C’ÉTAIT EN 2001 : UN PAPE POLONAIS EN UKRAINE OU L’INVINCIBLE ESPOIR !

Publié le 16 Mars 2022

«L'embrasser et lui donner une accolade fraternelle en feignant d'ignorer nos divergences et les souffrances de notre peuple, cela équivaudrait à trahir l'orthodoxie.»

En ces termes peu amènes,  le chef des orthodoxes ukrainiens-  le métropolite Volodimir- avait ainsi justifié l'absence des dignitaires de son Église lors de la visite en Ukraine, en 2001, du pape, aujourd’hui, Saint Jean Paul II. Quant au patriarche de Moscou, Alexeï II, autorité suprême chez orthodoxes ukrainiens, il multiplia les commentaires hostiles, estimant qu’en effectuant ce voyage :

«  Il signifie son accord avec les spoliations de monastères orthodoxes perpétrées par les catholiques dans l'ouest de l'Ukraine à la fin des années 80. »

Saint Jean-Paul II : n'ayez pas peur !

Oubliant peut-être un peu (ou opportunément) trop vite que les catholiques ukrainiens subirent des siècles durant persécutions et vexations de la part de l'Église orthodoxe russe. Mais cela, pour lui en tout cas, était une autre question !

Le patriarche de Moscou considérant, de surcroit, que le pape d’alors (qui n’était pas encore sanctifié) n'avait pas respecté la sacro-sainte étiquette stipulant que tout chef religieux, sollicite, avant de se rendre à l'étranger, l'autorisation des autorités religieuses majoritaires précisant à ce propos et pour faire bonne mesure :

 « Les dignitaires orthodoxes ukrainiens se sont prononcés majoritairement contre la venue du pape».

 C’était mal connaître le pape polonais dont le passé exemplaire constituait à lui seul une réponse à ces prises de positions stupides.

Les babouchkas de service chargées de brandir des banderoles hostiles en furent pour leurs frais. Justice divine peut-être.

Tout comme Valentin Loukianik, président de l’Union des fraternités orthodoxes, contestant la visite du souverain pontife et qui résumait en termes ses sentiments : 

« Cette visite humilie notre conscience religieuse et nationale. Le pape va faire des shows, prier dans des stades, pour aveugler le peuple ukrainien. Pendant ce temps, nous prierons pour être délivrés du mal catholique.»

Et tout excès conduit au ridicule ... affirmait la comtesse de Beausacq.

On ferme le ban.

Ces patriarches qui tirent les ficelles... et ceux qui osent dire,  à l'instar du métropolite Épiphane, que tuer un ennemi n'est pas un péché, au prétexte quelque peu fallacieux que "celui qui est venu à nous avec une épée mourra de cette épée" ... "Eloï, Eloï lama sabactani" (psaume 22) !

Autant dire que l'Église orthodoxe russe se frottait les mains, Kiev étant surnommée par les Russes, la mère de toutes les villes et le berceau historique de l'orthodoxie slave.

Au fond, les orthodoxes reprochait au Saint Père d'attiser leurs querelles internes. Le patriarche Philarète, autorité d’une Église orthodoxe dissidente détachée de l'autorité de Moscou, estimant toutefois «peu chrétiens» les propos tenus par Alexeï II à l'encontre du souverain pontife qualifié d’antéchrist. Carrément !

Dans les milieux ecclésiastiques on ne fait malheureusement pas toujours dans la dentelle

Ce qui n'empêcha pas les nationalistes russes de voler également au secours des orthodoxes ukrainiens. Tel, Vladimir Jirinovski, qui s’insurgea violemment  à la Douma (chambre basse de l’Assemblée fédérale) en dénonçant cette visite « impardonnable » du pape dans un pays orthodoxe, alors qu'il savait très bien qu'elle allait chagriner notre patriarche. (sic)

En fait, en filigrane de ces querelles religieuses, pointait un enjeu politique majeur : à l'Ouest de l'Ukraine les catholiques, penchaient pour un rapprochement avec l'Europe alors que les Russes assimilaient Jean Paul II à un cheval de Troie dépêché par l'Occident pour affaiblir l'influence russe en Ukraine. Les dessous de l’Histoire sont ainsi.

