MES COUPS DE COEUR : IL JOUAIT RECEMMENT L’ORGUE HISTORIQUE DE L’EGLISE DE NAY (Sud-Ouest de la France) : THOMAS OSPITAL, JEUNE ET DIGNE SUCCESSEUR DE JEAN GUILLOU A L’ORGUE DE SAINT EUSTACHE A PARIS. DECOUVERTE.

Publié le 10 Août 2021

De Saint-Eustache de Paris à Saint-Vincent à Nay (64) : une passerelle musicale exceptionnelle.

« La musique de Mozart est si intéressante par elle-même, qu’on s’était habitué à l’admirer pour sa forme et pour son charme , sans penser à autre chose ; Gounod sut y voir l’union intime du mot et de la note, la concordance absolue des moindres détails du style avec les nuances les plus délicates du sentiment. » estimait Camille Saint-Saëns.

L’église Saint-Eustache à Paris, au cœur de la capitale, est un incontestable témoignage architectural d’exception.

Les orgues de l'église Saint-Eustache à Paris : classées parmi les plus remarquables au monde. 

Ne serait-ce que par sa singularité : un style gothique qui s’imposa en pleine Renaissance où l'antique des colonnes grecques et romaines côtoie, pour le plaisir des yeux mais aussi de l’esprit,  les lignes du Moyen Âge. Subtil et osé.

Du gothique avec du plein-cintre pour finalement réunir  à l'élévation du style gothique flamboyant, les courbures du roman et les ornements de la Renaissance confèrent à l'édifice un caractère unique.

De quoi contrarier l’architecte Viollet-le- Duc qui qualifia, sans états d’âmes, l’édifice (je cite)  de « mal conçu, mal construit, amas confus de débris empruntés de tous côtés, sans liaison et sans harmonie ; sorte de squelette gothique revêtu de haillons romains cousus ensemble comme les pièces d’un habit d’arlequin. »

En tout, l’excès est bannissable.

REMARQUABLES

Bref, qu’importe ce flacon manifestement dépourvu d’ivresse !

 Il n’empêche que ce lieu de culte déjà remarquable, outre ses richesses artistiques et impressionnant par la hauteur inhabituelle de sa nef, supérieure à celle de Notre-Dame de Paris, se distingue aussi, dans la sphère musicale, par un orgue exceptionnel à divers titres. Et pas seulement au regard de la visite qu’effectua, ici même, la reine Élisabeth II.

Entre autres.

Sans parler de tous les noms à particules et autres  privilégiés de la société qui y passèrent jusqu’à pour certains y demeurer pour un temps d’éternité. Ce fut le cas de Colbert dont les restes eurent aussi maille à partir avec les révolutionnaires enragés de l’époque.

Quel honneur pour la dynamique « Fédération Béarn des Orgues » 

Mais revenons à cette révélation plus haute que toute sagesse et toute philosophie : la musique !

Classées parmi les plus remarquables au monde non sans avoir rencontré au fil des siècles subi les pires avatars dont leur quasi destruction au lendemain de leur achèvement  en 1844 mais aussi, et ces orgues ne furent pas les seules, ayant souffert des agressions imbéciles présidant  notamment à l’installation de la Commune.

La haine du goupillon n’est malheureusement pas un vain mot et peu importe le message culturel, il faut détruire.

Bref, les grandes orgues de Saint-Eustache ressuscitèrent, avec une brillance d’exception, grâce à Jean Guillou – envers lequel je confesse une particulière admiration et un non moins infime respect –

Jean Guillou durant plus de 50 ans, de 1963 à 2015,  en qualité de titulaire veilla et joua sur cet instrument caractéristique par ses 5 claviers de 61 notes, son pédalier de 32 notes, ses 101 jeux, 147 rangs et 8000 tuyaux.

Un instrument également impressionnant pas ses dimensions - 10 mètres de large et 18 mètres de hauteur - n’ayant rien à envier à celui de Notre-Dame de Paris qui fut un temps le fief de Pierre Cochereau.

PROGRAMME CHOISI

Avec Jean-Louis Coignet, Jean Guillou fut le concepteur de ce « monstre » de beauté.

Entre autres innovations, son idée d’ajouter « la sesquialtera » au grand orgue (qui ouvre de  nombreuses possibilités solistiques, en combinaison avec les mixtures) est une richesse pour le répertoire.

