Mardi 22 mai 2018 à 22 heures en l’église de Marrakech Avec le concours de l’Institut français, ciné-concert sur le thème de « La Passion de Jeanne d’Arc » de Carl Théodor Dreyer ou, quand la grande Histoire rejoint l’actualité.

Publié le 14 Mai 2018

Un décor approprié pour une grande et belle fresque historique ...
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    La passion de Jeanne débute le 23 mai 1430, lorsque celle-ci est faite prisonnière. Le 23 décembre suivant, elle est conduite dans la ville de Rouen où se tient le long et dramatique Procès de condamnation, qui commence en février 1431 pour se terminer le 30 mai tragiquement sur le bûcher.

C'est un grand procès solennel, présidé par deux juges ecclésiastiques, l'évêque Pierre Cauchon et l'inquisiteur Jean le Maistre, mais en réalité il est entièrement téléguidé par un groupe nombreux de théologiens de la célèbre université de Paris, qui participent au procès comme assesseurs : un épisode bouleversant de l’histoire de la sainteté mais aussi une page éclairante sur le mystère de l’Eglise, qui, selon les paroles de Concile Vatican II, est à la fois sainte et appelée à se purifier. Un exceptionnel épisode historique qui met en évidence une singularité humaine au cœur d’une société profondément machiste et malheureusement toujours de circonstance dans nos sociétés actuelles d’un bout à l’autre de la planète.  

Car ce court temps Johannique met en exergue la rencontre dramatique entre une sainte et ses juges ecclésiastiques sans humilité dénués de tout esprit de charité, incapables de la comprendre et de voir la beauté de son âme.

Quoi de tellement nouveau sous le soleil ?

INTEMPOREL

Bref, Jeanne est accusée et jugée par ces gens détestables, jusqu’à être condamnée comme hérétique et envoyée à une mort atroce.

Voilà pour le froid constat historique. Mais la symbolique Johannique est toute autre. La preuve en est son caractère intemporel. 

Comme le fait remarquer Benoit XVI dans un texte que le pape émérite lui consacre, cette sainte française est particulièrement proche de sainte Catherine de Sienne, patronne d'Italie et de l'Europe. Ce sont en effet deux jeunes femmes du peuple, laïques et consacrées dans la virginité. Deux mystiques engagées non pas dans un cloître, mais au milieu de la réalité la plus dramatique de l'Eglise et du monde de leur temps. Elles représentent ces « femmes fortes » qui, à la fin du Moyen-âge, portèrent courageusement la grande lumière de l'Evangile dans les complexes événements de l'histoire.

Les artistes – Michel Chanard à l’orgue et Valéria Florencio soprano assistés de trois récitants -  éclaireront, dans la mouvance étonnement moderne par le style des images exceptionnelles de Dreyer, ce temps d’histoire avec un H majuscule au travers du parcours de vie incroyable de cette « petite fille lorraine , comme disait Claudel, élevée au rang d’héroïne française, d’emblème de la nation. Un être de foi, de fer et de courage, un fascinant et troublant mystère, même si on s’approche assez près pour sentir les battements de son cœur de jeune lionne.

Il y a effectivement quelque chose de saisissant dans l’adéquation parfaite entre l’écriture du cinéaste Carl Théodor Dreyer et Jeanne d’Arc. La musique, la voix de soprano et le récitatif ajouteront à cette dimension lors de la soirée qui lui est consacrée mardi 22 mai, à 22 heures, en l’Eglise catholique de Marrakech et à l’initiative de l’Institut français de Marrakech, dans le cadre des Nuits du Ramadan.

 

IMPRESSIONNANTE

Même ferveur contenue, même sobre intensité, même façon de tracer sa route, épée ou stylo à la main, dans la forêt des événements et des symboles. Fond et forme sont si intimement liés que la lecture, d’où l’on sort à la fois exalté et fracassé, relève de l’expérience intellectuelle, émotionnelle et physique, comme le note Michel Bernard dans un très beau livre à sa gloire.

Ainsi, Jeanne – « ce nom banal qui prenait sur elle une inexplicable majesté » arrache –t-elle au sire de Baudricourt sa mission salvatrice et une escorte masculine qui subit, un peu interloquée, l’ascendant de la paysanne de Domrémy où elle naquit vers 1412.

Pour rejoindre celui qu’elle veut faire roi, qu’elle doit faire roi, elle traverse la France avec une volonté à lasser le plus vigoureux des chevaux.

Robuste de corps et de cœur. Aussi impressionnante dans la défaite que dans la victoire.

Autour d’elle, l’étonnement le dispute à un sentiment d’évidence face à cette force qui va, calme et « les yeux vifs » et « que Dieu, peut-être, avait désignée. Il fallait tenter la chance. Elle avait probablement le visage de cette fille » remarque encore Michel Bernard.

Bien entendu, la fin de l’aventure est connue et constitue notre propos de ce soir à savoir celui des interrogatoires sans fin qui la poussent « aux limites de sa résistance ».

« Une condamnation pour sorcellerie et la mort atroce, décrite avec une rare économie de mots ainsi qu’une bouleversante pudeur, prélude à sa renaissance au firmament des mythes. De ceux qui nourrissant pour les siècles tant de sensibilités et d idées de la France diverses, voire contraire ».

 

ECUME DE VIE

Comme le fait encore remarquer Michel Bernard, avec humilité et exigence et avant lui Carl Dreyer, la démarche intellectuelle et historique n’est pas de nous brosser un portrait inédit de la Pucelle d’Orléans ou encore d’exhumer des secrets du tréfonds des archives mais plutôt de nous faire chevaucher, réfléchir, douter et agir avec Jeanne, dans un mélange de clarté et d’opacité aussi impossibles à séparer l’une de l’autre que l’eau et le vin dans une coupe de cristal.

Loin de l’imagerie sulpicienne comme de la froide description d’un destin extraordinaire, le portrait de cette presque enfant de 17 ans est aussi celui d’un pays ravagé par la guerre – en l’occurrence celle de Cent Ans - d’une population troublée, volontiers enthousiaste et tout aussi prompte à la violence, à l’aveuglement.

Comme avec Ravel et Monet, Michel Bernard nous invite à suivre « sa » Jeanne sur les sentiers et dans les villes, dans les bois et les plaines. Ces paysages tantôt hostiles, tantôt aimants, donnent au Bon Cœur une densité poétique et sensuelle admirable. Les deux sens du terme campagne revêtent ici une saveur et une profondeur nouvelles. À la pointe sèche, les descriptions de la nature ne sont jamais aussi poignantes que lorsqu’elles surgissent comme un parfum ou une vapeur fugaces« Il faisait beau. La respiration de la forêt par bouffées entrait dans Compiègne. » 

Et, plus loin, proche de la fin de Jeanne, « Ce fut Noël. Elle eut pour fête, car la longueur de la chaîne lui permettait d’atteindre la meurtrière, la vue de la neige sur les champs. »

Comment ne pas être sensibilisé par cette manière d’écume de vie inouïe alors que devançant les beaux travaux de linguistique, nous nous frayons nos voies nouvelles jusqu’à ces locutions précisément inouïes, où l’aspiration recule au-delà des voyelles, comme le notait Saint-John Perse dans «Exil ».

Au fond, en belle et spirituelle conclusion : « Mort où est ta victoire » comme le titrait Daniel-Rops.

Et ce message venu d’ailleurs : Nous nous reverrons....

 

Bernard VADON