Témoignage : LE DERNIER DES MOHICANS !  

Publié le 29 Septembre 2019

Témoignage : LE DERNIER DES MOHICANS !  
Témoignage : LE DERNIER DES MOHICANS !  

 

Le Président Jacques Chirac n’est plus. Enfin, physiquement.

Jusqu’à son départ, celui que l’on a qualifié, à juste titre, de « combattant » n’était plus que l’ombre de lui-même.

Mon ami, Mgr Jean-Michel Di Falco, évêque émérite de Gap et Embrun, bien placé pour en parler et qui le connaissait bien, assurait, hier encore, au lendemain du départ de cet homme d’État au profil pour le moins singulier sinon parfois mystérieux, que ce dernier n’était pas spirituellement inquiet. Qui en douterait à la vue de son comportement humaniste tout au long de son existence. 

« Dieu regarde le cœur » assurait saint Luc en ce vingt-sixième dimanche du temps ordinaire. Étrange coïncidence. 

Sans aller jusqu’à l’outrecuidance de chanter les louanges divines, il convient de reconnaître combien les hommages  exprimés depuis les plus lointaines contrées de la planète peuvent, aussi et à divers égards, rappeler le cantique des créatures de François d’Assise (en filigrane de la fameuse phrase prononcée en 2002 depuis la tribune de l’ONU par le président Chirac en prélude au IVème Sommet de la Terre sur la maison brûle alors que nous regardons ailleurs ) ou encore la prière de circonstance d’un Teilhard de Chardin ou d’un Saint Augustin. 

 

Tout en saluant les racines chrétiennes de la France (lors de la visite du pape Saint Jean-Paul II en 1996) Jacques Chirac avait obstinément refusé en 2004 de mentionner les racines chrétiennes de l’Europe dans le projet de préambule de la Constitution européenne.

Ne lui tenons pas rigueur d’une perfection dont Saint-Thomas d’Aquin considérait, en manière d’argument ontologique, que seul Dieu est parfait dans l’ordre de toutes choses. 

 

Personnellement et au travers d’un événement auquel je fus inopinément associé et célébrant sa volonté de défendre la liberté et la démocratie, je lui rendrais modestement cet ultime hommage … 

 

REQUISITOIRE SEVERE CONTRE L’ABSOLUTISME

 

C’était à Paris au mois de novembre 2014, dans le cadre du Musée du Quai Branly et de la Fondation Jacques Chirac. 

En marge d’un nouveau destin pour son pays, un aréopage de personnalités venues d’horizons divers honorait la tunisienne Amira Yahyaoui et célébrait son combat pour la paix.

L’occasion de rappeler qu’il y a trois sortes de tyrans : ceux qui règnent par l’élection du peuple, les autres par la force des armes et les derniers par succession de race. Cherchez l’erreur !

Au demeurant, le résultat est malheureusement le même, à savoir la célébration de l’asservissement.

 

Etienne de la Boétie et son œuvre-phare, « Contr’un » ou le « Discours sur la servitude volontaire » - dont son ami Montaigne fut au demeurant un fervent propagandiste - touchait au point sensible du comportement humain et le plus détestable qui soit, à savoir la tyrannie. Un réquisitoire sévère contre l’absolutisme.

 

Une manière aussi d’éloge de la désobéissance inspirée de cette constatation qui faisait affirmer à La Boétie que :

« C’est un malheur extrême que d’être assujetti à un maître dont on ne peut jamais être assuré de la bonté et qui a toujours le pouvoir d’être méchant quand il le voudra. Quant à obéir à plusieurs maîtres, c’est être autant de fois malheureux ».

 

Peu importe, au fond, que le doute subsiste quant à la paternité de ces textes et que d’aucuns en viennent – curieusement - à les attribuer à Montaigne.

Pourtant, un écrit composé dans la prime jeunesse de La Boétie donnait déjà le ton du propos à venir et dans lequel il célébrait l’honneur de la liberté contre les tyrans.

Seul, un difficile ADN littéraire pourrait authentifier cette suspicion finalement spécieuse !

 

Pour la prévention des conflits

Au musée du Quai Branly, à Paris, dans le décor de l’amphithéâtre Claude Lévy-Strauss, en présence de Jacques Chirac et d’un aréopage de personnalités venues d’horizons divers, Alain Juppé (le meilleur d’entre nous, comme l’avait qualifié en son temps le président Chirac) eut alors pour mission de remettre, à la jeune tunisienne Amira Yahyaoui, le prix « Pour la Prévention des Conflits » décerné par la Fondation Jacques Chirac.

Le prix de la culture pour la paix ayant été par ailleurs remis à l’association « Clowns sans frontières » laquelle, depuis une vingtaine d’années, œuvrait auprès des populations victimes de la guerre, de la misère et de l’exclusion.

En cette circonstance, Alain Juppé avait opportunément insisté sur la volonté toujours affirmée du président Chirac de mettre la diplomatie au service de la paix et de favoriser un engagement sans relâche en faveur d’une mondialisation maîtrisée et respectueuse de la dignité de la personne humaine. 