UN PEU D’HISTOIRE

Pour rappel, l'Église d'Orient resta toujours très influencée par la philosophie et la littérature grecques, ce qui facilita la conversion massive des peuples slaves au christianisme byzantin orthodoxe. Un détail qui a cependant son importance : la langue utilisée dans la liturgie ne fut pas le grec, mais le slavon appelé, selon le cas, «slavon d'Église» ou «slavon russe», l'une des deux langues liturgiques slaves de l'orthodoxie, nées avec la christianisation de l'État kiévien et d’ailleurs encore en usage dans certaines églises russes, biélorusses et ukrainiennes.

Historiquement, le slavon était à l'origine une langue écrite commune aux Slaves orthodoxes, et adaptée à l'oral au IXe siècle pour l'évangélisation des Slaves par les deux apôtres slaves grecs, Cyrille et Méthode, sur la base de la langue slave qu'ils connaissaient : le parler slave de Macédoine de la région de Salonique, c'est-à-dire du vieux bulgaro-macédonien.

La ville de Kiev constituera le centre d’intérêt de l'État kiévien durant deux siècles.

Sous le règne de Vladimir le Grand (980-1015) commença la christianisation de la principauté, qui contribua à unifier le royaume autour de la nouvelle identité que lui donnait le christianisme byzantin. Puis, après le schisme de 1054 qui consacrait la séparation de l'Église catholique d'Occident et de l'Église orthodoxe d’Orient, l'État kiévien russe conservera sa fidélité au rite byzantin et à l'Église d'Orient. 

Vladimir le Grand : unifier le royaume.

Enfin, si la Révolution Orange de 2004 illustra un soulèvement populaire de tous les espoirs, les affrontements de l’automne 2013 correspondraient plutôt à une révolte des illusions perdues. 

L'Ukraine était cataloguée comme l'un des pays les plus corrompus de la planète. Le système judiciaire s'en remettait totalement à l'arbitraire, tandis que l'État de droit paraissait quasiment inexistant.

Pour beaucoup d'Ukrainiens, l'Europe représentait une sorte de «normalité», celle des relations entre l'État et ses citoyens, des règles du jeu politique claires et transparentes, d'un État de droit, d'une justice qui fonctionne. D'un point de vue identitaire, la plupart des Ukrainiens, ceux de l'Ouest notamment, se considéraient comme des Européens. Or, l'Ukraine se trouvait fort dépendante de la Russie au plan économique car le pays avait expressément besoin de son « voisin » pour ses approvisionnements en ressources naturelles ;  en particulier le gaz, que Moscou lui offrait à tarif réduit. Ceci expliquant cela.

En clair, pendant que l'Union européenne proposait son aide à la condition que l'Ukraine procède à d'importantes réformes, la Russie offrait une aide sans condition. 

Il n’y avait manifestement pas photo !

CONCESSIONS

En décembre 2019, les présidents Zelensky et Poutine se rencontrèrent à Paris dans le but de trouver au conflit une solution politique au prétexte, notamment, que, pendant que Moscou réclamait l'application des accords de Minsk, Kiev redoutait de faire trop de concessions face à Vladimir Poutine.

Poutine- Zelensky : mission impossible ?

En effet, le président ukrainien élu devait faire face à une opinion publique extrêmement sensible sur la question du statut du Donbass. Ce qui limitait grandement sa marge de manœuvre. De plus, il avait perdu un allié sûr à Washington. Kiev se trouvait donc le dos au mur.

Par ailleurs, les points de désaccord entre la Russie et l'Ukraine concernant la guerre dans l'Est séparatiste et l'annexion de la péninsule ukrainienne de Crimée en 2014 étaient trop intenses pour espérer un rapprochement entre les deux pays :

D’une part, Kiev entendant préserver l’intégrité territoriale de l’Ukraine, appelant Donetsk et Louhansk à «rentrer au bercail»; d’autre part, le Parlement ukrainien soutenant mordicus un projet de loi propre à provoquer le rejet du Donbass par l’Ukraine.

Une politique manifestement incohérente

En ce cas et selon certains analystes, le président Zelensky avait peut-être tout intérêt à considérer et surtout à admettre que son pays est multi-ethnique et compte des minorités linguistiques importantes, dont la plus importante en nombre est, bien sûr, la russophone.

