LE MINISTERE DE L’IMPOSSIBLE POUR UNE ECOLOGIE DE FACADE !

Publié le 6 Septembre 2018

Les abeilles : la disparition programmée et dramatique de ce maillon indispensable de la biodiversité et de notre propre existence.

Les abeilles : la disparition programmée et dramatique de ce maillon indispensable de la biodiversité et de notre propre existence.

 

L’Histoire comme la mode et bien d’autres activités humaines, illustrent, parfois malheureusement - surtout lorsqu’il est question de conflits - leur caractère commun d’éternel recommencement.

Cause non plus nationale mais internationale, le changement climatique est à ce jour un sujet incontournable dans la mesure où il conditionne, à plus ou moins brève échéance, la pérennité de la planète et par voie de conséquence celle de ses habitants.

Ce n’est plus une vue de l’esprit mais une réalité tragique, celle d’un monde obnubilé par une croissance à tout va dictée par une loi dite du marché et dépendant d’un système économique souvent sans états d’âmes où la concurrence laisse quand même filtrer la tentation de privilégier le plus fort.

 

L’ECHEC DEJA !

C’est en 1971 – sous la présidence de Georges Pompidou – que fut créé le premier ministère de la protection de la nature et de l’environnement.

L’initiative souffrait alors et cruellement des effets (sinon des méfaits) d’une politique hyper productiviste avec, en particulier, un intérêt manifeste porté à l’automobile et à l’adaptation routière. Sans parler du développement de l’agriculture intensive avec l’apparition de ces engrais et autres pesticides qui entrent aujourd’hui et pour une large responsabilité dans le dérèglement naturel de la planète générant des conséquences qui ne feront que s’aggraver non plus au fil de années mais des semaines et des mois. Les catastrophes naturelles de cet été en témoignent.

 

En charge de ce nouveau ministère – de 1971 à 1974 -  le gaulliste Robert Poujade sera vite réduit à l’impuissance. C’est l’échec (déjà !) cuisant d’une politique écologique de façade.

 

Libérales ou socialistes (quand nous remarquions précédemment que rien n’a tellement changé et que malheureusement rien ne changera à cause du système), les sociétés dites « développées » ont détruit l’environnement. Par ailleurs, la puissance des moyens techniques s’ingénie à appauvrir et à ruiner le milieu naturel :

« Le culte de la croissance aboutit à la destruction de la vie elle-même. Il se traduit par l’asservissement des peuples et l’épuisement de la terre. Voilà pourquoi des explosions comparables à cette « révolte de la vie » qu’était Mai 68 resurgiront. » déclarait en son temps Pierre Poujade dans un livre témoignage publié en 1975, un politique qui ne passait pas pour être un militant anti productiviste.

En clair et selon l’auteur, il était impossible de prôner une politique écologique avec des gouvernants qui n’ont pour crédo que le PIB.

 

Pour Pierre Poujade, l’écologie est un bouleversement de la société, elle renverse nos valeurs et questionne la sacro-sainte croissance. Elle refuse aussi l’accaparement privé des biens et heurte les puissants. Elle est subversion.

Pas moins.

 

MINABLE POLITIQUE DES « PETITS PAS »

C’est aussi l’époque où l’environnement entrait dans les mœurs. Pourtant, économie oblige, on ne reniait pas une société de consommation conquise à cette nouvelle religion.

Néanmoins et avec la bénédiction du gouvernement Jacques Chaban-Delmas, le ministère de la protection de la nature verra le jour.    

Mais l’industrialisation continuait de faire son chemin sinon sa route.

Pierre Poujade n’était alors pas dupe du régime auquel on allait le soumettre : 

 

« Avec 300 fonctionnaires et un budget minuscule, il me fallait infléchir – essayer d’infléchir ! – la politique d’une douzaine de ministères, disposant d’administrations puissantes, et de très grands moyens. » confiait le ministre.

