MES COUPS COEUR A Varsovie, l’art pianistique sud-américain dans tous ses états.

Publié le 19 Octobre 2021

Dans l’ombre du poète-musicien brésilien Mario de Andrade, la pianiste argentine Martha Argerich et le pianiste brésilien Nelson Freire :  le temps du prestigieux concours international Frédéric Chopin à Varsovie où ces deux grands interprètes ont dû céder le clavier au pianiste brésilien Arthur Moreira-Lima. Mythique Amérique du Sud !

En Amérique du Sud, de Säo Paulo à Rio de Janeiro et Belem mais aussi de Buesno Aires à Santiago, Caracas et Lima notamment, la fibre artistique et musicale s’est développée de la manière la plus exponentielle qui soit.

Martha Argerich pianiste argentine naturalisée suisse : une personnalité affirmée et charismatique qui a en quelque sorte "modernisé" le répertoire classique. 

Aujourd’hui, la pianiste argentine Martha Argerich et son brillant complice brésilien, Nelson Freire, en sont des exemples particulièrement prisés par les mélomanes. Singulièrement et traditionnellement  habitués fidèles de la Roque d’Anthéron dans le parc du château de Floran, en France.

On pourrait aussi évoquer l’argentin Bruno Leonardo Gelber – que j’ai bien connu – remarquable dans le répertoire beethovénien mais aussi schubertien sans oublier Brahms et Rachmaninov (je vous recommande le concerto N°3 op 30 qu’il joue de manière magistrale et époustouflante).

Réputé solitaire et discret Nelson Freire est un des grands pianistes brésiliens de de la moitié du XXème siècle. Son répertoire est vaste avec cependant quelques préférences dont J.S  Bach,  Brahms et Chopin mais aussi Debussy avec notamment Les Préludes. A écouter sans modération !

Tout récemment, pressentis pour être  membres du jury de la 18édition du prestigieux concours international de piano Frédéric Chopin à Varsovie dont les épreuves finales se déroulent actuellement et jusqu’au 23 octobre prochain, Martha Argerich et l’exceptionnel Nelson Freire – souffrant – ont dû à grand regret jeter l’éponge. La première par solidarité avec son ami que ce dernier qualifie joliment « d’âme sœur ».

Chapeau Martha !

Arthur Moreira-Lima remporta en 1965 le deuxième prix du concours international Chopin juste derrière une certaine Martha Argerich.

C’est donc Arthur Moreira-Lima, un autre prestigieux pianiste lui aussi brésilien qui les a remplacés. Au pied levé, si l'on peut dire.

PAULICÉIA DESVAIRADA

Le prétexte d’un coup de projecteur sur un continent d’exception où la forêt amazonienne représente 60% de la forêt primaire sur la planète ;  l’un des atouts clés sinon l’un des points de bascule, dont la modification substantielle pourrait affecter le système environnemental planétaire et favoriser un changement climatique aussi dramatique qu’irrémédiable. En cause immédiate, une déforestation en règle réduisant la capacité de l’une des plus grandes forêts tropicales sur la planète et remarquable par sa biodiversité et sa spécificité à agir tel un puit de carbone.

Mario de Andrade : on pourrait lui dédier cette belle réflexion Marcel Proust "La musique est peut-être l'exemple unique de ce qu'aurait pu être - s'il n'y avait pas eu l'invention du langage, la formation des mots, l'analyse des idées - la communication des âmes."

Sans passer du coq à l’âne, simple retour sur l’autre planète musicale celle-là avec la naissance, à Säo Polo, en 1893, de Mario de Andrade, un prodige du piano et brillant étudiant du conservatoire de musique et de théâtre de São Paulo où sa passion pour la musique sera totale.

Parallèlement, Mario de Andrade avait aussi une maîtrise solide du français et lisait dans le texte Arthur Rimbaud ainsi que les principaux symbolistes de l’époque.

Cependant,  la musique était sa raison d’être bien qu’il ait été contraint de renoncer à une carrière de pianiste professionnel à laquelle il aspirait pourtant après l’avoir, avec bonheur découvert au fil des grands mouvements intellectuels et artistiques brésiliens.

Mario de Andrade était aussi et surtout un nostalgique invétéré :

« Les objets, les dessins, les photographies qui ont marqué un point de mon existence passée détiennent à mes yeux un immense pouvoir de restitution de la vie. Quand je les vois, cela ne déclenche pas seulement un souvenir : je revis, avec les mêmes sensations et dans le même état d'esprit, le jour que j'ai déjà vécu… »

Il fut l'un des fondateurs du modernisme brésilien et considéré comme le père de la poésie brésilienne moderne avec la publication, en 1922, de son recueil Paulicéia Desvairada (littéralement « São Paulo inexplorée », traduit par Hallucinated City en anglais, « cité hallucinée ».

