QUAND LE FOOTBALL, ENTRE AUTRES SPORTS OU EVENEMENTS, FAVORISE L’HYSTERIE COLLECTIVE
Publié le 13 Juillet 2018
Du rêve à la réalité ... qui a parlé de croyance sinon de dévotion ... toute une réflexion sociologique émanant de ce spectacle participatif où le match est une sorte de vision du monde.
Peu importe de prendre le risque d’être voué aux gémonies par le fait légitime de se mettre du côté de ceux qui gardent sinon leur sang froid en tout cas un calme, hermétiques au processus d’une hystérie collective motivée par un important événement exceptionnel ou sportif. Le football est un exemple spécifiqiue :
« Si l’on tient pour acquis que l’intelligence devient paresseuse lorsqu’une société devient consensuelle, on comprend mieux pourquoi le sport ne fait pas l’objet de connaissances mais de croyances, d’adoration aveugle ou de rejet irréfléchi » affirme le sociologue Michel Caillat.
Un autre de ses confrères, Claude Javeau, revient sur les moments d’hystérie collective dont il a été témoin lors d’une précédente Coupe du monde de football. Une expérience qui l’a conduit à développer « les voies d’une sociologie critique du sport » avant de proposer, je le cite, une analyse exhaustive de ce phénomène planétaire.
Le titre de son essai (« Je hais le football ») est déjà en soi un programme quant à son sentiment sur le sujet.
L’auteur se considérant comme étranger au monde du sport en général et, à celui du football en particulier, cherche à comprendre les raisons de cet engouement manifesté autant par les supporters que par des intellectuels et un public de néophytes. D’où une réflexion sociologique profonde.
ALLER JUSQU'A SONNER LES CLOCHES ...
Pour les Zidane, Pelé et Maradona en passant aujourd’hui par les joueurs de la nouvelle vague triés sur le volet du business sportif, les Neymar, Messi, Ronaldo et les autres, le chemin est autrement pavé de crampons d’or plutôt que de bonnes intentions. C’est l’une des résultantes du phénomène.
Même si ce sympathique curé de Limay-Vexin dans les Yvelines converti à cette étrange religion sportive a cru bon solliciter ses ouailles afin qu’elles s’associent – si toutefois, ce que nous leur souhaitons, le ciel y contribue – à la célébration de la victoire encore conditionnelle des « bleus » en faisant sonner à toutes volées les cloches des églises et chapelles dont il a la responsabilité.
Après tout, les cloches sont à même de commémorer la joie comme la peine (je n’ose pas croire que ce bon curé ira jusqu’à sonner le glas en cas de …)
Mais restons miséricordieux car le moment est encore à l’espoir et après tout on ne livre pas une bataille pour la perdre.
Claude Javeau propose donc d’aborder le football en tant « qu’objet privilégié du spectacle ».
La notion de « spectacle » étant ici comprise à la fois comme condition de l’expansion mercantile du sport et comme vecteur de diffusion de l’idéologie dominante qui la sous-tend, à savoir le libéralisme.
En effet, parfaitement intégré à l’économie capitaliste, le football de « haut niveau » constitue par ailleurs une vitrine d’exposition à l’échelle mondiale.
L’auteur insiste à ce titre sur le rôle essentiel des médias qui diffusent abondamment les exploits des stars du ballon rond et surtout leur réussite matérielle :
« Tu seras X ou Y ou tu ne seras rien ! »
Gravissime !
MIRAGE
Bref, en témoignent les ravages de cette étrange philosophie chez les jeunes garçons des pays sous-développés et l’exploitation des talents découverts sur un terrain minable où ces jeunes s’inventent un autre chemin de vie que celui qui leur est réservé par leur naissance.
Un véritable « mirage de réussite personnelle » qui continue à faire de ce sport, au cœur des classes populaires, le prétexte d’un avenir idéalisé pour les joueurs et leurs proches.
Pour toutes ces raisons, Claude Javeau considère le football comme un « objet de croyance » universel, reprenant à plusieurs reprises les expressions de « première religion mondiale » et de « nouvel opium du peuple » chères à Karl Marx et dans une moindre mesure à Freidrich Engels, l’un et l’autre sachant pertinemment qu’une idée devient une force lorsqu’elle s’empare des masses.
Pour quelques millions de fanatiques – dans son sens étymologique emporté par une ardeur excessive, une passion démesurée en l’occurrence pour le football – le jour de la finale de ce dernier mondial sera un autre jour.
Plus rien d’autre ne sera alors important.
