Marrakech : "La Bohème" dans tous ses états !
Publié le 28 Octobre 2017
Un passage mythique du "Trouvère" qui manifestement réveille les mémoires ...
Incontournable Georges Bizet, en tout cas au rayon musical et à sa célèbre référence, il s’impose tel un oiseau rebelle :
« A cet amour enfant de bohème qui n’a jamais, jamais, connu de loi.
« Si tu ne m’aimes pas, je t’aime … et si je ne t’aime, prends garde à toi. »
Nicole et François Melville - coutumiers du fait quant à convier, chaque saison d’automne dans leur belle maison de Marrakech leurs amis mélomanes et les régaler d’un « moment musical » que Schubert lui-même aurait apprécié - ont dernièrement concocté, avec la complicité de Dominique Probst, un programme sur le thème de la Bohème (au pluriel, précisons bien !).
Une excellente façon d’élargir le champ de la découverte de ce monde, de ce peuple pourrait-on dire, énigmatique et attachant dans sa façon singulière de vivre.
En ouverture, Guillaume Appolinaire aurait fort bien pu développer, sans pour autant en trahir l’esprit, cette invitation musicale en pays bohémien :
« Sur les tréteaux l’arlequin blême
Salut d’abord les spectateurs
Des sorciers venus de Bohème
Quelques fées et les enchanteurs. »
De Rimbaud à Pablo Sarasate
«Tel un cristal de Bohème » pour reprendre la composition de Dominique Probst interprétée par Nicole Melville – alto – et François Merville – cor anglais –
Une entrée en matière sous forme de trilles et de pizzicati.
Les grands compositeurs de Liszt à Brahms n’étaient manifestement pas loin.
Entre genres, folklorique, jazz et classique. Le « la » de la soirée était donné.
Ces mêmes interprètes – Nicole et François Melville - ouvrant la voie à Giuseppe Verdi avec ce chœur à participation réduite mais astucieusement arrangé par Dominique Probst pour ajouter à l’ampleur de cette participation du « Trouvère » avec simplement un alto, un cor anglais, un piano et des percussions.
Tatiana Probst – soprano – Jérémy Duffau – ténor- et Anas Seguin – baryton – assurant, quant à eux et avec un brio qu’on leur connaissait déjà pour s’être distingués, ici-même l’an dernier, ce mythique « Choeur des Bohémiens ».
Place sur la portée (musicale) à la récitante Catherine Chevallier pour poétiser en quelque sorte l’instant avec ce texte fort beau d’Arthur Rimbaud intitulé « Ma Bohème » et extrait du Cahier de Douai mais parfois décrié parce que Rimbaud l’écrivit à seulement 15 ans – impensable pour certains pisse-vinaigre - dans l’ombre protectrice d’un Verlaine sentimentalement captivé par le joli garçon.
La langue des « intonations »
Une touchante introduction à l’œuvre de l’espagnol Pablo Sarasate pour violon –Laurent Korcia – et piano – Aeyoung Byun –
Les Zigeunerweisen (ou Airs bohémiens) est une œuvre pour violon et orchestre écrite en 1878 par Pablo de Sarasate.
La version originale pour violon et piano fut jouée, la même année à Leipzig, en Allemagne. Elle s’inspire de chansons populaires roumaines, et au final, on peut reconnaître un thème repris dans la Rhapsodie hongroise no 13 de Franz Liszt, composée en 1847.
C'est en tout cas l'une des œuvres les plus populaires de Sarasate et l’une des pièces favorites des virtuoses du violon.
Laurent Korcia en donna, l’autre soir, dans la palmeraie de Marrakech, une interprétation brillante et digne des meilleurs violonistes sans pour autant ternir le jeu tout aussi brillant de Aeyoung Byun qui l’accompagnait.
Le filtre magique propre à l’essence même de la Bohème avait déjà fait son œuvre et ne fit qu’ajouter au charme d’un programme parfaitement structuré avec les chansons bohémiennes d’Anton Dvorak pour baryton, soprano et ténor soutenus par le violon et le piano.
Entre nostalgie et optimisme, des compositions teintées de la culture spécifique tchèque et slave auxquelles seront sensibles les héritiers de Dvorak. De Josef Suk à Boluslav Martinu.
Il appartenait à Tatiana Probst, Anas Seguin, Jérémy Duffau, Laurent Korcia et Aeyoung Byun de donner à l’oeuvre toute sa dimension et en même temps son originalité marquée notamment dans les poèmes symphoniques par une manière de narration musicale s’appuyant sur la prosodie de la langue parlée, dite des « intonations ».