Sans oublier cette spécificité innové encore par Jean Guillou du Chant d’Oiseau, à Bruxelles et de la Tonhalle, à Zurich, singularité illustrée sur l’orgue de Nay par Thomas Ospital dans l’interprétation du « capriccio sopra il Cucu » de Antonio Kaspar Kerll.

L'orgue de l'église de Nay (64) : une esthétique baroque à un essai symphonique. De la pure sensation au pur intellect. 

Un programme opportunément équilibré, disons choisi et visant à mettre en évidence les spécificités de l’orgue de Nay.

Retour sur son histoire :

C’est après un tragique incendie – en 1543 - qui détruisit la quasi-totalité de la ville Nay, dans le Béarn, proche de Pau, que l’église Saint-Vincent fut dotée d’un orgue dont le titulaire, Monaud des Berns, était natif de Lescar dans la banlieue de Pau.

L’orgue sera relevé vers 1665 avant qu’un contrat ne soit passé le 13 décembre 1673 entre les marguilliers (chargés notamment de la tenue des comptes d'une paroisse) de l’église de Nay et le facteur Gérard Brunel qui construira un orgue de 11 jeux pour la somme de 1450 livres. 

Le 17 février 1676, alors que les travaux étaient achevés, on estima qu’il manquait un jeu d’écho.

Les commanditaires accordèrent alors 200 livres supplémentaires afin que ce jeu soit installé dans un délai de 4 mois. 

Jean Harel de Nantes sera le premier organiste sous contrat signé le 25 mars 1677. A sa mort, son fils lui succèdera.

S’ensuivirent des travaux d’entretien ainsi qu'une nouvelle restauration engagée, en 1835, par Jean Pétron.

L'installation d'un écran, face à la tribune, ajoutait au confort de l'écoute pour un nombreux public. 

Malheureusement, en1889, l’orgue ne sonnera plus …  faute d’entretien !

ÉNIÈME RESTAURATION

C’est en 1896 que le Conseil de Fabrique (composé en partie de ces fameux marguilliers) décide de reconstruire l’orgue. Il fera appel au facteur bordelais, Michel Roger, élève de Vincent Cavaillé-Coll, ancien harmoniste de Georges Wenner. 

Sous son autorité, l’instrument passera d’une esthétique baroque à un essai symphonique. 

Malheureusement, une période silencieuse s'impose à nouveau jusqu’à la constitution, en 2000, d'une association dont les membres seront fermement décidés à redonner vie à l'instrument.

Une énième restauration est de ce fait confiée à Barthélémy Formentelli qui s’emploiera à retrouver les caractéristiques d’origine de l'orgue

Les travaux lancés en 2003 se termineront par la bénédiction et l’inauguration de l’instrument les 13 et 14 mai 2006.  Michel Chapuis et Jean-Paul Lécot en seront alors les co-titulaires.

Enfin, le buffet en noyer se décline en trois tourelles et deux doubles plates-faces de tuyaux en étain et la console, dite en fenêtre, propose 17 jeux,  deux claviers de 49 notes - écho de C2 à C5 - ainsi qu'un pédalier de 27 notes en tirasse fixe - C1 à C3 -.

Quant aux transmissions, elles sont mécaniques; le tempérament est dit inégal pour rester dans le vocabulaire musical.

"INCROYABLE TALENT !"

Quel honneur pour la dynamique « Fédération Béarn des Orgues »  que préside l’infatigable Marie-Gabrielle Daban, d’accueillir, dans cette halte composant, avec les huit autres « tribunes », cette route des orgues, Thomas Ospital, natif de Basse-Navare (à Ayherre)  – trente ans à peine franchis. Un talentueux musicien au palmarès flatteur (premier prix d’orgue en 2008 dans la classe d’Estaban Landart). Succès confirmé lors de sa réception au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris avant son accession, sur concours, au poste de co-titulaire du grand orgue de l’église Saint-Eustache à Paris ( qu’il partage aujourd’hui avec Baptiste Florian et Marie Ouvrard ) dans le sillage du maître Jean Guillou disparu le 26 janvier 2019 et qu’on ne présente plus tant son aura est mondialement reconnue et célébrée.

S’il est vrai que le talent s’accompagne d’une grande simplicité, Thomas Ospital en est un sympathique, louable et exceptionnel exemple.

Ses multiples responsabilités dans le monde musical en témoignent. Tout comme les nombreux prix qu’il a récolté de par le monde ces dernières années ainsi qu'une discographie déjà prometteuse.