Il doit aussi se rappeler que l'abolition de la Loi ukrainienne sur la politique linguistique de l'État mis, en 2014,  le feu aux poudres en Crimée et dans le Donbass parce que la Rada (le Parlement) avait retiré au russe son statut de «langue régionale». Quasi inextricable.

Enfin, en ce qui concerne, en 2019, la Loi sur la langue, la déclaration diffusée par l’équipe Zelensky laissait entendre que le président envisageait de procéder à une «analyse approfondie» du texte de loi.

Dans un communiqué, Zelensky promettant de bien vérifier que la loi ne violât pas les droits des minorités. De toute façon et quoiqu’il en soit, cette loi place le président Zelensky entre le marteau et l’enclume.

Conséquence : s’il s’y oppose, il perdra l’électorat ukraine-ophone de l’ouest de l’Ukraine ; en revanche, mais s’il la soutient, ou ne se prononce pas, il perdra l’électorat russophone de l’est du pays. Manifestement kafkaïen !

Or, l'accession à la présidence ukrainienne de Volodymyr Zelensky, qui s'exprime le plus souvent …  en russe, était considérée comme une menace à l'ukrainisation lancée par l'ex-président Petro Porochenko, le magnat du chocolat.

On se perd en conjectures.

UNE NOUVELLE ÉRE

Au premier degré, et sans trop verser dans une sorte de dolorisme ambiant, sympathique retour du destin, après que Zelensky eut joué dans une série télévisée le rôle d’un professeur d’histoire élu… président - dont l’image de simplicité et de droiture sera versée à son crédit -  le futur s’annonce moins idyllique pour le nouveau président, le conflit du Donbass constituant le premier problème à régler.

Finalement, les Ukrainiens ont préféré, en élisant un parfait inconnu, faire un saut dans le vide plutôt que de poursuivre leur route avec une classe politique disqualifiée par des années de prévarication et de corruption. Ainsi va encore l’Histoire.

Il n’empêche que le 22 avril 2019, l’Ukraine est donc entrée dans une nouvelle ère après la victoire du comédien Volodymyr Zelensky à la présidentielle d’un pays épuisé par la corruption, les difficultés économiques et une guerre meurtrière.

Faisant fi des doutes sur sa capacité à gouverner, sans expérience politique et des critiques sur le flou de son programme, l’acteur et humoriste seulement âgé de 41 ans sera toutefois élu avec 73,2 % des voix contre 24,5 % pour le président sortant, le magnat du chocolat, Petro Porochenko.

Petro Polochenko le roi du chocolat après son "plouf" électoral ... en somme, "chocolat" comme il est dit dans la langue châtiée inspirée de celle des faubourgs parisiens en 1900 !

Pour ce dernier, une défaite pour le moins cuisante.

Le 24 février 2022, l'armée russe commençait à pénétrer en Ukraine. Une invasion considérée comme la plus importante sur le continent européen depuis la Seconde Guerre mondiale. L’objectif avoué du président russe :

« Arriver à «une démilitarisation et à une dénazification de l’Ukraine».

A chacun d’apprécier.

En tout cas et à tous égards, une guerre sanglante d’un bout à l’autre de l’Ukraine avec des centaines de milliers de victimes et des millions de réfugiés à la clé et ce triste constat de Jean-Paul Sartre :

« Quand les riches se font la guerre ce sont les pauvres qui meurent »

Concrètement, Vladimir Poutine, semble poursuivre quatre grands objectifs : reconstituer la grandeur historique de la Russie; affaiblir la seule grande puissance qui puisse lui faire obstacle en l’occurrence les États-Unis ;  semer la division dans l’Alliance atlantique (OTAN)
et annexer l'Ukraine. 

DÉCRYPTAGE

« Bien évidemment, l'invasion en Ukraine s’inscrit bien dans le premier objectif, mais les réactions immédiates aux États-Unis semblent montrer jusqu'ici qu’elle sert aussi assez bien le second. Quant au troisième, l’avenir le dira, mais pour le moment ce n'est pas le cas, bien au contraire. Pour ce qui est de l'annexion de l'Ukraine, si on fait allusion à une annexion strictement politique, c'est une possibilité. S'il s'agit d'une annexion à la fois socioculturelle dans laquelle les Ukrainiens y seraient partie prenante, ce serait un échec, car le ressac ukrainien y ferait obstacle. Une guerre d'annexion, comme c'est le cas ici, n'entraîne jamais l'adhésion de la population qui la subit, sauf pour les individus qui pourraient être complices des envahisseurs afin d'en tirer avantage. » explique un géopoliticien.

