Depuis Marrakech, focus sur le temps pascal : Est-ce que le monde est sérieux ?
Publié le 1 Avril 2018
La poésie de la vie monastique, c'est sa prose si ce n'était l'attitude du genre humain et singulièrement des gouvernants qui trop souvent conduit au désastre.
Après le temps fort mais aussi tragique et émouvant du Vendredi Saint, suivi du Samedi Saint vécu dans le silence et la méditation avant la veillée solennelle qui met en exergue, dans les églises du monde entier, la victoire de la vie sur la mort et alors même qu’au lumineux matin de Pâques, les cloches, jusque là traditionnellement silencieuses, sonnent à toutes volées rythmant le triomphal « alléluia » de tout un peuple de croyants, c’est un jour nouveau qui s’annonce dans la joie et l’allégresse, comme l’invoque le psaume.
Au Maroc, et particulièrement à Marrakech, les églises étaient archi-combles. Une réponse pacifique et recueillie en cette belle terre musulmane et en réponse aux débordements et actes barbares de certains qui prennent impunément les religions en otages pour se justifier de manière imbécile.
Mais ce temps de Pâques rappelle aussi la parole de Moïse décrétant que ce mois serait le premier de l’année ; le mois du renouvellement de la vie dont la nature, par printemps interposé, nous offre la plus extraordinaire illustration.
Un temps nouveau dont le genre humain devrait s’inspirer même si l’actualité se nourrit, par extension, de ce beau texte d’une chanson de Francis Cabrel intitulé « La Corrida » et s’achevant par cette interrogation malheureusement toujours de circonstance et d’ordre général :
« Est-ce que le monde est sérieux ? »
La réponse réside, en tout cas en partie, dans cette confidence d’un ermite camaldule (1) synthétisant de façon peut-être un peu énigmatique les tenants et les aboutissants de son engagement :
« La poésie de la vie monastique, c’est sa prose. »
Et de comprendre dans cette manière de litote théologique combien le rythme lent d’une vie cloîtrée limite les sensations tout en les rendant plus denses et plus riches.
Conséquence : en décélérant, l’existence gagne en profondeur ; on devient alors attentif aux fêtes de l’instant, ces petits riens qui, si on sait les percevoir et les accueillir, révèlent leur poids de beauté et de mystère.
Dans la vie spirituelle la précipitation n’est donc pas souhaitable.
Ainsi, le rythme frénétique de nos vies est-il une conspiration contre la vie intérieure et le Père jésuite Dominique Salin d’expliquer :
« A force de courir on risque l’essoufflement. Comme le radical du mot l’indique, la vie spirituelle est une affaire de souffle. Elle commence au niveau de la ceinture, du diaphragme, et consiste à savoir respirer. »
Et de préciser encore :
« Dans le Royaume de Dieu, rien ne sert de courir. Même si saint Paul compare l’aventure spirituelle à un sprint, la vitesse de progression du chrétien moyen vers la vision béatifique s’apparente à celle de la tortue plus que du lièvre. »
Et le Père Salin d’ajouter :
« Il faut du temps à la grâce pour investir notre humanité. Dans la vie d’Ignace de Loyola, entre le boulet de canon et l’aboutissement de sa vocation, la fondation de la Compagnie, il se passa vingt ans. »
Charles de Foucauld, dit-on, mit autant de temps pour parvenir à maturité spirituelle.
Aujourd’hui, dans ce bas monde, la course au pouvoir et à l’argent sont manifestement et sans conteste au fait de nos malheurs et de notre désespoir. Le problème c’est que peu d’entre nous, particulièrement les gouvernants, en sont conscients.
Bernard VADON
- Ordre monastique bénédictin fondé par Saint Romuald de Ravenne en 1012 à Camaldoli dans la haute vallée de l’Arno en Toscane.