 

La minable politique des « petits pas », comme le dénonce aujourd’hui, presque cinquante années plus tard l’ex ministre Nicolas Hulot, démissionnaire du pompeux ministère de la transition écologique et solidaire, est une triste rigolade :

 

« S’attaquer à la racine du mal supposerait de mettre en joue le productivisme. Alors, prière de se cantonner à la superficie. L’eau est dégradée, polluée, raréfiée et on a bien conscience que le développement de l’industrialisation coïncide avec un immense gaspillage d’eau mais on ne va pas critiquer le développement de l’industrialisation. On ne va pas freiner l’agriculture intensive. Juste construire des stations d’épuration.

La pollution de l’air provoque des maladies respiratoires, cardio-vasculaires, des cancers mais la techno science va nous sauver, les entreprises n’ont qu’à investir dans des technologies moins émettrices de gaz nocifs et le tour est joué. Quant à l’automobile, hors de question de freiner son expansion. Au contraire. Le « programme d’action » contre les nuisances de l’automobile ne propose que des solutions techniques. Les normes de qualité de l’air quant à elles ne doivent pas être plus sévères que celles des voisins européens, pour ne pas nuire à l’économie nationale et mettre la patrie en danger. L’Etat ayant concocté ce plan main dans la main avec les constructeurs automobiles. » dénonçait Pierre Poujade qui ne pratiquait pas la langue de bois.

 

Et le constat s’allonge par la mise en place de la collecte des déchets sans pour autant chercher à freiner la production de déchets. On dira aussi que le bruit est « un des pires fléaux sociaux », mais « il ne saurait être question de réduire le bruit des voitures à n’importe quel prix ». On voudrait également une biodiversité foisonnante, mais on ne va pas pointer du doigt les monocultures intensives, le remembrement, la disparition des zones humides, la déforestation, la multiplication des routes et surtout la prolifération des chasseurs. Tiens, tiens !

Vous en voulez encore ?

 

PENIBLE CONFESSION

« On aimerait préserver les paysages, mais sans trop gêner les puissants promoteurs immobiliers : et voilà une belle station touristique en plein Mercantour ! « Il faut amener les aménageurs à s’inquiéter des conséquences de leur projet », espère-t-on quand même … plein de naïveté. Inscrire dans la loi que la protection de la nature est d’intérêt général, généraliser les enquêtes publiques et les études d’impact mais les ministères de l’industrie et de l’équipement n’en ont pas voulu. » poursuit

Pierre Poujade qui ajoute à sa pénible confession :

« J’ai souvent ressenti avec amertume la force des intérêts privés et la faiblesse de l’Etat mais j’ai eu trop souvent le sentiment de lutter presque seul […] contre des entreprises que tout aurait dû condamner. »

 

Quant à la réflexion sur la ville, elle se limite à la plantation de fleurs aux abords des parkings et au ravalement des quartiers.

Pierre Poujade s’inquiétera aussi de l’adaptation de la ville à l’automobile.

Qu’à cela ne tienne, le gouvernement s’en est chargé en multipliant les autoroutes concédant au ministère de l’environnement le droit d’émettre un avis sur le tracé mais en aucun cas sur le bien-fondé du bétonnage !

Enfin, après le premier choc pétrolier, le ministre Pierre Messmer décidera de développer le tout-nucléaire. Dans la foulée, le commissariat à l’énergie atomique et EDF obtiendront les pleins pouvoirs ! 

 

Voilà pour le sympathique état des lieux de l’époque.

Reconnaissons la prise en compte – aujourd’hui et en partie seulement – de ces doléances.

Notamment, en matière automobile avec le développement, encore à ses balbutiements, de l’électrique, les mesures concernant l’habitat et la reconnaissance du danger des pesticides dont le terrible gryphosate. L’engagement écologique de quelques catégories professionnelles courageuses et conscientes du danger dans l’agriculture et l’élevage en particulier.