Son refus de participer à la guerre en Irak et sa courageuse (et très gaullienne) fin de non-recevoir aux chers alliés américains, expliquant en partie l’opinion des français de placer aujourd’hui, côte à côte, le président Chirac et le Général De Gaulle. 

Rien de moins actuel avec la présente et pâle succession. En particulier, pour ce qui concerne une fracture sociale qui aujourd’hui s’amplifie.

 

En témoignent aussi, en des domaines différents relevant d’un exécutif à haut risque mais toujours maîtrisé, les fameux et inoubliables coups de gueule du président disparu.

Notamment, en octobre 1996, dans cette ruelle proche du Saint Sépulcre où Jacques Chirac s’en prit violemment aux services de sécurité israéliens ou encore à la tribune de l’ONU, avec sa phrase célèbre « la maison brûle et nous regardons ailleurs » qui fait aujourd’hui se consumer en un panache d’écume et de petits oiseaux – référence à la grande vague  de Kanagawa de l’artiste japonais Katsushika Hokusaï – la juvénile virulence et la philosophie de la vaporisation de Greta Thunberg à la même tribune onusienne.       

 

Côté Afrique, le souvenir des printemps arabes est toujours sensible dans les mémoires. Singulièrement, celles de la Tunisie.

Le parcours d’Amira Yahyaoui, dans la Tunisie du clan Ben Ali, était pour Jacques Chirac et à divers égards, exemplaire. 

Une famille d’exception et insoumise au sens noble du terme.

Son père, le juge Mokhtar Yahyaoui avait payé un lourd tribut au pouvoir pour avoir défendu l’indépendance de la justice et son cousin, Zouhair, fut torturé dans les geôles tunisiennes. Elle même fut exilée forcée durant cinq années. Ce qui ne l’empêcha pas de soutenir la rébellion et de dénoncer les exactions dans son pays d’origine.

 

Respect de la vie

La Tunisie, surprenant pays où les femmes ont toujours et courageusement tenu le haut du pavé politique et social. 

De Didon (Elyssa) qui fonda Carthage en 815 avant J.C à Nebiha Ben Miled qui initia l’Union de femmes musulmanes en passant par la Kahena, première femme féministe en Afrique du Nord et aujourd’hui Amira Yahyaoui mais aussi Omezzine Khelifa et tant d’autres, connues ou inconnues, conduites par la stricte observance de valeurs fondées sur le respect de la vie.

Elles savent pertinemment de quoi il retourne et surtout que le combat n’est pas fini.

Encore du pain sur la planche. 

 

Pour ce qui concerne le troisième pays d’Afrique du Nord – le Royaume du Maroc – on ne peut occulter sa relation avec le monarque disparu, Hassan II, qu’il remplacera affectueusement auprès de son fils et successeur, Mohamed VI.

Hassan II au contact duquel il entretenait  un attachement particulier avec cette nation amie (il résida souvent et de préférence à Taroudant); et en cette occurrence, la citation de Jacques Chirac est éloquente :

« Je dois à Hassan II une sorte d’initiation aux complexités et aux valeurs du monde arabe et musulman. Je lui dois des analyses visionnaires sur les drames mais aussi sur les chances de la paix au Proche-Orient. Je lui dois une plus claire conscience des enjeux internationaux, du rôle de l’Europe en Méditerranée mais aussi de ce que le monde attend de la France ».

 

Ce qui se passe aujourd’hui de par le monde où l’élémentaire respect de la personne humaine n’est pas, loin s'en faut, une vue de l’esprit ; alors que dans certains pays, l’asservissement a repris du poil de la bête et que les femmes ne sont pas les seules à souffrir de ce regain de violence et d’inhumanité, et que l’atrocité et la barbarie, sous toutes leurs formes, sont devenues monnaies courantes, le constat est dramatique. Intolérable :

 

« Il n’y a rien au monde de plus contraire à la nature, toute raisonnable, que l’injustice. »

 

L’absolutisme qui en résulte est une plaie et en même temps une offense à la nature, au sens large du terme.

D’ailleurs, La Boétie ne se prive assurément pas d’y faire  allusion :

 

« La nature de l’homme est d’être libre et de vouloir l’être mais il prend facilement un autre pli lorsque l’éducation le lui donne ».

 

En clair, la porte ouverte sur la désobéissance qui peut devenir, en certaines circonstances, une nécessité vitale… sinon une qualité.

 

 

Bernard Vadon 

 

 

 

« Être le dernier des Mohicans n'est en rien une injure, au contraire. C'est un signe de respect vis-à-vis de la personne ainsi désignée. On ajoute souvent qu'il s'agit d'un monstre sacré, selon l'expression popularisée grâce à Jean Cocteau.

Le dernier des Mohicans, c'est l'être qui résiste à tout, au temps, aux ennemis, qui fait preuve de panache. »