« LE MARI DE MON MARI » OU QUAND (ENFIN) LA RÉALITE DÉPASSE LA FICTION.

Publié le 29 Août 2019

Juliette – Julie Depardieu au second plan - en même temps volontaire et pitoyable mais finalement humaine et convaincante. Mathias Mlekuz et Jérôme Robart interprétant, chacun,  avec infiniment de sobriété et de naturel, de sincérité aussi, cette situation d’exception.

Juliette – Julie Depardieu au second plan - en même temps volontaire et pitoyable mais finalement humaine et convaincante. Mathias Mlekuz et Jérôme Robart interprétant, chacun,  avec infiniment de sobriété et de naturel, de sincérité aussi, cette situation d’exception.

 

“Quand deux êtres s’éprennent l’un de l’autre, il importe d’avoir le courage de rompre; car on a tout à perdre en persistant et rien à gagner”  estimait Kierkegaard qui singulièrement me fournit une entrée en matière à cette manière d’existentialisme contemporain et néanmoins chrétien défini par son fondateur. L’être humain étant à même de définir le sens de sa vie par ses propres actions et non pas par une manière d’intercession  de doctrines philosophiques, théologiques ou morales. En somme, une philosophie humaniste qui ne se borne pas à placer la liberté humaine au-dessus de tout mais qui s’efforce surtout de défendre la valeur humaine et de réaliser son épanouissement.

Car ce qui importe à Kierkegaard c’est d’abord et avant tout l’ individu. Chantre de la subjectivité, il considérait cette dernière comme la plus haute tâche assignée à chaque individu. Qu’importe si l’opposition des contraires disparait dans l’indifférence. Illustration sociale de circonstance :

« Mariez-vous, vous le regretterez ; ne vous marriez pas, vous le regretterez aussi ; mariez-vous ou ne vous mariez pas, vous le regretterez également. »

DANS L’AIR DU TEMPS

Nous n’irons pas pour autant dans le sens d’un athéisme sartrien décrétant   que, chez les philosophes catholiques, notamment, l’absence de Dieu retire à l’homme tout espoir et le condamne à vivre de manière absurde. 

Alexandra Echkenasi et Alexandra Julhiet les deux scénaristes femmes ( au diable au passage la détestable théorie du genre) et Charles Paul Zoltan Nemes de Weisz-Horstenstein qui a signé la réalisation de ce film (« Le Mari de mon mari »)assurément dans l’air du temps (n’en déplaise aux pisse- vinaigres de service) ont quelque peu ébranlé les Tartuffe nourris d’autant d’hypocrisie que – plus grave en soi – d’égoïsme.

D’aucuns, commentateurs professionnels, allez savoir pourquoi, ont balayé d’un coup de plume assuré tout ce qui au fond aurait pu retenir l’intérêt d’un sujet hors normes. En certaines circonstances le pathos ou la drôlerie sinon la satire ont bon dos.

Pourtant , « La Cage aux folles» c’était hier. 

Aujourd’hui, on est (enfin) dans le vif du sujet. Je dirais dans une réalité confortée par une loi précédée par un véritable marathon parlementaire et démocratique au cours duquel Christiane Taubira, alors ministre de la Justice, avait affirmé que cette loi représentait « une réforme de civilisation ». Et c’est bien de cela qu’il s’était agi ;  ce vote constituant alors un pas supplémentaire dans la reconnaissance de l’égalité des droits, quelle que soit sa sexualité et s’inscrivait dans le combat contre toutes les discriminations. 

En 1999, le Parlement avait bien adopté la mise en place du Pacte civil de solidarité (Pacs), mais celui-ci n’octroyait pas les mêmes droits que le contrat de mariage, notamment en matière de succession, et ne prévoyait rien concernant l’adoption. Et, surtout, il n’avait pas la même charge symbolique de l’union maritale. Le mariage pour tous consacrera une totale égalité devant le mariage, que l’on soit un couple hétérosexuel ou homosexuel. Ainsi, au grand dam de traditionnalistes enferrés dans des principes surannés, le 17 mai 2013, la France est devenue le 9e pays européen et le 14e pays au monde à autoriser le mariage homosexuel. 

Hallelujah (rendons grâce à Dieu) comme le chantait Leonard Cohen.