 

Cependant et curieusement, on retrouve aujourd’hui, dans la bouche de Nicolas Hulot, les mêmes et tristes constations quant à l’importance accordée à cette lourde responsabilité et notamment à la force des intérêts privés et à la faiblesse de l’Etat sans parler du fort sentiment de solitude face à des entreprises que tout condamne mais qui qui persistent dans leur entreprise mortifère. 

 

LES OBJECTEURS DE … CROISSANCE !

Les pollueurs aussi et encore :

« Les taxes ne plaisent pas aux ministères de l’économie, de la finance, de l’industrie et du commerce. On accepte de subventionner n’importe quelle activité sous la pression des intérêts privés, mais beaucoup plus difficilement de prélever une part très modeste de profits faits au détriment de la collectivité, pour lui permettre de réparer des dommages.  La civilisation industrielle a préféré le rendement immédiat à la protection des ressources naturelles. »

Robert Poujade hier - comme aujourd’hui Nicolas Hulot - avait bien conscience qu’une politique de l’environnement entraînerait inévitablement une réflexion sur notre mode de vie, une critique du cycle production-consommation mais aussi une mise en cause de la croissance et du profit.

 

Et d’enchaîner à ce propos avec un terrible réquisitoire :

« La croissance en flèche de la population, l’exploitation abusive des ressources naturelles conduisent à un désastre écologique, à la dégradation de la biosphère, à la crise et à l’impasse. »

 

Mais aujourd’hui comme hier, les gouvernances s’en fichent royalement.

La croissance est leur obsession. Leur pérennité politique en résulte.

Les yeux rivés sur les chiffres livrés par les instituts de sondage, ils se confinent dans la démagogie, le simplisme et le mensonge.

 

Ministère de l’oxymore- association de deux mots de sens contradictoire - ce poste ministériel, qui dans le monde entier est finalement et raisonnablement le plus important, est à la stricte mesure de notre espérance de vie :

 

« L’essentiel est de « contrôler la croissance sans en casser le dynamisme ». Un peu moins de gaspillage, un peu moins de consommation, un peu plus de morale, et la vertu sauvera le monde. Mais le capitalisme est indépassable, l’expansion est une « nécessité sociale » et l’homme d’aujourd’hui asservi à l’industrie » toujours selon Pierre Poujade.

 

En termes plus directs, il n’y a pas de place pour les objecteurs de … croissance qui ne sont pas capables de réconcilier croissance économique et écologie. Capables surtout de résister aux lobbies en tous genres et qui dans les sphères du pouvoir imposent leur loi. Le satisfecit des chasseurs, ces privilégiés auprès d’une certaine caste de citoyens, soulagés après la démission de Nicolas Hulot, et qui est un exemple dont les oies cendrées en particulier se seraient passé.  

 

Le ministère de l’Environnement fêtera bientôt ses cinquante années d’existence (47 ans précisément) au-delà d’avancées non négligeables mais en ordre dispersé dans les domaines spécifiques, quels enseignements en tirer ?

Certainement pas la volonté utopique à vouloir faire marcher, la main dans la main, l’écologie et l’économie.

En revanche, est-on en mesure de changer de paradigme, d’inverser le phénomène d’érosion de la biodiversité, de limiter sinon de bloquer l’effet de serre, en deux mots de pallier le pire défi écologique que l’humanité n’ait jamais connu ?

La réponse est tragiquement et malheureusement négative.

La séquence des « petits pas » n’y suffira plus.

Et cela, en dépit de conférences climatiques successives, dont celle de Paris qui n’ont rien changé au fond alors que la planète terre est de plus en plus comparable à une étuve.

 

Tout le monde connaît aujourd’hui la mesure et le poids de l’enjeu.

Certains - loin de constituer une majorité - ont pris acte de la tragédie et militent activement.

Mais la lobotomie qui affecte la majorité s’escrimant à suivre la théorie de « toujours plus » détermine l’extrême gravité d’une situation dont on peut raisonnablement se demander comment en sortir. Et surtout si on en sortira un jour.

 

En tout cas, pas avec de grandes et belles phrases creuses.

 

 

Bernard VADON