L’ÉGLISE EN CRISE ET SI ON RETROUVAIT L’ESPRIT DE VATICAN II ? En reprenant quelques questions essentielles et de fond laissées en suspens.

Publié le 2 Novembre 2021

"Malheur au pays dont le roi est un enfant et dont les princes ont mangé dès le matin"  - verset de l'Écclésiaste dont Henry de Montherlant s'inspira pour l'écriture remarquable dans le style d'une pièce de théâtre : "La ville dont le prince est un enfant" . L'oeuvre fut ébauchée en 1912 et publiée en 1951 avant sa version définitive en 1967. Une pièce remarquable dans laquelle Montherlant raconte sa propre adolescence et confiera que l'un des personnages prénommé Serge fut le seul être qu'il aima réellement dans sa vie.  Jean Meyer et Pierre Boutron, Didier Haudepin, Paul Guers et plus récemment Christophe Malavoy, Claude Giraud, Guillaume Canet, Aurélien Wiiik notamment ont été à l'affiche de cette oeuvre en qualité de comédiens et  de metteurs en scène 

AU LARGE AVEC SAINT IGNACE 

Éminent disciple de la Compagnie de Jésus  - fondée par Saint Ignace de Loyola autrement connue au travers de l’ordre jésuite et comprenant dans ses rangs un certain pape François – Pierre de Charentenay était récemment l’invité du « Jour du Seigneur » dans le cadre du rassemblement de la famille ignacienne, à Marseille, sur le thème évocateur de : « Au large avec Ignace ».

Tout un programme sur le thème de la culture de la rencontre avec pour objectif une fraternité universelle :

« Ce qui est bon c’est de créer des processus de rencontre, des processus qui bâtissent un peuple capable d’accueillir les différences. Outillons nos enfants des armes du dialogue. Enseignons- leur le bon combat de la rencontre ! » pour s’inspirer de la feuille de route du pape.

Pour avoir, durant toute sa mission de prêtre, évolué au sein de l’Église mais aussi dans les milieux politiques notamment à Bruxelles, aux États-Unis ainsi qu’en différents pays dont les Philippines et en Amérique du Sud sans oublier le monde universitaires , le Père Pierre de Charentenay, au fil de ses voyages et de ses rencontres, s’est particulièrement intéressé à tout ce qui touche à la laïcité et aux relations interreligieuses dont celles entre chrétiens et musulmans. 

Pierre de Charentenay : Une solidarité de proximité ...

En sa qualité de membre de l’Institut catholique de la Méditerranée à Marseille, il est donc parfaitement bien placé pour faire partager cette solidarité de proximité, complément indispensable de l’action publique et cela, entre autres objectifs du moment dont cette affirmation surprenante mais forte (qui d’ailleurs a été le sujet de l’un de ses nombreux livres) :

La démocratie, ennemie de la démocratie !

GAUDIUM ET SPES

Problème systémique, la pédophilie (dont il traite dans un ouvrage récent intitulé Tolérance Zéro ) est à l’origine d’un scandale qui secoue fortement l’Église via l’explosif et quelque part salvateur rapport Sauvé.

Demain sera manifestement un autre jour. Peu en doutent.

Mais pour Pierre de Charentenay, la sortie de crise pourrait aussi se faire en retrouvant, pourquoi pas,  l’esprit de Vatican II même si certaines et solides positions conservatrices de Rome ont porté à conclure toutes proportions gardées à l’échec de ce concile.

Un événement qui a pourtant changé de façon importante la vie de l’Église. Car, jamais, avant Vatican II, on aurait pu seulement imaginer le paragraphe introductif de « Gaudium et Spes », la Constitution pastorale sur l’Église dans le monde d’alors :

« Les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ, et il n’est vraiment humain qui ne se trouve écho dans leur cœur. […] La communauté des chrétiens se reconnaît donc réellement et intimement solidaire du genre humain et de son histoire. »

Une reconnaissance qui figure dans l’héritage le plus novateur de ce concile.

UNE ÉGLISE RENOUVELÉE

Historiquement c’est au mois de janvier 1959 que Jean XXIII – surnommé le bon pape - fit part à quelques cardinaux de son intention de convoquer un "concile œcuménique" quatre-vingt-douze ans après Vatican I.

Il fallait oser mais l’ouverture d’esprit quasi légendaire du 261e pape dd l’Église catholique – Giuseppe Roncali –béatifié par Saint Jean-Paul II et canonisé par le pape François justifiait sa réputation de « pape réformateur ».

Jean XXIII : 261e pape "réformateur" de l'Église catholique.  

La convocation officielle de ce concile aura lieu le 25 décembre 1961, et se déroulera sur trois ans et en quatre sessions de trois à quatre mois.

