Bearn : Un émir oublié au cœur d’une région bénie des Dieux. Contrastes.
Publié le 28 Août 2015
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C’était il y a un peu plus d’une décennie.
L’histoire pourrait n’être qu’anecdotique si des éléments singuliers n’étaient venus, par touches successives, étayer une aventure dans laquelle le cœur constituait l’élément moteur d’un attachement sinon d’une affection incontrôlée mais forte.
La référence à une œuvre cinématographique consacrée en son temps, et qui n’a pas pris une ride, n’est peut-être pas étrangère à ce choix.
Une impression qui s’est spontanément fixée sur les personnalités d’Alain Resnais et de Marguerite Duras et l’inoubliable film « Hiroshima, mon amour » avec au générique, Emmanuelle Riva et Eiji Okada.
Elle, dans le rôle d’une actrice française et lui, dans celui d’un architecte japonais. Ensemble, s’efforçant, avec talent, de faire passer un message quasi impossible de paix et d’amour dans le contexte géopolitique à l’époque particulièrement compliqué.
Une sortie cinématographique quasi confidentielle – il ne fallait surtout pas froisser les américains – en 1959 sur l’écran mythique du Festival du film de Cannes, décida de l’avenir de ce long métrage – le premier pour Alain Resnais avant « Nuit et brouillard » et autres films qui ont, depuis, marqué la grande histoire du cinéma international.
Plusieurs récompenses ont fait oublier cette frilosité de circonstance apportant ainsi la preuve que rien n’est impossible à la passion … sinon aux passions.
Providence
Ce n’est donc pas sans raison que nous en appelons à cet authentique coup de cœur sur un autre thème improvisé et de circonstance : « Bearn : mon amour » un coup de foudre pour une région de France protégée par les massifs des Hautes-Pyrénées et celui des Pyrénées Atlantiques.
Travelling arrière :
Alors même, qu’après des kilomètres avalés sur les pentes pyrénéennes d’Espagne dans un décor quasi lunaire, nous achevons de gravir la pente du col du Soulor proche du Tourmalet (dans les Hautes-Pyrénées) nous découvrons, au terme de cette progression, ce haut lieu - universellement révélé grâce au Tour de France - et son panorama impressionnant et somptueux. A couper le souffle.
Jamais nous n’aurions effectué, depuis la lointaine et rouge Marrakech, ce voyage si ce n’avait été pour s’affranchir d’un service amical qui s’avérera vite générateur d’autres et riches rencontres et lendemains que nous ignorions encore mais que nous allions vivre dans ce pays d’exception aux trois villes mythiques : Pau, Tarbes et bien sûr Lourdes.
A Pau, avec le souvenir du bon roi Henri IV, son parcours et son influence indéniables ; Tarbes capitale de la Bigorre et la tradition équine et enfin Lourdes également en Bigorre et sa connotation spirituelle et singulièrement mariale. Des lieux diversement apaisants au cœur de ces champs amoureusement cultivés , de ce piémont accueillant, et de ces cimes profondément inspiratrices et mystérieuses que domine l’impressionnant Pic du Midi.
Dans les vallées, chaque clocher de village invite, musicalement et en écriture de plain-chant, à la méditation.
Je ne peux m’empêcher de penser à ce qu’avait alors ressenti l’Emir Abd El Kader – en 1848 - qui depuis la forteresse de Toulon où une vieille connaissance, en l’occurrence l’un de mes aïeux, le général E. Daumas, consul à Mascara, Directeur des affaires arabes, conseiller d’Etat, sénateur et écrivain l’avait accueilli avant de lui signifier, à contre cœur, le régime auquel l’Empire avait décidé de le soumettre. A Toulon, il ne fera que passer avant de poursuivre son exil au château Henri IV, à Pau. Le général confiant à des intimes qu’il ne serait jamais le geôlier d’un homme tel que l’Emir avec lequel il partageait sa passion équine et qui profita des précieux conseils d’Abd El Kader dans l’écriture d’un de ses livres culte : « Les Chevaux du Sahara ». (1)
Interrogation
La longue et enrichissante route menant au Bearn suscita chez l’Emir une vive admiration et cette réflexion à savoir, selon lui, ce que cherchaient les Français en Algérie alors qu’ils habitaient un aussi beau pays !