Ses maîtres, d’Olivier Latry à Thierry Escaich en passant par Isabelle Duha,, Pierre Pincemaille et Jean-François Zygel répondent, s'il en est, de la qualité de ses choix et de son souci de la perfection.

Quant à la composition – je serais tenté d’y ajouter le terme de richesse - du programme proposé – dimanche 8 août dernier -  au nombreux mélomanes,  en l’église Saint Vincent de Nay, elle en fut une éclatante illustration. Pas évident pour un instrument que nous connaissons et qui peut aussi, et accessoirement, réserver des surprises si on sous-estime ses exigences. 

Mais les caractéristiques de cet instrument n’ont pas désorienté – au contraire - cet interprète rigoureux, soucieux d’imposer sa « griffe »;  notamment,  en fin de récital lors d’une improvisation magistrale et parfaitement structurée. Ce qui n’est pas toujours le cas dans ce genre d’exercice musical toujours périlleux.

Mais admirablement « dompté », le bel « étalon » nayais  n’a pas résisté aux injonctions de ce jeune maître. Cela s’appelle encore le don ou la facilité auxquels on peut sans réserve adjoindre l'adjectif incroyable tout en paraphrasant une émission célèbre du "prime".

Enfin et pour rester dans la matérialité, l'installation d'un écran, face à la tribune, ajoutait au confort de l'écoute tout en permettant de suivre l'organiste en visualisant directement sa console et permettant de mieux apprécier son jeu.

 MUSIQUE ET SILENCE

Avec en ouverture une oeuvre brillante de Antonio Correa Braga – compositeur et organiste portugais, Thomas Ospital donna en quelque sorte le ton de sa prestation tout en délivrant une partie des richesses sonores de l’instrument.

Un répertoire parfaitement adapté à l'instrument.

En suivant, Antonio de Cabezon célèbre organiste aveugle précurseur de Correa Braga a composé, pour sa part, de courtes pièces essentiellement destinées à un usage liturgique. Un musicien persuadé que la vue corporelle qui lui avait été retirée lui fut restituée par Dieu sous la forme d’une vue merveilleuse de l’âme. 

La délicatesse de cette pièce interprétée par Thomas Ospital en est une illustration avant le « capriccio sopra il Cucu » de Kaspar Kerll dont nous parlions précédemment, pièce parfaitement adaptée aux qualités singulières mais intéressantes de l’orgue de Nay.

Avec l’œuvre de Francisco Correa de Aurauxo – organiste compositeur espagnol -  c’est à la découverte de l’époque charnière entre la Renaissance et le Baroque que nous fûmes musicalement invités.

Et cela, avant Charles Racquet,  professeur réputé qui fut aussi titulaire des orgues de Notre Dame de Paris, et "La Fantaisie du 8ème ton sur le Regina Coeli " accompagnée de cette étrange recommandation quant à savoir ce que l'on peut aussi faire sur l'orgue. Invitation effectivement instructive que cette antienne mariale du XXème siècle sur le thème "Réjouis-toi, Reine du ciel, Alleluia",

  propre à mettre en valeur les possibilités de l’instrument.

Une préparation subtile et instructive à l’écoute de Dietrich Buxtehude (Ciaconna BWV 160 ) et de La Pastorale BWV 590 de J.S. Bach sur lesquels s'achevait le concert.

Enfin, Thomas Ospital, laissant, en finale, libre court à son talent d’improvisateur, nous  invita, dans l’atmosphère gothique languedocien de cette église sur la route mythique de Saint-Jacques de Compostelle, à apprécier cette belle réflexion de Gustav Mahler :

« La musique décore le silence. »

J’ajouterai qu’en la circonstance, elle le sublimait alors que se manifestait, en manière de légitime ovation, un public nombreux et assurément conquis.

 

Bernard VADON

 et pour son c, sans penser à autre chose ; Gounod sut y voir l'union intime du mot et de la not

e, la concordance absolue des moindres détails du style avec les nuances les plus délicates du sentiment.

 

Camille Saint-Saëns

La musique de Mozart est si intéressante par elle-même, qu'on s'était habitué à l'admirer pour sa forme et pour son charme, sans penser à autre chose ; Gounod sut y voir l'union intime du mot et de la note, la concordance absolue des moindres détails du style avec les nuances les plus délicates du sentiment.

 

Camille Saint-Saëns

De Saint-Eustache à Saint-Vincent : une passerelle musicale exceptionnelle.

Rédigé par Bernard Vadon

Publié dans #J - 2 - B ( Journal )

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :