Galerie Pietro Barrasso : Emy,Sophie Darnal,; Soëley et Jean-Louis Boucon ou la diversité aux cimaises.
Publié le 27 Septembre 2017
Pietro Barrasso accueille quatre artistes réunis dans une manière de diversité qui ne laisse pas insensible ...
Paul Klee estimait que l’art ne reproduit pas le visible mais le rend visible.
A ceux qui, perfidement ne saisiraient pas les nuances pour le moins subtiles de cette appréciation d’un peintre que je classe parmi mes préférés, j’en réfèrerais à un autre monument de l’art pictural planétaire, un certain Pablo Picasso qui ne manquait pas d’à propos et ne se prenait pas au sérieux. Ayant eu la chance de le rencontrer au terme de son existence, je peux en témoigner.
Ainsi, lors d’un vernissage, à une dame qui assimilait sa peinture à du chinois (en d’autres termes, incompréhensible), il rétorqua avec sa verve coutumière :
« Mais madame, le chinois, ça s’apprend ! ».
Cela aussi c’était Picasso.
Il est par ailleurs bien connu qu’un métier de quelque nature soit-il mène à tout … à condition d’en sortir. Une évidence que Jacques de Chabannes de La Palisse n’aurait pas contestée!
Sinon une manière de concept mis en pratique par Pietro Barrasso qui n’a pas hésité à installer une galerie d’exposition dans son atelier de ferronnerie de la petite cité de Nay en France dans le 64 où, entre autres, réalisations, il excelle dans l’art de plier le fer à ses aspirations et exigences artistiques.
Une seconde respiration pour lui qui pour s’imprégner plus encore de différentes formes artistiques – peinture, sculptures et photographies – a tout simplement offert ses cimaises à des peintres pour certains quasi inconnus mais au demeurant talentueux.
Généralement des expositions à durée limitée mais pas moins efficaces pour autant.
Une philosophie qui selon son concepteur – qui n’expose que ce qu’il aime – est à divers égards payante. Principalement pour l’artiste mais aussi pour celui qui a choisi de les produire.
Et puis il y a parfois des opportunités. Comme cette fameuse « Route Artistique ou Road 64 » qui, dans le périmètre de la ville élective, associe les amateurs d’art à cette espèce de chaîne de solidarité (comme cet avant dernier week-end de septembre) dans le but de promouvoir des artistes dans différentes disciplines allant du raku au dessin en passant bien sûr par la peinture, le pastel, le tadelakt mais également la photographie, la sculpture jusqu’à la poésie.
Intentionnellement, nous avons porté notre préférence sur la galerie de Pietro Barrasso et sur quatre artistes improbables quant à leurs motivations, mieux leur inspiration, qui occupaient avec un bonheur commun des cimaises dans un décor inhabituel mais qui ne nuisait en rien au concept selon Picasso :
« Un tableau ne vit que par celui qui le regarde. »
En fait le décor n’est pas en soi un faire valoir mais bien un prétexte à aller à l’essentiel autrement dit à ces œuvres qui n’existe effectivement que par ceux qui les regardent.
L’artiste n’étant présent que pour tenter de capter les émotions que suscite son œuvre.
Le monde d’Emy qu’Andy Warhol ou encore Roy Lichtenstein n’auraient pas totalement renié tant son art en est inspiré, jette le trouble et la confusion intellectuels par le truchement d’une palette aussi riche que colorée parfaitement en phase avec le développement du pop art britannique et américain. Son art n’en est pas moins fort, personnalisé et original donc intéressant mais au risque cependant de ne pas recueillir la majorité des suffrages.
Avec Sophie Darnal la démarche est aussi puissante par l’utilisation de la couleur noire associée à une matière pourtant basique et d’un banal intérêt, le carton, jusqu’à ce que cette artiste singulière en tire, au final, une substantifique moelle.
Cette « œuvre au noir » pourrait effectivement et de très loin nous rappeler le personnage de Zénon, alchimiste et médecin du XVIème siècle, héros du roman de Marguerite Yourcenar.
Une expression réinventée sur la toile qui représente dans la formule magique la première des trois phases pour achever le « magnum opus » (littéralement, le grand œuvre).
La finalité de cette transmutation visant, après la transformation du plomb en or, à l’obtention de la pierre philosophale et par voie de conséquence, à la production de la panacée.
Sophie Darnal au-delà de son explication artistique et de cette espèce d’énergie qui la commande dans le choix des formes qui donnent vie à son œuvre, se défend pourtant de fournir un message.
Dans cette noircissure, il apparaît toutefois que cette œuvre est réellement l’imitation des actions humaines, en l’occurrence de celles qui sont naturellement inimitables.
Ne serait-ce que pour cela l’œuvre est passionnante.
Solène Choblet (Soëley de son nom d’artiste) nous fait entrer dans un monde, son monde où les choses et les êtres ne sont en réalité que des impressions.
Elle confie elle-même être « guidée » par une inspiration incontrôlable. Une sorte de fil d’Ariane qui avec une infinie délicatesse la dirige et nous dirige, elle sur la toile et nous, vers la toile.
Quoi a parlé de magie picturale ?
Ici et là, une pointe de couleur qui semble donner à la route sa consistance matérielle.
Une sensation de courte durée et notre conscience – ou notre inconscience, allez savoir - est à nouveau captée par ce chemin en filigrane que trace la pointe fine de la plume de Soëley en un profond mais superbe désert calligraphique.
Manifestement une œuvre de l’extrême à la conjonction de deux formes d’expression artistique surtout – et c’est le cas - quant le dessin s’offre à la poésie et réciproquement.
Jean-Louis Boucon, par une technique innovante, nous découvre un art où la forme volontairement non maîtrisée ou simplement engoncée dans des règles strictes et des équations subtiles imposant la manière de ne pas systématiquement reproduire selon des critères, est tout entière concentrée dans le geste.
C’est la main qui forme et non plus l’inverse à savoir la forme qui dicte l’intention de la pensée.
Jean-Louis Boucon a trouvé le moyen ou la méthode, en tout cas l’outil – en l’occurrence, une boite, un verre dépoli et une ampoule judicieusement posée pour ne pas outrepasser sa fonction de mise en valeur ou évidence – pour nous interpeler.
Bref, le résultat est saisissant et s’inscrit dans une sorte d’invitation à aller au-delà d’une simple et douce euphorie lumineuse, suivre le personnage dominant et sans aller ainsi dans un imaginaire « pays où l’on n’arrive jamais » pour emprunter le beau titre du livre d’André Dhôtel.
Pour Pietro Barrasso, la peinture n’est manifestement pas du chinois.
La boucle n’est certainement pas encore bouclée mais ce pacifique explorateur de l’art contemporain s’emploie, non sans conviction et vraisemblablement du bonheur, à composer un triangle d’or au service de cette imagination dont Matisse affirmait qu’elle donne au tableau « espace et profondeur ».
La conception même du lieu résolument « industriel » je dirais un peu audacieux dans le conceptuel architectural s’inscrivant dans la nature propre des œuvres choisies représentant le fond artistique et culturel autour de peintres et sculpteurs dont la personnalité n’élude en rien l’unité de pensée du concepteur. Bien au contraire.
Avec mes artistes, confie Pietro Barrasso, nous entretenons une relation suivie, nourrie, didactique.
Un accompagnement qui s’inscrit dans le temps.
« Tout ce qui est important dans l’art se trouve au-delà des paroles, » confiait Georges Braque.
Ce pourrait être une fois encore les mots de la fin.
Bernard VADON