La première session se tiendra le 11 octobre 1962, en présence de 2 400 évêques venus de 136 pays.

Deux mois après la publication de son encyclique « Pacem in Terris » Saint Jean XXIII s’éteint.

Son successeur élu Paul VI, le premier pape à franchir les frontières de l’État du Vatican pour prêcher au monde la Parole de Dieu, reprend le flambeau.

Le 21e concile de l'histoire de l'Église s'achèvera le 8 décembre 1965.

Pendant quatre automnes consécutifs, quelque 2400 évêques venus du monde entier y participèrent et l’Église catholique s’en trouvera, non sans difficulté, profondément renouvelée et rajeunie.

L'OEUCUMENISME EN QUESTION

Parmi les documents clés, quatre « constitutions » sur la liturgie, la constitution de l’Église, l’Église dans le monde de ce temps et la Révélation, c’est-à-dire sur les sources de la foi des chrétiens. Les décrets ou déclarations sur l’œcuménisme, les religions non chrétiennes et la liberté religieuse après des débats souvent houleux, furent adoptés à la quasi-unanimité.

De la "Constitution" « Sacrosanctum concilium » relative à la liturgie et notamment consacré à la rénovation et à la simplification des rites pour une plus grande participation des fidèles à la liturgie, grâce notamment à la célébration en langues vernaculaires et à l'abandon presque général du latin à la Constitution « Lumen Gentium »  - Lumière des nations -  un texte dogmatique mettant en exergue l'égalité entre les membres du peuple de Dieu – où chacun est " appelé à la sainteté " – et sur le rôle des évêques et des laïcs. L'Église catholique reconnaissant des éléments de vérité en d’autres obédiences chrétiennes.

En passant par la quatrième session caractéristique par la publication « Nostra aetate » traitant des relations avec des religions non chrétiennes mais aussi de la liberté religieuse (« Dignitatis humanae ») et du rapport théologique de l’Église au judaïsme dont l’enseignement de l’Église sur les juifs.

  Comme l'expliquait alors l'historien Philippe Chenaux :

"On passe d'une théologie de la substitution - l'Église se substitue à Israël qui est reprouvé par Dieu - à la théologie de la filiation ".

Alors qu’à l’origine il n’était question que des rapports de l'Église catholique avec le judaïsme, le texte sera élargi à l'islam.

Le texte sur la liberté religieuse marque également une rupture dans l'histoire de l'Église catholique. En effet, cette approche suppose que personne ne doit être empêché ou contraint de pratiquer une religion.

L'Église catholique met aujourd'hui en avant cette notion dans ses rapports avec l'islam pour appeler celui-ci à la réciprocité dans l'application de ce principe. Une décision vivement stigmatisée par la mouvance intégriste de l'Église catholique hantée par le relativisme et opposée à l’idée répandue que " toutes les religions se valent " au risque d’être dépossédée de cette « vérité » dont elle se réclame.

Le texte « Dei verbum » porte sur la révélation divine, la manière dont les fidèles doivent se saisir des écritures saintes et l'interprétation que peuvent en faire les exégètes et les théologiens en prenant en compte l'approche historico-critique. Un texte qui confirme le caractère historique des Évangiles. 
Enfin, la constitution pastorale  « Gaudium et spe » traite de l’Église dans le monde … sans être du monde. Elle considère que tous les hommes doués d’une âme raisonnable et créés à l’image de Dieu ont même nature et même origine. Une intime solidarité avec la condition humaine s’en dégage dont les questions éthiques sur les thèmes de la guerre et de la dignité de la personne humaine.

En dépit d'âpres débats, la plupart des textes ont été adoptés à la quasi-unanimité.

Aggiornamento : mettre à jour l’Église, ouvrir la fenêtre, sortir d’une tradition probablement empoussiérée. Il fallait dépoussiérer.

Jean XXIII était convaincu que l’Église et le monde moderne devaient mieux se comprendre à l’exemple du pape François lui aussi proche des petits, Jean XXIII ressentait leur aspiration à une Église plus humble, plus pauvre, plus accueillante. Il voulait inviter les Églises séparées à revenir à l’unité avec Rome.

Notre 266e souverain pontife est fortement imprégné de cette éthique énoncée par Jésus prononçant le fameux sermon sur la montagne marqué en préambule par ces magnifiques et émouvantes Béatitudes.

« Vous êtes le sel de la terre. Vous êtes la lumière du monde. »

Des pratiques religieuses aux relations humaines en passant par les biens matériels, la feuille de route est sans ambiguïté.

Même si l’Église d’aujourd’hui vit une réalité bien difficile, confrontée à un monde aride, laïque, individualiste et pluraliste.