Au château Henri IV, il résida avec sa suite peu de temps mais suffisamment, avant de gagner son autre prison, le château d’Amboise, pour confier ses regrets de quitter une ville où les habitants avaient été si sensibles à son humanisme en lui manifestant à leur tour leur tristesse de le voir partir. A Pau, les sépultures des enfants et petits neveux de l’Emir sont entretenues régulièrement.
Pau qui, aujourd’hui, paraît avoir singulièrement gommé cet épisode pourtant historique. Une sorte de voile pudique – allez savoir pourquoi – occulte les éventuelles références des guides locaux à ce personnage somme toute incontestablement légendaire.
Une interrogation à laquelle je n’ai pas trouvé sur place de réponse. Sinon l’hommage récemment rendu par le maire de la cité paloise, François Bayrou, à l’occasion de l’inauguration des Allées Abd El Kader. Une initiative injustement pour ne pas dire stupidement critiquée par les tenants d’une islamophobie primaire et à courte vue, argumentant de surcroît au travers de faits de guerre distillés si l’on peut dire à sens unique. En période de conflits nul protagoniste ne peut se targuer de donner des leçons d’humanité. La France ne fait malheureusement pas exception à la règle.
Frédéric Lenoir nous envoie un signal dont je me plais à me faire l’écho : le pardon n’est ni rationnel ni juste, mais il nous procure joie et sérénité et il est la condition nécessaire à l’extinction de la violence. Pardonner, ce n’est pas oublier. C’est réussir à apaiser la blessure suscitée par autrui, dans un contexte, un environnement donnés, et à tout mettre en œuvre pour que la situation source de la blessure ne se reproduise plus.
Martin Luther King conseillait d’apprendre à vivre comme des frères sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots.
Oui, l’Emir n’a pas fait dans la dentelle à une certaine période de la conquête algérienne sous Napoléon III. C’était la guerre et une forme de barbarie émotionnelle en fait malheureusement partie. On le constate actuellement avec les actes innommables des détraqués de Daech et compagnie.
En revanche, le procès intenté à l’Emir – quand même trompé par la France - fait plutôt figure d’un désespérant combat d’arrière-garde dans lequel certains s’offusquent quant à la légitime reconnaissance faite à cet homme, qu’on le veuille ou non, d’exception.
Oubliant en particulier et peut-être à dessein, combien l’intervention de l’Emir et de ses tribus, lors des terribles troubles confessionnels, en juillet 1860, au Mont Liban étendus à Damas, permit aussi de sauver des milliers de chrétiens. Un acte de bravoure et d’humanité qui lui valut d’être reconnu comme « le plus chrétien des sultans ».
Cela aussi fait partie de l’Histoire et confirme la volonté, malheureusement pas toujours suivie, de l’Emir d’œuvrer pour le rapprochement de tout ce qui touche au cultuel. Précisément, la religion chrétienne et celle de l’Islam.
Dans le contexte actuel les passions sont exacerbées. On en connaît les conséquences parfois désastreuses.
La satisfaction qu’on tire de la vengeance ne dure qu’un moment celle que nous donne la clémence est éternelle, estimait Henri IV.
Pour vivre une partie de l’année dans un pays musulman où je peux pratiquer ma religion (catholique), je peux témoigner, au-delà des extrémistes de tous bords et de toutes confessions, de cette volonté partagée – même si elle reste difficilement efficiente – de respecter des religions, dont la mienne et son Dieu commun.
En retour, mes amis marocains, notamment, sont des demandeurs privilégiés quant à venir se recueillir en ce lieu mythique de Lourdes et invoquer celle qu’il prénomme Myriam et qui à l’instar de Jésus certes en qualité de prophète – mais qu’importe au plan de la Foi - a sa place dans le Saint Coran.