Le tsar Nicolas II aurait, dit-on, prononcé cette phrase :

«Il n’y a pas de langue ukrainienne, juste des paysans analphabètes parlant peu le russe.»

Nicolas II : la distinction entre une langue et un dialecte.

Plus objectivement, l'affirmation signifie que l'ukrainien ne soit pas une langue mais un leitmotiv de la relation russo-ukrainienne durant des siècles. Car, sémantiquement parlant,  la distinction entre une langue et un dialecte est notoirement aléatoire et relève davantage de l'idéologie ou de la politique que du vocabulaire lui-même. Fin de citation.

Louis-Hubert Lyautey : le résident. Un exemple.

Le maréchal Lyautey, affectueusement et légitimement surnommé « le marocain » qui contribua grandement et avec succès à l'expansion coloniale de la France, au Maroc notamment  – une doctrine qui, selon, n’est pas systématiquement à vouer aux gémonies -  estimait quant à lui :  

«Une langue, c'est un dialecte qui possède une armée, une marine et une aviation.»

A ce titre, les langues seraient ainsi des dialectes qui ont «réussi». Dont acte.

Dans ce contexte singulier, l’Ukraine adhérera en 1995 au Conseil de l’Europe.

Néanmoins – et c’est là que l’affaire ne manque pas de sel si l’on peut dire - cette politique linguistique pro-ukrainienne sera un demi-succès car les Ukrainiens continueront de raffoler des films russes, des télé-séries russes et des vedettes russes. On constata même que dans certaines régions du Sud-Est, il était quasiment impossible d'entendre parler l’ukrainien. 

Fait anecdotique :

Lors de la visite du pape Jean-Paul II en Ukraine en 2001, évoquée précédemment,  des Ukrainiens allèrent jusqu’à affirmer que le pape polonais parlait mieux l’ukrainien que leur président ukrainien russophone de l’époque. Il faut préciser que Jean-Paul II, qui n’était pas tombé de la dernière pluie, avait auparavant et soigneusement révisé ses connaissances en la matière.

 AU NOM DE LA RAISON

Il n'y aura finalement pas de changements ni de projets significatifs au sujet de la situation linguistique. Le président russophone de l’époque souhaitant conserver de bonnes relations économiques avec la Russie en bénéficiant du rapprochement avec l’Occident.

Au bout du compte et selon certains, il faudrait faire en sorte que la langue ukrainienne ne soit pas privée de ses prérogatives de langue officielle et que les russophones se sentent des citoyens ukrainiens à part entière.

On peut encore rêver au nom de la raison … et surtout de la paix.

Pour d’autres – je rapporte simplement les propos -  l'invasion de l'Ukraine par la  Russie va changer la donne en matière de politiques linguistique. Ah, bon !

Et d’estimer qu’alors on pourrait voir une Ukraine re-bilinguisée assurant ainsi la prédominance du russe avec la complicité de certains russophones et même d'ukraino-phones favorisés par le nouveau pouvoir russophile.  Ils estiment encore qu’on n'interdira pas l'ukrainien mais qu’on le reléguera à des rôles secondaires. Comme avant donc !

Pire, comme sous l’Empire russe et comme sous l’Union soviétique !Tout cela parce que le suprématisme russe apparaît comme inconciliable avec le statut de minoritaire chez les russophones disséminés dans les anciennes républiques socialistes soviétiques devenues des pays indépendants. 

L'humiliation d'être ainsi relégué à un si bas niveau est-il vraiment inacceptable pour un Russe «ethnique» ?

Cela reste encore à voir mais l’analyse laisse un peu pantois.

Jean Jaurès : l'invincible espoir ...

Et invite à méditer cette pensée de Jean Jaurès :

« L’histoire enseigne aux hommes la difficulté des grandes tâches et la lenteur des accomplissements, mais elle justifie l’invincible espoir. »

Bernard VADON