Messeigneurs et autres Éminences souvenez-vous de votre engagement et de la recommandation énigmatique mais prometteuse de votre Maître :

 « Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruits. » 

 Retour au présent :

Ouvrir les fenêtres afin que les gens de l’extérieur voient ce que nous sommes et que nous, nous voyions ce qui se passe dans le monde, tel était le souhait du 261e pape repris par son actuel successeur, mais pas forcément celui d’une curie romaine, ministère « suprême » , omnipotent et enclin à pratiquer l’omerta. Obstinément. Un  gouvernement central de l’Église dominé par le Saint-Office investi de la mission de préserver l’orthodoxie.

L’Église le paye aujourd’hui et chèrement.

Et maintenant me direz-vous que va-t-il advenir de l’institution bafouée dans ses entrailles et blessée dans son cœur ?

A LOURDES, L'ATTENTE D'UN SIGNE ? 

Traditionnellement et chaque automne, l’Assemblée plénière des évêques fait suite aux célébrations de la fête de la Toussaint.

Le décor : presque aussi traditionnellement,  celui de la cité mariale de Lourdes. Rien que de plus habituel dans le fonctionnement de l’Église sinon que ce rassemblement épiscopal revêt en cette année 2021 un caractère pour le moins particulier après a publication de la Commission Sauvé relative aux abus sexuels dans l’Église et singulièrement la pédocriminalité et les révélations de la commission ad hoc qui n’a pas manqué de semer le trouble dans les rangs du « Peuple de Dieu ».

En ouverture les évêques participants ont été invités à un temps de méditation devant la Grotte des Apparitions.

Le sanctuaire de Lourdes : sous la basilique du Rosaire et celle de l'Immaculée Conception, l'espoir d'un signe ?

Dans l’espoir d’un « signe » ?

En tout cas, les débats à huit clos ne manqueront pas d’être animés avant le vote des résolutions, lundi 8 novembre, lors de la cérémonie de clôture de cette assemblée.

Un temps d’exception qui ne manque pas de déchaîner certaines passions pas forcément bien intentionnées. Tel cet historien des religions qui donne dans la confusion la plus totale en affirmant notamment ( je  le cite) :    
« Qu’il il y a bien une corrélation entre homosexualité et pédophilie dans l’Église ».
Pour en remettre une couche au cas où nous n’aurions pas très bien imprimé ce propos hallucinant :

« il y aurait une corrélation entre la prévalence du recrutement homosexuel dans le clergé, et la surreprésentation des rapports de même sexe parmi les abus recensés. Ce qui n’établit pas forcément un lien de causalité directe. »

Encore heureux !

Le doute est pourtant semé dans certains esprits : mon épicière au demeurant sympathique allant jusqu’à suggérer de gratter l’or des statues du Vatican pour indemniser les victimes . Du n’importe quoi.

Fort heureusement et hormis le fait acquis, toujours selon le rapport Sauvé,  que « la massivité du phénomène des abus sexuels sur mineurs dans la société, sa prévalence dans l’Église et le fait que, dans cette dernière, 80 % des victimes sont des garçons, souvent âgés de 10 à 13 ans .» (sic)

Au-delà de ces considérations sinon ce constat affligeant des gens également sérieux ont repris la balle au bond quant à certaines affirmations parfois infamantes, tendancieuses et indignes, allant jusqu’à considérer à juste raison que  :

« La pédocriminalité du clergé n’est pas plus spécifiquement homosexuelle que celle du père de famille violant ses filles n’est hétérosexuelle : le principal facteur étant celui de l’opportunité qui se présente, et de la facilité à agir. »

Ce qui, soyons clair, n’enlève rien à la gravité des faits.

Il n’empêche, de manière plus globale, que si la disproportion, par rapport à la part probable additionnée de l’homosexualité et de la bisexualité dans la société, est évidente rien ne permet à priori d’affirmer, haut et fort, qu’il y aurait forcément un lien de causalité directe.

QUOI QU'IL EN COÛTE 

Saint-Augustin nous donne une clé sinon un sésame qui n’exclue pas la légitime réparation :

« Se tromper est humain, persister dans son erreur est diabolique. »

Saint Augustin : "La foi précède, l'intelligence suit !"

Nous y sommes, malheureusement et dans « La Cité de Dieu » c’est encore l’évêque d’Hippone qui vient à la rescousse :

« Aime et fais ce que tu veux. Si tu te tais, tais-toi par amour ; si tu parles, parle par amour ; si tu corriges corrige par amour ; si tu pardonnes, pardonne par amour. »

Et Dieu sait s’il en faudra pour franchir après la tempêtait quelle tempête, le cap de bonne espérance !

Et cela, quoi qu’il en coûte pour reprendre une expression à la mode !

« Crois et tu comprendras. La foi précède, l’intelligence suit. » dit encore Saint-Augustin.

Bernard Vadon