Encore du pain sur la planche pour les historiens, les philosophes et surtout les sociologues.
Les analystes et autres statisticiens patentés scrutent leurs machines à compter. Il faut en tous domaines faire du chiffre. Le million par centaines et le milliard sont devenus la référence.
Le football s’est installé dans le quotidien des gens et nous fait oublier que d’autres sujets sont également prétextes à générer des problèmes concernant une planète en pleine dérive. Financière et climatique. Mais cela est une autre histoire.
THEATRALEMENT
Son succès populaire, le football le doit en partie à ses spécificités. Mais aussi à sa facilité d'accès car pour jouer il suffit d'un ballon, de quelques camarades et d'un peu de place. Des règles relativement simples ensuite et quelques subtilités dont le hors-jeu. L'objectif étant de marquer un maximum de buts.
Mais à eux seuls ces ingrédients ne peuvent pas expliquer une telle passion. Force est de constater que le handball – présentant des qualités identiques – ne suscite pas le même enthousiasme.
L’ethnologue Christian Bromberger relève quant à lui la dimension du spectacle avec un stade central favorisant la quasi théâtralisation de l’événement orchestrée par les médias :
« C'est un spectacle participatif. Contrairement au théâtre ou au cinéma, on a l'impression de pouvoir influer sur le cours de la partie, en encourageant son équipe ou en conspuant l'arbitre.»
Et ce que les supporters adorent par-dessus tout, c'est refaire le match (pour plagier une émission de télévision) :
Et toujours selon l’ethnologue :
« Le football est un univers infiniment discutable. Il n'y a qu'à voir les débats enflammés auxquels se livrent les amoureux du ballon rond. On peut discuter une sélection, d'ailleurs l'adage dit bien que la France compte 60 millions de sélectionneurs. Et même si une équipe gagne largement sur le terrain, il y a toujours de quoi débattre car un match est un spectacle incertain lors duquel on peut contester l'arbitrage par exemple, contrairement à un sprint chronométré en athlétisme. Quand on est supporter, un match est un grand moment d'émotion. C'est une tragédie au sens où Aristote l'entend. On peut passer du rire aux larmes, du bonheur à la tristesse en l'espace de 90 minutes à peine. »
Beaucoup de chercheurs ont aussi fait le parallèle avec la religion. Avec ses rites du stade, sa liturgie. Les matchs sont également et souvent organisés le dimanche. » remarque à son tour le philosophe Gilles Vervisch.
Dans un des chapitres du livre « De la tête aux pieds » dont le titre reprend la fameuse métaphore de Marx, le foot est-il l'opium du peuple ? , Gilles Vervisch, en philosophe du foot, montre que ce sport « permet de donner une illusion du bonheur par procuration ». Il en veut pour preuve le « On a gagné ! » scandé par les supporters d'une équipe, comme si cette victoire était la leur. Et le million de personnes défilant sur les Champs-Elysées, le 12 juillet 1998, en atteste, après que la France ait gagné le titre de champion du monde, comme si cette victoire était porteuse d'un espoir collectif.
On peut toujours rêver.
L'ethnologue Christian Bromberger retient encore deux autres facteurs qui pourrait expliquer le succès du ballon rond. Ce sport qui permet d'exprimer une identité, qu'elle soit nationale ou locale, réveille l’instinct patriotique et suscite aussi une fierté commune.
En effet, les spectateurs sont à ce point devenus partie prenante dans cette définition un peu abstrait que, curieusement, ils peuvent facilement s'identifier grâce au football en tant que vecteur de fierté et de patriotisme.
Toujours selon Christian Bromberger :
« Le match est un peu une vision du monde où sont célébrées les conditions de la réussite dans le monde contemporain. Il y aussi, sous-jacente, la notion de mérite, l'idée qu'il faut jouer collectif pour gagner et bénéficier d'une justice favorable incarnée par l'arbitre et enfin avoir de la chance aussi parce que c'est un jeu au pied. »
Finalement que le meilleur – ou le plus chanceux - gagne mais de grâce sachons faire preuve d’un peu plus de classe sinon d’élégance dans le comportement.
Même si l’exemple ne vient malheureusement pas toujours d’en haut …
Malheureusement sourds à ce qu’écrivait Jean Giraudoux à propos du sport qui consiste, selon lui, à déléguer au corps quelques-unes des vertus les plus fortes de l’âme.
Sur ce chapitre on peut aussi rêver et ça ne fait pas de mal.
Bernard VADON