Son influence fut alors considérable sur la littérature brésilienne moderne et, par ses publications académiques et ses essais (il était un pionnier du domaine de l'ethnomusicologie il rayonnera bien au-delà du Brésil

Claude Lévi-Strauss : novateur distingué dans le monde de l'ethnologie et de l'anthropologie.

Paulicéia Desvairada,  est une œuvre qui fera de lui l'un des fondateurs du modernisme brésilien. Influenceur majeur de la littérature brésilienne des xxe et xxie siècles il fut aussi essayiste et chercheur, pionnier dans le domaine de l'ethnomusicologie.

La philosophe et ethnologue Dina Dreyfus contribua avec Claude Lévi-Strauss et Mario de Andrade à la naissance de la première société d'ethnologie brésilienne.

Avec Dina Dreyfus – épouse de Claude Levi-Strauss -  il donnera naissance à la première société d'ethnologie du Brésil et c’est grâce à son influence que Dina, philosophe et ethnologue, ainsi que son époux,   Claude Lévi-Strauss, maître en sciences humaines et sociales, novateur distingué dans le monde de l’ethnologie et de l’anthropologie, obtinrent la permission d'entreprendre des missions de recherche au Brésil.

CONSIDERABLE INFLUENCE

Poèteromanciermusicologuephotographe et critique d'art brésilien,  Mario de Andrade fut l’instigateur de la semaine d’art moderne (dite aussi « Semaine 22 » par rapport au millésime 1922) un événement qui façonna en quelque sorte le nouveau visage de la littérature et des arts visuels au Brésil.

Après avoir travaillé comme professeur de musique tout en rédigeant des éditoriaux, il publiera, en 1928, « Macunaïra », un roman éponyme dans lequel on peut déceler certains aspects de sa vie et à partir duquel sera réalisé un film brésilien signé Joaquim Pedro de Andrade.

Ainsi, on pressent que Andrade était un mulâtre et que ses parents propriétaires terriens n’étaient pas pour autant membres de la pseudo-aristocratie portugaise du Brésil.

Certains critiques ont d’ailleurs établi un parallèle entre les origines ethniques et familiales de Mario de Andrade et souligné les facultés de son héros « Macunaïma »  à évoluer d’un milieu à un autre. De là à établir des parallèle entre l’auteur et son personnage l’évidence s’impose.

Jusqu’au corps de Macunaíma lui-même composite. Sa peau est décrite comme plus sombre que celle des autres hommes de sa tribu et, dans un passage du roman, il se découvre un corps d'adulte et une tête d'enfant.

REFERENCE FONDATRICE

Les travaux d'Andrade sur la musique folk brésilienne, la poésie, et bien d’autres sujets, se succéderont irrégulièrement, souvent interrompus par ses relations instables avec le gouvernement brésilien.

A la fin de sa vie, Mario de Andrade deviendra  directeur-fondateur du Département de la Culture de São Paulo, attestant par là d’un rôle qu'il avait longtemps tenu en qualité de catalyseur de l'entrée de la ville et du pays dans la modernité artistique.

A l’image de son héros brésilien Macunaïma, Mario de Andrade est en fait un voyageur, qui s’estime être nulle part chez lui.

Une formule qu’il m’est arrivé de reprendre tant elle est un état commun à chacun d’entre nous. Parfois de manière insoupçonnée.

Comme le note dans son analyse Mario Carelli – universitaire et chercheur italo-franco-brésilien ayant largement contribué au développement, en France comme au Brésil, des études portant sur l’identité et la culture brésiliennes :

« L'écrivain brésilien Mário de Andrade a été l'artisan d'une ample réinterprétation de la culture de son pays, culture qu'il a contribué à renouveler en profondeur. Poète, romancier, musicologue, folkloriste, critique d'art, épistolier, collectionneur, il est devenu non seulement la conscience d'une génération clef, celle des modernistes, mais aussi une référence fondatrice pour les générations suivantes. »

En 1917, inspirée par la Grande Guerre, paraîtra une plaquette dans le goût parnassien dont le titre dit assez la visée symboliste  

"Ha uma gota de sangue em cada poema" (Il y a une goutte de sang dans chaque poème) . Et cela, avant la parution de poèmes « futuristes » qui provoqueront un tôlé en 1922, quelque temps avant la Semaine d'art moderne.

En permanence en quête de « brésilianité »,  Mário de Andrade est l'un des animateurs de ces manifestations fracassantes qui, un siècle après l'indépendance politique du pays, scelleront la rupture avec sa dépendance culturelle à l'égard des modèles européens.