Ou encore, sur un autre registre, comme dirait notre cher pape François, sans pour autant donner sa bénédiction : « Qui suis-je pour juger ? ».

Prenez-en de la graine mes chers frères en spiritualité et moralité.

UNION RESPECTABLE ET NATURELLE

Le titre du film récemment programmé en « prime time » sur antenne 2 est sans ambiguïté. Et classer « Le Mari de mon mari »  dans la catégorie théâtre de boulevard ne retire en rien à la question de fond qui donne au film toute sa plénitude.  Qu’à certains moments de l’intrigue une passagère légèreté ou un soupçon de pathos s’imposent donne finalement que plus de poids à l’essentiel, une belle et parfois touchante et sincère histoire d’amour. 

Juliette – Julie Depardieu - en même temps volontaire et pitoyable mais finalement humaine et convaincante dans son rôle de mère de deux enfants, est séparée de son mari, Christophe, aux côtés duquel elle a partagé 18 ans d’existence perturbés par une rupture et qui, souhaitant le reconquérir, lui rend visite dans son restaurant pour découvrir qu'il est en couple avec un homme. Un véritable cataclysme. 

Mathias Mlekuz et Jérôme Robart interprétent, chacun,  avec infiniment de sobriété et de naturel, de sincérité aussi, cette situation d’exception certes mais en aucune manière choquante. Cela c’est le talent.

On est à mille lieues des éventuelles questions liées à une forme de normalité en tant que comportement courant ou habituel. 

J’aime. Et alors, où est le problème ?

Rien qui ne dérange dans cette union au demeurant naturelle et parfaitement respectable. Authentique et belle. 

Quel couple hétérosexuel ne souhaiterait-il pas vivre un pareil bonheur ?

 

ET MOI DISAIT CAMUS ...

Pourtant Juliette, hier encore, défendait férocement la cause gay (comme le lui rappelle sa propre mère – Evelyne Buyle -  surprise par cette soudaine agressivité envers les héros de cette belle et saine aventure ) sans parler des familles respectives dont celle d’Antoine -  qui deviendra à terme le mari de Christophe - et particulièrement son père, Martin Lamotte, farouche et entêté, opposant au mariage pour tous et qui sous l’émouvante et vigoureuse intervention de son épouse – l’inénarrable Nicole Calfan - acceptera finalement, en sa qualité de maire, de marier ce fils que jusqu’alors il rejetait : un moment fort parmi quelques autres parce que tout simplement sincère.

De quoi faire basculer quelques mentalités et combats d’arrière-garde.

Censeurs patentés et découvreurs de clichés.

Je les renvoie à Spinoza qui reconnaissait s’être soigneusement abstenu de tourner en dérision les actions humaines, de les prendre en pitié ou en haine et au bout du compte de n’avoir voulu que les comprendre. 

En cela, ce film est peut-être un maillon ajouté à une chaîne encore fragile en matière d’humanité. En matière du respect de l’autre.

 

Tout simplement d’amour mais  pas pour autant – je le concède - de facilité :  

« J’ai souffert souvent, je me suis trompé quelques fois mais j’ai aimé. C’est moi qui ai vécu et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui. »écrivait Alfred de Musset.

Pour ma part et en conclusion comme je l’avais fait dans mon premier roman « Le cœur en morceaux », je préfère laisser venir Albert Camus, celui des « Noces »et du « Mythe de Sisyphe » : 

« Et moi- disait Camus à travers ma pensée - je veux être cet acteur parfait. Je me moque de ma personnalité et n’ai que faire de la cultiver. Je veux être ce que ma vie me fait et non faire de ma vie une expérience. C’est moi l’expérience et c’est la vie qui me façonne et me dirige. Si j’avais assez de force et de patience, je sais bien à quel degré de parfaite impersonnalité j’arriverais, jusqu’à quelle poussée de néant actif mes forces pourraient aller. Ce qui m’a toujours arrêté, c’est ma vanité personnelle. Aujourd’hui, je comprends qu’agir, aimer et souffrir, c’est vivre en effet, mais c’est vivre dans la mesure où c’est être transparent et accepter son destin comme le reflet universel d’un arc-en-ciel de joies et de passions. »

 

Bernard VADON