Ce qui importe c’est le respect réciproque. Il y a encore bien du chemin à faire tant d’un côté que de l’autre. Sans certitude d’y parvenir un jour tant l’homme est fou.
N’est ce pas précisément le roi Henri IV qui affirmait encore que le meilleur moyen de se défaire d’un ennemi c’était de s’en faire un ami ?
Vision paradisiaque
Mais revenons en ce mois de juillet 2002 étincelant de lumière. Le spectacle qui s’étale sous nos yeux nous apparait exceptionnel et révélateur de paysages hors du commun et singulièrement nuancés.
Une vision proprement paradisiaque après celle autrement austère des contreforts pyrénéens espagnols.
Les dégradés de vert des pâturages, se nuancent naturellement en suivant la courbe solaire et soulignent délicatement de profonds canyons traversés asymétriquement par des ruisseaux bouillonnants enfantés de la montagne, dévalant en contre bas et contrastant avec l’azur céleste.
Des vaches mais aussi des chevaux en liberté, les fameux pottocks dont l’origine très ancienne remonterait à un million d’années, immortalisés sur les étonnantes gravures rupestres des grottes d’Isturitz et d’Oxocelhaya se sont approprié les massifs de la Rhune, du Baïgara et de l’Ursuya. Ils témoignent du berceau de cette race qui enthousiasme les amateurs de chevaux.
Que du rêve !
Nous resterons là, des secondes, des minutes et peut-être une heure, sans mot dire, écrasés par ce décor grandiose dans son infinie beauté avant de se laisser glisser à petite vitesse vers la proche plaine de Nay, une route ponctuée de charmants villages, Arbéost, Ferrières et Asson, avec, au terme de cette route enchanteresse se faufilant le long du lit de l’Oussoum, le village d’Igon-en-Béarn, offert au soleil et tapi dans les champs de maïs, en bord de Gave.
Manifestement et par suite d’une mystérieuse intuition, c’est ici que nous poserons nos valises. Et que nous vivrons au rythme du bonheur et parfois des drames dont le départ imprévisible et prématuré d’Hermès, l’inoubliable bichon maltais, dont le souvenir est intimement attaché à cette maison de facture béarnaise embrassant la vision grandiose du Pic du Midi et celle du Gers, dominant Lourdes, cité d’exceptionnelle référence spirituelle.
Sans oublier le mythique Chemin qui mène à Saint Jacques de Compostelle et qui déroule son droit ruban d’asphalte sous nos fenêtres.
Une installation sinon un déracinement qui ne se fera pas sans déchirement mais qui, finalement, aura raison de toutes les contingences matérielles et humaines.
A seulement quelques petits kilomètres de Pau, Igon-en-Béarn illustre les mille et une vicissitudes de cette région sauvée d’une certaine forme de boulimie immobilière et structurelle.
Pour combien de temps ?
Toute la question environnementale et climatique – tellement à l’ordre du jour de la planète terre - est là, quelque peu préoccupante, malgré tout.
Nous la confions au bon sens de ceux auxquels en incombent la charge et la protection.
Et en guise de conclusion évanescente et circonstancielle nous laisserons à Gustave Flaubert via Madame Bovary le mot de la fin :
« Les bonheurs futurs, comme les rivages des tropiques, projettent sur l’immensité qui les précède leurs mollesses natales, une brise parfumée, et l’on s’assoupit dans cet environnement, sans même s’inquiéter de l’horizon que l’on n’aperçoit pas. »
On peut encore rêver !
BERNARD VADON
En filigrane du royal château de Pau, une inauguration au carrefour de l'Histoire de France ... sous le règne de Napoléon III et dans l'ombre du sympathique Roi Henri IV la passion du cheval a réuni l'Emir Abd El Kader et le Général E. Daumas auteur entre autres livres du "Les Chavaux du Sahara" un ouvrage toujours d'actualité dans les milieux équestres.