Selon Mario Carelli :

« Losango cáqui (1926) et Cl a do Jabuti (1927) se situent dans une même lignée de renouvellement poétique, simultanéiste et elliptique, dont l'écrivain avait élaboré la théorie dans A Escrava que n ao é Isaura (1925).  Progressivement, Mário de Andrade prend ses distances par rapport à l'agressivité des moyens esthétiques mis en œuvre durant la phase polémique du modernisme. L'intériorisation change le ton et assagit la métrique de Remate de males (1930). La révolution que l'écrivain est en train d'opérer s'avère autrement plus existentielle qu'auparavant : il s'identifie aux éléments propres aux terroirs et au peuple du Brésil, à la magie de ses fleuves et de ses forêts édéniques et à l'indolence. »

SINGULIERE EPITAPHE

la publication en 1955 (un an après la mort de Vargas) de ses Poesias Completas (Poésies Complètes), fut le signal de départ de la « canonisation » d'Andrade parmi les héros de la culture brésilienne.

Son ultime projet sera un long poème intitulé Meditação Sôbre o Tietê en français « Méditation sur le Tietê ».  du nom d’un fleuve brésilien. Un texte épique et d’amour qui compare le Tietê au Tage et à la Seine, et São Paulo à Lisbonne et Paris. Une manière d’affirmation de sa présence sur la scène internationale.

Prend-il alors réellement conscience de sa (et partant de notre) fragilité, de ses (et de nos)  limites de ses (et de nos ) espoirs déçus, de ces projets avortés sur l’autel d’un raisonnement existentiel parfois abusé mais vers lequel par une sorte d’étrange inconscient ?.

Méditation sur le Rio Tiété, rivière brésilienne de l'État de Säo Paulo qui prend naissance dans la Serra do Mar. Mythique.

On se sent en tout cas insensiblement et mystérieusement concerné en lisant ce poème rédigé en forme de singulière épitaphe et qui n’a d’ailleurs jamais cessé de m’interroger :

« J'ai compté mes années et j´ai découvert que j'ai moins de temps à vivre à partir de maintenant, que ce que j'ai vécu jusqu'à présent ...

Je me sens comme ce petit garçon qui a gagné un paquet de friandises : la première il la mangea avec plaisir, mais quand il s'aperçut qu'il lui en restait peu,

il commença réellement à les savourer profondément.

Je n'ai plus de temps pour des réunions sans fin où nous discutons de lois, des règles, des procédures et des règlements, en sachant que cela

n´aboutira à rien.

Je n'ai plus de temps pour supporter des gens stupides qui, malgré leur âge chronologique n'ont pas grandi.

Je n'ai plus de temps pour faire face à la médiocrité.

Je ne veux plus être dans des réunions où défilent des egos “agrandis”.

Je ne tolère plus les manipulateurs et opportunistes.

Je suis mal à l´aise avec les jaloux, qui cherchent à nuire aux plus capables, d'usurper leurs places, leurs talents et leurs réalisations.

Je déteste, si je suis témoin, des défauts qu´engendre la lutte pour un travail de haute position.

Les gens ne discutent pas du contenu, seulement les titres.

Mon temps est court pour discuter les titres.

Je veux l'essentiel, mon âme est dans l'urgence ...

sans beaucoup de friandises dans le paquet ...

Je veux vivre à côté de gens humains, très humains.

qui savent rire de leurs erreurs.

qui ne se gonflent pas de leurs triomphes.

qui ne se sentent pas élu avant l'heure.

qui ne fuient pas leurs responsabilités.

qui défendent la dignité humaine.

et qui veulent marcher à côté de la vérité et l'honnêteté.

L'essentiel est ce que tu fais pour que la vie en vaille la peine.

Je veux m´entourer de gens qui peuvent toucher le cœur des personnes des gens à qui les coups durs de la vie leur ont appris à grandir avec des touches douces dans leurs âmes.

Oui, je suis pressé de vivre avec l'intensité que la maturité peut m´apporter.

J’ai l'intention de ne pas perdre une seule partie des friandises qu´il me reste.

Je suis sûr, qu’elles seront plus exquises que celles que j´ai mangées jusqu’à présent.

Mon objectif est d'être enfin satisfait et en paix avec mes proches et ma conscience

Nous avons deux vies et la seconde commence quand vous réalisez que vous n'en avez qu'une.

J'espère que la vôtre sera la même, parce que de toute façon, vous y arriverez. »

Une belle leçon de vie.

Bernard Vadon

Rédigé par Bernard Vadon

Publié dans #J - 2 - B ( Journal )

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