A MARRAKECH, QUAND LE CONFINEMENT DONNE LA MESURE D’UN ART DE VIVRE OUBLIÉ, CELUI DU SILENCE.

Publié le 9 Avril 2020

 

S'intéresser au silence en littérature pourrait sembler paradoxal. Cependant, comme en musique, le silence joue aussi sa partition dans l'ombre sinon dans la discrétion. 

Pourtant, rien de plus protéiforme que le silence car Il peut constituer la matière mais aussi la manière d'un ouvrage. 

 

Parlons, par exemple, de la polyphonie du silence et par voie de conséquence de la spiritualité dans l'oeuvre de François Mauriac. Entre autres. 

 

LES VOIX EFFRAYANTRES DU SILENCE

Mais ne quittons pas pour autant l’univers musical et ses multiples gammes de silences, éléments fondamentaux de la création artistique : ascèse exigeante pour Andreï Makine – « La Musique d’une vie » ou « Requiem pour l’Est » mais aussi Patrick Modiano et sa petite musique singulière mais encore Jean Marie Le Clézio et sa « Ritournelle de la faim »

Le silence au point d’orgue apparaissant sous son aspect mystique et sa transcendance en relation avec le mal, la souffrance et la mort chez Sylvie Germain « Les Échos du Silence » ou Philippe Claudel  et sa « Petite Fabrique des Rêves »

 

On peut aussi partir non pas à la recherche du temps perdu mais de l'essence du monde à la suite de Giacomo Leopardi et «  L’Art de ne pas Souffrir », Anne Perrier « Heures » et « Lorsque la Mort Viendra » ou  Paul Celan « Renverse du Souffle »

Jusqu’aux voix effrayantes du silence : celles des opprimés et des morts des dictatures modernes à travers les oeuvres de Vercors, alias Jean Bruller, et son poignant « Silence de la Mer » ; de François Cheng et « L’éternité n’est pas de Trop »  ou de l'Ukrainien Mykola Khvylovyi et « La route et l’Hirondelle »

 

Enfin, en contrepoint de cette diversité et en accord avec l'art de Mauriac, soucieux de l'essentiel, Il y a les écrivains qui cultivent l'art de la litote et ceux pour qui le silence, ou la page blanche, sont plus proches de la perfection que toute écriture.

C’est alors que le confinement de toute une population génère un silence inhabituel et surprenant qui n’est pas sans rappeler une forme d’art de vivre enfoui dans le temps passé.

 

MOMENT FORT ET D’EXCEPTION

Comment ne pas succomber à la magie du désert naissant.

Aux portes de Marrakech. 

Au cœur de cette palmeraie mythique.

Moment fort et d’exception. 

A quelques kilomètres seulement d’une ville en gestation urbaine effrayante de nuisances de toutes sortes. 

Plongée dans une modernité dévorante. 

Au risque de perdre sinon ses valeurs en tout cas ses repères.

Et puis soudain le monde se fige et le silence prend possession des lieux.

 

Hier encore, dans la nuit africaine, superbe et douce, les vagues déferlantes d’une musique du temps présent noyaient ce beau quartier de l’Hivernage créé, il fut un temps déjà lointain, par des étrangers fuyant les rigueurs hivernales de l’Europe et cherchant ici la quiétude au rythme mesuré des dromadaires. 

 

Hier encore, la cohorte des belles automobiles animait, devant les devantures portant les noms des plus prestigieuses sociétés internationales, un quotidien parfois excentrique où les plus riches côtoient les plus pauvres dormant à même le trottoir. 

Incongru.

Un mélange surprenant et agressif de sons et de vociférations souvent sans motifs raisonnables. 

C’était hier.

Jusqu’à ce frais matin du mois de mars.

Ce mois dit des fous. 

Préfigurant la pandémie premier acte d’une épidémie naissante baptisée d’un nom de code abracadabrant.

Soudain m’est revenu ce beau verset de l’Ecclésiaste 2 :13 :

« Et j’ai vu que la sagesse a de l’avantage sur la folie comme la lumière a de l’avantage sur les ténèbres. »

 

Le calme avant la tempête ?

Possible.

 

LE JOUR VIENDRA

En tout cas, au lendemain de cette mise en confinement, le monde semble être entré en sommeil. 

Dans ce havre de paix hier encore inimaginable inondé des rayons du soleil couchant la nature reprend ses marques. Magique.

Prélude à la nuit proche. La pleine lune s’approprie la nuée.

Les rues sont désertes. Incroyablement désertes. 

Comme par enchantement. 

Inhibé par ce silence brutal, un chien égaré lance un aboiement de détresse. 

Dans les arbres mariant leurs formes à l’obscurité doucement envahissante, entre les stridulations des criquets annonciateurs des premières chaleurs, les oiseaux offrent leurs chants merveilleusement vocalisés aux dieux de l’Olympe sinon à Dieu tout court.

Place au mystère et aux apparitions fantasmagoriques que génère la féerie des lieux. 

Le vent du soir froisse sensiblement les feuilles des arbres hier encore comme figés dans une asphyxiante pollution. 

La terre exhale des senteurs inconnues qu’un galant de nuit peine à égaler. 

Sur un ciel d’encre vernissée les étoiles requinquées forment un savant rébus en accompagnement naturel dans ce décor imaginaire inimitable.

Non, je ne rêve pas et pourtant …

Une fontaine privée de ses bruyants jets d’eau semble soudain figée.

Comme une sculpture de Le Bernin.

Comment ne pas imaginer, dans ce décor, le mythique et improbable Dieu des morts, Pluton, enlevant Proserpine pour en faire la reine des enfers.

Mais laissons la mythologie pour une vision autrement poétique et divine alors que porté par un souffle de vent frais, depuis un modeste et lointain minaret, l’appel à la prière invite à la réflexion.

Le ciel prend sa couleur bleu nuit des grandes occasions. 

Les étoiles cernent une moitié de lune qui a déjà entamé sa course, sans pour autant le rattraper, en direction du soleil disparu. 

La courbe légère et mouvante des palmiers souligne ce motet silencieux   

Le silence des oiseaux est assourdissant.

 Autant en emporte le vent de la nuit sur un monde de contrastes où la sérénité des lieux est seulement troublée par cette belle prière des Laudes :  

« Le jour viendra où le désert refleurira et l’ombre rendra la lumière. »

 

Bernard VADON