  à Cécile Chaminade comment elle composait :

« Pour toute composition un peu développée, il faut penser longuement. Et de même que les peintres se reculent et changent de place pour juger leurs œuvres, le musicien s'écoute beaucoup et laisse souvent posé ce qu'il a écrit pour le reprendre un peu plus tard et juger son travail quand l'imagination s'est calmée".

Lui succédant au programme, Ignaz Friedman, pianiste et compositeur polonais, a écrit une centaine d'œuvres dans la tradition du « pianiste-compositeur ».

Ce sont d'élégantes pièces dites de salon dans le meilleur sens du terme, des Fantasiestücke.

Vladimir  Horowitz confiait à propos de ses interprétations qu'il avait une technique supérieure à la sienne

Il est vrai qu’aucun pianiste n'était  arrivé à égaler Ignasz Friedman dans l’interprétation des  œuvres de Frédéric Chopin.

Pas même Alfred Cortot et Josef Hofmann !

Avec Felix Borowski pianiste et compositeur, lui aussi d'origine polonaise mais né dans le village anglais de Burton-in-Kendal Westmorland . (comté historique du Nord Oust de l’Angleterre), c’est un autre style que l’on découvre.

Félix Borowski fut compositeur, professeur et critique de presse à Chicago mais aussi annotateur du programme de l' Orchestre symphonique de Chicago de 1908 à 1956, le CSO ((Chicago Symphony Orchestra).

« La ronde des Masques » est l’une de ses œuvres originales.

INTERMEZZO … DINATOIRE

Avec Giuseppe Verdi, on aborde au domaine particulier de l’opéra où le pouvoir mélodique s’unit à la profondeur psychologique et légendaire.

De « La donna è mobile » à Brindisi de « La traviata » au magnifique et émouvant « Va pensiéro » de Nabucco, sans oublier la marche triomphale de Aïda, on entre dans une autre « dimension » musicale. « Un Ballo in Maschera », opéra en trois actes sur un livret d’Antonio Somma qui dut transposer le drame sentimental en luttes de pouvoir dans le Boston du XVIIème siècle, en témoigne.

Un « bal » qui sera aussi l’occasion de faire tomber les masques et de révéler les caractères profonds de héros partagés, sinon déchirés, entre leurs aspirations et leurs devoirs.

 Avant un «bis » très applaudi  (une tout autre composition) intitulée « Interstellar » (musique de Han Zimmer pour le film de science-fiction réalisé par Chrtistopher Nolan) c’est Robert Schumann, avec « le Carnaval de Vienne »,  qui ferma le ban. Et quel ban !

Robert Schumann - compositeur et pianiste allemand - dont la

musique s'inscrit dans le mouvement romantique, qui domina au début du 19 ème siècle au sein d’une Europe en pleine mutation.  

Sa création est un point culminant du romantisme en musique.

Un genre qui se caractérise par l'importance donnée à la subjectivité, en opposition avec l'universalisme de la période classique.

Après Franz Schubert et avant Johannes Brahms, il est manifestement l'un des maîtres du lied. (poème germanique chanté par une voix, accompagné par un instrument ou plusieurs).

Le  Carnaval de Vienne op. 26, que nous allons jouer est une œuvre maîtresse pour piano  inspirée lors du voyage de Schumann à Vienne, en 1838.

Les trois parties Allegro, Scherzino et Finale s'en tiennent à la tonalité principale de si bémol majeur alors que les deux autres dont romance et intermezzo, que nous avons présenté, sont en sol mineur et mi bémol mineur.

 

Enfin, un apéritif dînatoire servi par Patricia de Simone et Ugo (Philippe Jayat) permit aux presque trente invités – parmi lesquels M. Marc Labat, maire de Igon et Mme - de se restaurer et de déguster notamment des mignardises salées chaudes mais aussi sucrées. Sans oublier quelques spécialités du Béarn et les vins.

Chacune et chacun purent longuement  échanger sur ce programme de circonstance singulier et original  par son thème mais qui avait aussi l’avantage de présenter le masque sous un aspect autrement agréable et enrichissant.

Une fois – pour la circonstance – n’est pas coutume.

 

BERNARD VADON

1/ Michel Chanard

A étudié le piano avec J.C Gérard, élève de Pierre Barbizet.

Il est, depuis 1979, titulaire du Grand Orgue de l’église Saint Jean Baptiste de Bagnols-sur-Cèze. Premier d’excellence en piano dans le cadre du Concours Musical de France il se consacre à la musique de chambre avec l’ensemble instrumental Fernand Jarrie et se spécialise dans l’accompagnement de solistes tels le trompettiste Bernard  Soustrot ou encore la soprano Adina Aaron (Grand Prix du Monte Carlo Voice Masters). En qualité de compositeur, sa « Messe Brève » a été créée en 2000 à Montpellier.

Il se produit régulièrement en Europe, au Maroc, en Italie, en Allemagne et en Suisse dans le cadre de concerts ou de récitals et il a effectué plusieurs tournées au Canada et en France avec l’ensemble vocal « Arts Musicae »  de Paris.

2/ Bernard Vadon

Journaliste et écrivain, auteur de plus de dix ouvrages – romans, essais et poèmes – poursuit sa carrière littéraire et journalistique. Passionné de musique, il organise régulièrement des rencontres avec ses amis musiciens en France et au Maroc. Notamment, avec Michel Chanard avec lequel il a aussi composé un « Laudate Maria » qui a été créé à Marrakech.

 

 

 

 

 

Rédigé par Bernard Vadon

Publié dans #Bernard Vadon, #J - 2 - B ( Journal )

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