Avec Ravel sur des thèmes tziganes
La transition vers une autre œuvre maîtresse – « Tzigane » de Maurice Ravel pour violon et piano - ne pouvait se faire que par
texte interposé invitant à la réflexion.
Ce nouvel intermède littéraire revint à Catherine Chevallier qui déclama l’énigmatique et beau poème de Charles Baudelaire : « Bohémiens en voyage » :
« La tribu prophétique aux prunelles ardentes
Hier s'est mise en route, emportant ses petits
Sur son dos, ou livrant à leurs fiers appétits
Le trésor toujours prêt des mamelles pendantes (…)
Musicalement, un morceau de virtuosité de la veine d'une rhapsodie hongroise comme l’avait lui-même qualifiée Maurice Ravel.
Une partition effectivement difficile qui fait partie des pièces du répertoire violonistique réclamant une exceptionnelle virtuosité.
C'est après avoir entendu à Londres, en 1922, la violoniste hongroise Jelly d'Arányi - petite nièce de Joseph Joachim- et Béla Bartók créer la sonate pour violon et piano nº 1 du compositeur hongrois, que Ravel composa « Tzigane » pour la violoniste.
La création pour piano et violon eut lieu au Aeolian Hall à Londres le 26 avril 1924 et la version orchestrale fut donnée le 30 novembre 1924 à Paris par les fameux Concerts Colonne sous la direction de Gabriel Pierné.
La première partie, pour violon seul, est conçue dans le style d'une improvisation sur des thèmes tziganes chers au compositeur.
Le compositeur écrivit deux réductions, l'une pour violon et piano qui est aujourd'hui la plus jouée et que Laurent Korcia, toujours accompagné au piano par Aeyoung Byun, exécuta magistralement avant de laisser éclater l’enthousiasme dans la salle.
Comme un flot …
La note, mieux que le mot de la fin, ne pouvait appartenir qu’à une authentique célébration de cette Bohème débordante de charme et de mystères. En l’occurrence, des extraits du célèbre opéra de Giacomo Puccini forcément intitulé « La Bohème », à nouveau proposés par Dominique Probst dans un arrangement ne trahissant pas la nature de l’œuvre.
L’argumentaire : A Paris, au XIXe siècle, une bande d’étudiants sans le sou compte sur les joies de la vie pour égayer son quotidien misérable, car manger, se chauffer ou payer son loyer tient du luxe.
La tendresse de Mimi apporte lumière et chaleur au poète Rodolfo.
Le peintre Marcello, pour sa part, est habitué aux coups d’éclat avec Musette, sa maîtresse volage. Leur couple forme un contraste plein d’humeur en comparaison de celui, plus mélodramatique, de Mimi et Rodolfo, qui finissent par rompre, bien malheureux de ne réussir à s’entendre.
Quelques mois se sont écoulés, et l’arrivée des beaux jours signera la rupture entre Mimi et Rodolfo. Impossible alors pour les deux amis d’oublier leur maîtresse. ils évoquent, avec nostalgie, leur bonheur d’hier.
C’est le quatrième acte de cet opéra dont le livret quelque peu fantasque ne fait que mettre en exergue une partition riche de sensibilité et confirme la démonstration technique de ce que Puccini nommait : « la conversation en musique » soit entre l’ancien récitatif et le parlato.
La caractéristique de phrases mélodiques sera parfaitement rendue dans le duo de Marcello et Rodolfo et ensuite celui de Mimi et Rodolfo.
La soprano, le ténor et le baryton littéralement portés par un mini-orchestre improvisé, mais bluffant, en termes de volume et de puissance, ont mis un point final flamboyant à cette prestation alors que les artistes – le souvenir de la grande comédienne Giselle Casadesus, récemment disparue, avait été évoqué en ouverture de soirée et veilla tout ce temps comme une bonne fée sur l’assistance - invitaient alors le public conquis à reprendre le refrain d’une autre « Bohème » également immortalisée par un grand maître de la variété, Charles Aznavour.
Le dîner offert à leurs hôtes par Nicole et François Melville m’inspire au point d’orgue ces quelques lignes puisées au hasard des « Fleurs du Mal » et intitulées « Le serpent qui danse » :
«Comme un flot grossi par la fonte
Des glaciers grondants,
Quand l'eau de ta bouche remonte
Au bord de tes dents,
Je crois boire un vin de Bohême,
Amer et vainqueur,
Un ciel liquide qui parsème
D’étoiles mon cœur! »
Bernard VADON
En "bis" surprise l'assistance a été invitée à suivre vocalement l'inoubliable interprétation de Charles Aznavour sur le beau thème de la Bohème.