L’espace d’un ramadan, le temps suspend son vol et Marrakech, pour notre infini bonheur, retrouve son âme … et sa quiétude.
Publié le 22 Juin 2015
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Avec tout le respect que l’on doit à cette pratique cultuelle il n’y a pas de honte particulière, en non musulmans, d’en apprécier d’une autre façon plus terre à terre les éventuels bienfaits.
Pas évident pour le commun du mortel de suivre cette pratique du ramadan sans quelques difficultés sinon sans quelques concessions vénielles à la rectitude de la règle.
D’aucuns s’en défendent parvenant même à faire de ce mois sacré un moment d’exception qu’ils avouent vivre sans le moindre problème.
Grâce leur soit rendue.
D’autres, par leur nature, sont moins enclins à se plier aux exigences du jeûne. Et de ce fait, souffrent d’autant plus lorsque le souffle de la spiritualité ne les inspire pas.
Ceux-là ne sont certainement pas les moins méritants.
Mégapole touristique
Le non musulman, quant à lui, retrouve un autre bonheur de vivre dans une sorte de quiétude étrange sinon de torpeur non moins étrange qui enveloppe la ville aux premières heures de la journée et jusqu’à son terme. Tout ce qui préside à l’économie du pays passe à la vitesse inférieure. A commencer par les marchands de limonades ou autres liquides (généralement occidentaux) dont la plupart ont tiré leurs rideaux, au moins durant la journée, se rattrapant, certes, la nuit venue mais avec une ambiance plus mesurée. Les malaxeurs de ciment ont pour la plupart remisé leurs engins de chantiers et mis leur personnel en vacances se réservant les leurs hors les frontières … pour certains en tout cas moins à cheval sur la conduite religieuse à tenir.
Ainsi, l’espace d’un ramadan, Marrakech perd ses attributs de mégapole touristique infernale. Les pics de pollution sont sensiblement à la baisse. Les boulevards et les rues ont des allures d’artères de modestes cités bourgeoises délaissées par cette modernité habituelle et meurtrière dans tous les sens du terme.
Au temps d’hier
La conférence des oiseaux a retrouvé droit de cité prenant l’avantage sur les avertisseurs d’automobiles. Seules, les calèches et leurs chevaux s’invitent au chapitre musical de la rue, mais quel chapitre et quelle autre mélodie !
La nuit venue, les temps modernes, façon Chaplin reprennent un peu de leurs droits : quelques jeunes (mais aussi vieux) fous, après une journée de privations, s’énervent sur leurs drôles de machines à deux ou quatre roues et tirent à tout va sur leurs « clopes » ; une chanteuse, quelque part dans le quartier de l’Hivernage, vocifère dans un micro déformant épouvantablement sa voix … bref, la drôle de vie se désolidarise d’un quotidien qui l’a quelque peu brimée durant une journée ; et comme au Maroc, on crie plus souvent qu’on ne parle, les mixeurs et autres agitateurs de services en tous genres, donnent de la voix à hue et à dia.
La Mamounia, l’un des rares sinon le rare palace de Marrakech digne aujourd’hui de ce nom avec le Royal Mansour, ayant gardé ses lettres de noblesse hôtelière a laissé à ses concurrents le soin de se perdre dans des pratiques plus proches de celles de Las Vegas que de celles, autrement racées, du Ritz londonien, du Crillon parisien ou encore du Danieli vénitien.
Suivez mon regard et testez mes oreilles.
Au tout petit matin, alors que le jour se prépare, les psalmodies en plain-chant depuis la foultitude des minarets disséminés en médina, donnent la mesure de ce que sera ce nouvel acte de résistance aux facilités offertes par la modernité.
Une égale amplitude silencieuse qui, le soleil couché, a baigné la mythique place Jemaâ El Fna, s’empare, cette fois, le jour levé, de ce même lieu hautement culturel.
Comme le chante le poète, vivez si m’en croyez, n’attendez à demain, cueillez dés aujourd’hui les roses de la vie et laissez-vous envahir par les envoûtants effluves des galants de nuit du jardin ; savourez, en fond sonore, les accents enivrants de « l’apologétique de l’ivresse et de l’épicurisme » servie par le talent, unique dans son genre, de la grande Oum Kalthoum, l’astre resplendissant de l’Orient.
Rien n’est plus important sinon le souvenir que nous garderons de ce moment d’exception.
Celui d’une cité sous influence lunaire soudain et miraculeusement revenue, pour quelques semaines, au temps d’hier et qui a, comme on dit chez les amoureux d’un fabuleux passé que nous revendiquons : Marrakech a retrouvé son âme jusqu’alors perdue.
Bernard VADON
Le quartier de l'Hivernage : ce n'est plus le temps de la transhumance mais la sérénité durant la journée rappelle ces moments d'exception. Entre le ftour et la prière la place Jemâa el Fna se prépare à l'ombre de la Koutoubia et dans les effluves envoûtants des galants de nuit.
Le pouvoir des mots porté par le talent inégalé dans le genre d'Oum Kalthoum ... dans le text un incroyable quiproquo à la gloire de l'émancipation de la femme !